Pour L'Express,28/09/2006  il décrypte  4 de ses 24 nouvelles chansons      

    Renaud se décrypte

 

Rouge Sang

Entre ce sang qui coule
Sur le sable de l'arène
Et fait vibrer la fouleBarbare, inhumaine […]
Et puis le sang verséHier à Tienanmen
Qui a éclaboussé
Vos mémoires et la mienne
Comme une étrange ressemblance
Même douleur, même peine
Comme une étrange ressemblance
Même couleur, d'où qu'elle vienne.

«Le rouge symbolise la violence de l'homme. C'est le rouge de ce monde. Celui de la révolte, du cœur qui bat, du cœur qui saigne. Le sang renvoie au sang humain mais aussi animal, qui coule partout sur le globe. Car Rouge Sang parle autant des étudiants de Tienanmen ou des enfants de Birmanie que des taureaux, des baleines, des ours, même s'il existe, bien sûr, une hiérarchie de la souffrance. Durant mes années noires, déprimé comme je l'étais, j'avais du mal à chanter le monde, à dénoncer les faiblesses. Du coup, on m'a reproché de m'être éloigné du temps où je montais sur les barricades. J'ai retrouvé ma plume. Elle peut encore se montrer assassine pour exprimer mes colères.»

Nos vieux

Au moment pourtant des adieux
Le cœur est douloureux
Plein d'amour pour
ces gens si précieux
Qu'on appelle «nos vieux»
M'arrive même, quand je suis loin d'eux
De prier le Bon Dieu
Ce grand mystère planqué dans les cieux
Des gens malheureux.

«Les très belles notes de Jean-Pierre Bucolo m'ont inspiré ces mots que j'avais envie d'écrire depuis vingt ans. C'est une chanson d'amour pour mon père et ma mère. J'espère toucher les grands enfants quinquagénaires qui, comme moi, n'osent pas dire "je vous aime'' à leurs parents. Je voulais exprimer à mon père ma gratitude de m'avoir fait découvrir la poésie et la musique. Hélas! il est décédé le jour où j'ai reçu l'album terminé. Nos vieux est un texte avec uniquement des rimes en "e'' et en "eux''. C'est l'une de mes deux nouvelles chansons préférées, avec Elsa, qui parle - et là avec seulement des rimes en "a'' - du suicide des adolescents. Je l'ai écrite d'une traite, la guitare sur les genoux. Comme En cloque, Mistral gagnant et quelques autres venues des tripes.»

Sentimentale mon cul!

Putain de foule anonyme
Majorité mal-pensante
Troupeau de bœufs qui n'exprime
Qu'une pensée dégoulinante […]
Sentimentale mon cul
Ces foules qui défilent
En bramant de ces slogans vengeurs
Qui envahit nos rues
Multitude débile
Milliers de poitrines
Un seul cœur.

«C'est, bien sûr, une réponse à Foule sentimentale, la chanson la plus belle et la plus drôle de ces vingt dernières années. J'adore Alain Souchon, mais je voulais quand même me moquer de son amour de la foule, fût-elle sentimentale. Et, surtout, en prendre le contre-pied. La foule est souvent porteuse de violence, de haine, de colère irraisonnée. J'ai failli me faire lyncher au Stade-Vélodrome, à Marseille, parce que l'OM avait perdu contre le PSG et que j'étais Renaud le parigot. On a aussi vu des masses défiler derrière des drapeaux noirs, nazis, tricolores... Je suis donc partagé entre mon désir de participer aux liesses que sont les révolutions ou les rencontres de foot et le "vivons heureux, vivons cachés''. La pirouette finale du texte dit que la foule de mes concerts, même si elle est parfois manipulable et suiviste, ne me procure que du bonheur.»

Je m'appelle Galilée

Je m'attarde longuement
sur ces courbes splendides
Qu'il y a près de trente ans
un big bang fit naître
Effleur' le velours de tes seins
de cariatide
De cette Voie lactée
où ma bouche furète.

«Ou quand Renard fait son Gainsbarre. Romane a été à la fois touchée par ce bel hommage et infiniment gênée par le thème évoqué. Comme Brassens, j'adore la chanson paillarde. Un jour, j'enregistrerai un album de corps de garde. Galilée est une chanson légèrement érotique sur un sujet tabou [la sodomie] très peu traité en chanson et que je pense avoir abordé avec tendresse, humour, audace et un côté coquin. Mon puritanisme a été balayé par mon désir de célébrer les rondeurs callipyges de mon épouse. C'est un hommage à la beauté, aux pratiques amoureuses, "conformes" ou non. Que la Bible réprouve. Mais on s'en fout...»

 Renaud

 Source:Renaud d'enfer par Gilles Médioni  http://www.lexpress.fr/mag/arts/dossier/chanson/dossier.asp?ida=451770&p=1