Son Alcool.              CONFESSION        INQUIET.

  

Renaud : « J'étais bouffi d'alcool... »

Pendant quatre ans, le rebelle au foulard rouge s'est abîmé dans la solitde, les bistrots parisiens et le goût de l'anis. Aujourd'hui guéri de son alcoolisme, Renaud revient à la chanson avec un nouvel album qui sortira fin mai.



LE REGARD BLEU délavé, les cheveux jaunes et un inévitable blouson de cuir sur le dos, Renaud, qui aura 50 ans demain, n'a pas vraiment changé. A trois semaines de la sortie de « Boucan d'enfer », son nouvel album (lire plus bas) , c'est bien celui qui a bercé de ses « Marche à l'ombre », « Manu », « Mistral gagnant » et autres toute une génération d'amateurs du français chanté comme on le parle. A y regarder de plus près, pourtant, les gestes paraissent hésitants, le sourire douloureux. L'homme semble avoir été touché au-dessous de la ligne de flottaison : Renaud sort d'une tempête aux remous anisés. Depuis son apparition, le visage bouffi, sur la scène de l'Olympia, en 2001, balbutiant des remerciements pour une Victoire d'honneur, le vent a tourné. Docteur Renaud, avide d'eau, a remporté la bataille contre Mister Renard, amateur de Ricard, comme le clame la chanson qui ouvre « Boucan d'enfer ». Attablé à la Closerie des Lilas, une fameuse brasserie parnassienne, l'artiste ne carbure plus qu'aux projets et s'explique volontiers sur une parenthèse longue de quatre ans.
Le mot « bistrot » revient souvent dans vos nouvelles chansons... Renaud. J'ai toujours été un passionné de ces lieux de rencontres, de solitude, de débauche et de laisser-aller anisé en ce qui me concernait. Le pastis est un poison. Ça bousille les neurones, c'est pas bon pour le foie, j'en sais quelque chose. J'avais des analyses inquiétantes, dans la zone rouge. Bouffi d'alcool, je ne me reconnaissais plus dans une glace, ma voix était pourrie par les excès de nicotine et, surtout, j'avais le sentiment que les muses m'avaient déserté.
Que vous est-il arrivé ? Après la tournée qui a suivi la sortie de « la Belle de mai », au lieu de me remettre à écrire à mon rythme, j'ai vécu entre les quatre murs d'un bistrot parisien à m'étioler. Je n'ai pas commencé à me mettre minable quand mon épouse m'a quitté, mais, en fait, mon épouse m'a quitté parce que je me mettais minable depuis quelque temps. Peut-être à cause d'un spleen, d'une nostalgie de mes vingt ans. Le fait de voir ma fille grandir et passer à l'âge adulte, de voir les années qui s'écoulent à vitesse supersonique. De voir des gens que j'ai tellement aimés disparaître autour de moi, souvent avant l'heure.
« Je suis entré dans un processus d'autodestruction » A qui pensez-vous ? A Frédéric Dard, à Desproges, à Gainsbourg, à Coluche... Mais, surtout, je ne voulais plus de l'amour des gens, je trouvais ça immérité. Entre le manque d'idées, le chagrin d'amour et de mauvais médicaments, je suis entré dans un processus d'autodestruction, moi qui ne suis pas suicidaire. L'année dernière, quand j'ai reçu cette Victoire de la musique d'honneur, j'étais en pleine pochetronnerie. J'aurais préféré gagner vraiment cette récompense. Là, j'avais l'impression qu'on me la donnait à titre posthume. Même s'il y a un certain dandysme à se gainsbariser , je m'en serais bien passé et ça m'a fait replonger. Aujourd'hui, je suis redevenu un buveur d'eau entraîné dans la spirale du travail, de la création et, en décembre, de la scène.
Qu'est-ce qui vous a fait remonter la pente ? La tournée, en 1999, avec juste une guitare et un piano, sans promotion et sans nouvelles chansons, pour un public que je pensais avoir déjà écumé. Ça m'a redonné du coeur à l'ouvrage même si ces concerts étaient très marqués par mon mal-être et mon désarroi. Dans les mois qui ont suivi, l'inspiration est revenue et je me suis remis au travail. J'ai écrit mes textes sous l'emprise de l'alcool, mais je les ai écrits quand même. La source n'était pas tarie, comme je le pensais.
Dans ce nouvel album, vous parlez d'ailleurs beaucoup de vous... Les chansons, c'est avoir envie de raconter des histoires et je ne savais plus ce que je voulais raconter. Donc, j'en suis venu à parler de ma vie, de ma vie privée d'observateur du monde. Dans mes albums précédents, il y avait des chansons sociales. Pas vraiment politiques, mais avec des mots assez rebelles, une vision plus large. Là, j'ai plus regardé mes chagrins que les chagrins du monde.
N'est-ce pas aussi parce que les chagrins du monde vous intéressent moins ? Je suis toujours un ardent lecteur de journaux et un dévoreur d'actualités télévisées et radiophoniques. Mais j'ai moins envie qu'avant de changer le monde avec des chansonnettes. Plus qu'autrefois, je pense que c'est vain, inutile, même si des idéaux comme le combat antiraciste me tiennent toujours à coeur. J'ai aussi moins envie d'être un porte-parole, de monter au créneau. D'autant que la relève est assurée avec des groupes comme Zebda ou Noir Désir. Ils sont plus jeunes, ils ont plus envie que moi d'exprimer cette colère et je leur refile le flambeau. Moi, à l'époque, ça me paraissait indispensable de chanter pour les Restos du coeur ou SOS-Racisme, de faire des manifs. J'ai 50 ans et je suis fatigué de tout ça.
Dans votre nouvel album, une de vos chansons s'en prend à Bernard-Henri Lévy et une autre est dédiée à Baltique, le chien de François Mitterrand... Je ne supporte vraiment pas le prêt à penser de BHL, même s'il m'a fait savoir par son avocat qu'il trouvait la chanson drôle. Quant à Mitterrand, c'est une façon de lui être fidèle, sans pour autant lui lécher la main.
« J'ai arrêté de taper sur les flics, les curés et les militaires » Votre méchanceté se serait-elle émoussée ? A 20 ans, j'étais plus manichéen. Depuis, j'ai arrêté de taper sur les flics, les curés et les militaires. D'autres le font à ma place et j'ai du respect pour la maréchaussée, même si moins je les vois, mieux je me porte. Il ne doit pas faire bon être flic tous les jours. Pas plus qu'être un gamin sans emploi ni éducation.
Dix ans après « Germinal », vous allez revenir au cinéma... Dans une comédie policière américaine que je tourne ce mois-ci à Toronto, au Canada. Une aventure que je vais partager avec Johnny Hallyday, Gérard Depardieu, Harvey Keitel, Richard Bohringer, Stéphane Freiss... Le cinéma n'est pas ma priorité mais ça m'amuse. Et puis, au moins, contrairement à « Germinal », ce film-là ne repose pas sur mes épaules.
Pour ce nouvel album, vous vous êtes d'ailleurs beaucoup reposé sur deux compositeurs... Je joue de la guitare toujours comme un débutant et je suis arrivé à un stade où, quand je compose, ça me rappelle dix musiques déjà faites dans le passé. Je suis tout à fait capable de juger mon travail. Même à l'époque où mes scores de ventes étaient irrationnels, je ne me suis jamais pris pour le roi du monde. Je savais très bien que je reviendrais un jour à des choses plus raisonnables et plus naturelles.

Renaud, « Boucan d'enfer » (disques Virgin). Sortie le 28 mai.
Propos recueillis par Sébastien Catroux
Le Parisien , vendredi 10 mai 2002


   

LES VERS ET L'ALCOOL

A ceux qui trouvent l'alcool romantique et source d'inspiration, Renaud apporte ce terrible démenti, effrayant et admirable de sincérité, une sincérité très loin des conventions du show-biz.

 

"Je me levais à 11h30 me disant 'Vivement que j'aie terminé ma toilette pour aller en bas attaquer". Je vomissais tous les matins en me lavant les dents. Je n'avais même plus de gueule de bois, celle que j'ai toujours connue quand je faisais des excès. Par contre, j'avais des problèmes neurologiques, des fourmillements dans les bras et les jambes. A 11h45, j'allais vomir mon premier Ricard tant j'avais le foie pourri. De midi à minuit, j'en buvais un litre. Je passais de longues heures seul mais très souvent, j'étais avec des copains ou mon frère aîné qui habite avec mot. J'ai l'alcool triste, pas agressif mais parfois, je détonnais dans cet établissement sélect en m'endormant sur mon verre. Un garçon venait me taper sur l'épaule: "Monsieur Renaud". Je rentrais en titubant et je m'écroulais dans l'escalier. Je ne m'aimais tellement plus que je ne comprenais pas qu'on puisse m'applaudir. Je n'avais plus envie d'être aimé mais au contraire rejeté.

Les analyses montraient que les cellules du foie étalent détruites. J'étais dans la zone rouge. Encore deux ans et j'avais une cirrhose, irréversible. J'étais dans un processus d'autodestruction et je n'en avais rien à foutre. J'étais bouffi par l'alcool. J'avais pris 10 kg qui se manifestaient essentiellement sur les joues et sur le ventre. En cinq ans, je suis allé cinq fois dans une clinique de désintoxication pour décrocher. Quatre fois, j'ai rechuté dans les huit fours. La dernière a été la bonne. Je n'en pouvais plus d'être mal physiquement. Tout-Paris disait que je ne passerais pas l'hiver. Je ne pouvais plus me voir dans la glace, détruit par l'alcool. Ma fille me posait un ultimatum:'Si tu continues à boire, je veux plus te voir".

Renaud