Désillusions..... La politique 

 

 

Désillusions.....  La religion 

 


La politique

La politique ? Renaud le libertaire y a cru. Un peu. Mais il en est vite revenu. La folie meurtrière des hommes, les succès électoraux de l’extrême droite, les trahisons de la gauche gouvernementale, plus généralement, le peu de retombées pratiques eu égard à tant de combats menés vainement, l’ont fait définitivement douter des bienfaits des élus et de leurs politiques, des électeurs et de leurs votes, des associations et de leurs grandes causes, des idées et de leur exploitation.

La gauche, Renaud l’avait rêvée humaniste, égalitaire, généreuse, libertaire. Il la découvre surtout capitaliste, politicarde, corrompue, sécuritaire, insensible au sort des populations les plus démunies, y compris celles vivotant dans les pays dits en développement. Le tournant libéral opéré par le gouvernement Mauroy en 1983 lui fait définitivement remiser ses derniers espoirs de suppression d’une société capitaliste dont il anathématise les conséquences inhumaines. Si Renaud continue malgré tout de voter pour ce bord politique, c’est parce qu’il ne parvient pas à imaginer qu’une gauche même affadie pourrait mener une politique pire qu’une droite même modérée. La manifestation Charonne en 1962 de laquelle revinrent en pleurs les parents du chanteur, les barricades de Mai 68 sur lesquelles le jeune Renaud fêta gaiement ses seize ans ou les espérances placées dans une gauche enfin parvenue au pouvoir par un joyeux soir d’un autre mai sont décidément bien loin…

Depuis une dizaine d’années, le choix politique de Renaud s’oriente vers un écologisme de gauche, représenté par les Verts, à qui le chanteur apporta, entre autres, son soutien lors des élections présidentielles de 1995 et de 2002. Sensible aux mêmes préoccupations écologistes et sociales que ce parti, Renaud n’en constate pas moins avec désolation les continuelles et vaines luttes intestines entretenues par ses dirigeants qui, par leurs agissements délétères, parviennent à reléguer les questions liées à la défense de l’environnement au second plan de leurs priorités. Pour dépasser cette navrante réalité politicienne, le chanteur a participé aux campagnes environnementales de nombreuses associations écologistes (Greenpeace, Robin des Bois), apportant ainsi sa pierre aux combats qu’il juge prioritaires, la sauvegarde de l’environnement et le droit des générations futures. Souhaitant s’engager directement sur le terrain non politique, Renaud a tout autant longuement milité auprès d’autres associations humanitaires ou organisations non gouvernementales, tels que Les Restos du cœur, Médecins sans frontières ou SOS-Racisme.

Mais le fonctionnement même de certaines de ces associations est parvenu à le rendre méfiant à l’égard de tout groupement, potentiellement enclin à se détourner de ses objectifs initiaux, voire à utiliser frauduleusement les ressources mises à sa disposition. Résignation, lassitude, méfiance – y compris vis-à-vis d’associations pour lesquelles Renaud s’est très tôt engagé – bien visibles à travers une chanson de son dernier album, au titre explicite : Tout arrêter… Le chanteur y affirme qu’il a

        […] arrêté de croire en tous les idéaux

Arrêté de donner [s]on obole aux Restos

                Tout arrêter…

Sommé de s’expliquer sur cette prise de position surprenante, Renaud précise : « C’est pas très gentil pour les Restos que je trouve indispensables et très efficaces. Mais j’en ai un peu ras-le-bol des combats humanitaires et des associations qui ont défrayé la chronique par des détournements, des malversations financières, etc. Même ça, on finit par en revenir. Les circonstances ont fait que je ne participe plus aux Restos depuis deux ans, mais s’ils me redemandent, je serai toujours présent. Avec cependant un certain recul, le sentiment que c’est un peu dérisoire, comme toute forme d’engagement des artistes ».

Dorénavant défiant vis-à-vis des luttes menées par le biais d’organisations humanitaires, le chanteur allait bientôt être définitivement écœuré par le choix politique d’un trop grand nombre de ses compatriotes. « Effondré, effondré pour la gauche, pour la France, pour l’Europe, pour la démocratie » : tels furent en effet les premiers mots prononcés par Renaud après le résultat triomphal de Jean-Marie Le Pen lors du premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2002. Que près de 20 % des électeurs s’étant alors déplacés aient pu glisser dans l’urne un bulletin taché du nom de Le Pen (ou de Mégret) signifiait que tous les messages et actions prônant la fraternité, le cosmopolitisme, le respect des différences, que le chanteur, avec d’autres, avait promus depuis maintes années, n’avaient finalement pas porté leurs fruits. « Ça fait vingt-cinq ans que je milite à ma façon avec un message de fraternité. J’ai l’impression d’avoir chanté pour rien », constate-t-il, désemparé.

Pour Renaud, critiquer l’extrême droite, c’est non seulement répandre son venin contre les dirigeants des partis racistes et leur idéologie, mais c’est aussi mettre tout un chacun devant ses propres responsabilités, en rappelant que le succès de tels mouvements ne dépend finalement que du choix de chaque citoyen. C’est pourquoi les récents votes de nombre d’anciens électeurs communistes en faveur de l’extrême droite désarçonneront et désillusionneront grandement le chanteur, qui comprendra mal « la facilité avec laquelle les électeurs du PCF sont passés de Robert Hue à Jean-Marie Le Pen. C’est à désespérer de Billancourt ». Aucune raison, selon Renaud, ne peut excuser un tel vote. « Les soucis de mal-vivre, affirmera-t-il ainsi, ne justifient pas de se vautrer dans la fange de l’extrême droite. Ma désespérance, c’est de voir d’où viennent les votes de Le Pen : essentiellement du Parti communiste. La classe ouvrière, qui a porté le drapeau rouge pendant des années, enfile la chemise brune. C’est à gerber ».

Au-delà de ces écœurements, l’un des rares combats politiques qui trouve encore quelque écho chez Renaud est probablement son opiniâtreté à égratigner ceux qu’ils dénomment les « maîtres du monde », sa cible favorite. Le chanteur n’a jamais admis cette implacable réalité qui permet la présence éhontée d’individus et de nations sis au sommet de la pyramide, profitant en permanence de leur pouvoir pour écraser ceux qui croupissent en bas, les empêchant de gravir la moindre marche de l’escalier de la vie. Jugement politique autant qu’économique et social – avec une attention particulière pour les patrons de tout acabit –, national autant qu’international – les États-Unis, perçus comme l’archétype de la puissance impérieuse, arrogante et brutale, représentant une cible de premier ordre pour le tiers-mondiste Renaud.

Cette critique continue de ceux, hommes autant qu’États, qui aspirent à diriger autoritairement et unilatéralement leurs semblables, se double, chez le chanteur, d’une défense viscérale des individus qui sont la base même de ses idées politiques, les « petits ». Renaud prône ce que l’on pourrait dénommer le « petisme », c’est-à-dire la doctrine selon laquelle celui qui est en position de faiblesse, individu besogneux, minorité asservie, peuple tyrannisé, a droit à une attention et à une protection particulières, un traitement aprioriste positif, un soutien affiché. Le chanteur aime à se placer auprès de ces délaissés, de ces oubliés, de ces victimes de la politique méprisante des « grands », maîtres d’un monde dont ils tirent les ficelles à leur seul profit. Mais conscient de la victoire apparemment éternelle des plus puissants et du peu de retombées positives échoyant aux plus faibles, Renaud mène ce combat égalitariste sans grande illusion, ainsi qu’il le chantait il y a déjà plus de dix ans :

J’croyais qu’David et Goliath / Ça marchait encore

Qu’les plus p’tits pouvaient s’débattre / Sans être les plus morts !


La religion

La religion – catholique – a toujours été, pour Renaud, une force rétrograde, qui, à rebours de l’action positive de certains individus, empêche le développement intellectuel de la personne et annihile sa liberté, ce que le chanteur traduit avec ses mots en affirmant que

Ce sont les hommes pas les curés   //  Qui font pousser les orangers  ....

Pour autant, Renaud ne rejette pas tous les messages chers à l’Église. Ainsi reprend-il à son compte le thème central de l’amour du prochain :

L’essentiel à nous apprendre

C’est l’amour de ton prochain,

Même si c’est un beau salaud,

La haine ça n’apporte rien,

Pis elle viendra bien assez tôt

Mais le chanteur entend laïciser cette notion. « Je croyais que la religion c’était l’opium du peuple, mon papa… », fait-il ainsi dire à sa fille dans une de ses chroniques. « Aimer son prochain, c’est une drogue douce, mon amour. Et ça devrait être remboursé par la Sécurité sociale », conclut l’attentionné père. Cette digression, surprenante de prime abord sous la plume du chanteur athée, permet de supposer des similitudes entre la pensée de Renaud et certains des thèmes de la religion chrétienne, que le chanteur fait siens à partir du moment où ceux-ci n’ont pas été travestis par une Église officielle sectaire, ne cherchant qu’à enrégimenter.

Ainsi, devant un catholicisme perçu comme assujettissant et peu progressiste, Renaud, affichant ostensiblement une croix huguenote autour de son cou, n’hésite-t-il pas à promouvoir publiquement les idées de tolérance, d’humanité, de générosité, propres, selon lui, à ce qu’il considère être moins une religion qu’une morale, une culture. Ce que recherche  et trouve  Renaud dans le protestantisme, ce n’est pas un Dieu ou un ramassis de règles religieuses à obséquieusement reproduire, mais un état d’esprit, un ensemble d’idées générales et généreuses pouvant être librement pratiqués. « Je me sens appartenir, dira le chanteur, à une identité culturelle, une identité d’esprit, et je constate qu’en France la communauté protestante, dans sa grande majorité, partage les valeurs d’humanisme, d’antiracisme, de tiers-mondisme qui sont les miennes ». Ne craignant pas le paradoxe, Renaud se définit ainsi originalement comme un « protestant non croyant-non pratiquant ».

Laurent Berthet-Le Banquet, janvier 2004, n°19/20 (Renaud ou l’humanité meurtrie ) -Auteur de "Renaud, le Spartacus de la chanson "

Renaud