Feuilleton de l'été 2010 - Feuilleton de l'été 2010  - Feuilleton de l'été 2010

Un "Journal de cure" à lire comme un feuilleton !

 En cure, Miette a tenu un journal pour ne rien en perdre. Journellement, elle nous fait découvrir ses joies, ses peines , ses angoisses et ses espoirs. Quotidiennement, je vous livrerais, un à un ses écrits.

 

 

 

"Mes premiers pas"

ou "Journal d'une cure"

copyright Juillet 2010.

 

En cure, j'ai tenu un journal pour ne rien en perdre, et pour ne rien oublier.
Aujourd'hui, je vous le livre.
Je suis prête à le faire.
Parce que ce témoignage peut en aider d'autres.
Du moins, je l'espère. -
Miette56

 

 

J+ 1/3/5/6/7/11

J+ 12/13/15/16/17/18

 J+ 22/24/25/26/28

19 Juillet 2010

J+1

Mercredi 20 janvier

Mercredi 20 Janvier 2010, LE CALME, J+1.

J'ai pris ce cahier au hasard, parce qu'il m'en fallait un pour « le CALME ».
Je viens de le relire.
Immobilité du temps. Neuf ans plus tard, rien ou presque n'a changé. Intérieurement, du moins.
[…]
Et moi je suis ici. Pour 29 jours. Au CALME.
29 jours pour soigner mon alcoolisme, 29 jours pour trouver des réponses qui sont toujours les mêmes. 29 jours pour me (re)découvrir, savoir qui je suis vraiment et comment me préserver.
 

Arrivée hier, en début d'après-midi, après plus de 4 heures de route.
Je devais partir à 6 heures du mat, pour être à l'heure aux admissions, à 10h30. Penses-tu.
On a tellement picolé avec F. que même à 10h, j'étais encore bourrée. Conduite un peu rock'n roll, émergence de mon brouillard éthylique au fil des kilomètres.
J'arrive. Je me présente. Des gros bras montent ma valise. Chambre « Jasmin », deuxième étage, à côté de l'infirmerie.
Je m'installe, vide toute ma valise, investit la commode, la table de nuit, le placard. Bref, je fais comme chez moi, ça me rassure.


Première perfusion. Je dois rester allongée, repos maximal. J'allume mon i-pod, j 'écoute Télémann en sourdine, les yeux clos.
Migraine latente. Gueule de bois. Je suis fatiguée. Mais sereine.
Le toubib est d'accord avec moi pour que je ne prenne pas de Valium.
Ca me va bien. Pas envie de vivre ma première semaine dans les lymbes du Valium. Pour moi, le sevrage physique est une formalité. Depuis Août 2009, j'ai bien plus de jours sans alcool à mon compteur que de jours avec. Mais je n'arrive pas à faire durer mon abstinence.
C'est pour ça que je suis ici.
Je ne veux résolument plus boire. Mais pour cela il faut que je comprenne ce qui me donne soif de façon si irrésistible.

Fin de la perf'. Je ne sais pas quoi faire. Je tourne en rond dans ma chambre, pas envie de voir les autres. Pas pour l'instant.
Je me rallonge avec un bouquin.
Fais connaissance avec ma voisine de chambre, Anne, arrivée la semaine dernière. Encore d.ans les vaps. Pas trop envie de causer, elle non plus, ça me va.

Repas du soir. Je m'assois à une table au hasard. Deux « anciens », Franck et Jean-François. Un « nouveau », Patrick. Silence. Chacun boit sa soupe les yeux baissés.
Ca me va aussi. Moi la bavarde, la cool, la marrante, j'ai décidé de la mettre en veilleuse. Je laisse venir. Je n'ai pas peur du silence. Parce que le silence n'est pas forcément une agression, une marque de dédain ou d'indifférence. Le silence, ici, c'est plutôt le marquage de son espace privé : « Je me tais, je suis avec moi-même, respecte-le. »
Je prends. Je m'approprie mon silence et celui des autres.
Ici, pour 29 jours, j'ai décidé d'être moi-même. Et cela commence par ne pas se sentir obligé e de parler quand on ne le veut pas. Ici, pendant 29 jours, je ne porterai pas de masque.
Pendant trois jours, nous, les « nouveaux », devons nous laisser servir à table. On ne va pas chercher les plats, on ne débarrasse pas, on ne fait rien. Là encore, je prends. Depuis combien de temps cela ne m'est-il pas arrivé ? Ne rien avoir d'autre à faire que s'occuper de soi, uniquement de soi ?
Puis, clope dehors. Je cause avec deux ou trois anciens.
Retour dans la salle à manger qui se transforme pour la soirée en salle de jeux. Belote, tarot, les équipes se forment.
Moi, je remonte dans ma chambre. Pas envie. Pas tout de suite. Je veux profiter au maximum de ce temps rien qu'à moi.
Je m'allonge, je bouquine. Il est tôt, 20h30 peut-être. Je n'ai pas de montre, je ne sais pas l'heure. Pas grave, c'est mon heure interne sur laquelle je dois me caler.
Le toubib passe, me file un somnifère. Rideau. Dodo.


Il fait encore nuit. Ca commence à bouger du côté de l'infirmerie. Je somnole encore un brin, puis me lève, en forme malgré l'heure matinale. Douche, médocs, petit-dèj.
Retour dans la chambre. Perf'. Je somnole en écoutant Saint-Germain.
Et là, j'écris.
Je me sens bien. Calme, fatiguée, motivée.
Je vais écrire à mes loulous, puis aller me boire un thé en bas.

Environ 17h.
Repas du midi un peu plus « causant ». Les langues se délient. On s'apprivoise, on commence à chercher à se connaître un peu.
A 14h, la perf', jusqu'à 16h. Elle ne coulait pas. Impossible de dormir, trop de bruits à l'infirmerie. Le Calme ? Tu parles ! …
Je suis allée me boire un thé, causette au fumoir (i.e dehors !!) avec deux nouveaux arrivants.
L'un qui a replongé, alcool et coke, après six ans d'abstinence. Jeune, le gars. Lucide. Désespéré.
L'autre qui peut rester plusieurs mois sans consommer, mais qui devient trop con quand il boit. Sa femme a porté plainte. Prison avec sursis. Obligation de se soigner.
Moi, j'écoute. Je ne m'imprègne pas. Chacun ici a son histoire. On ne partage pas, on se déleste.
Il y a une arrivante qui est dans un état d'errance incroyable.
J'espère qu'elle n'est pas dans mon groupe, elle me fait peur. Complètement paumée, le corps vidé de son âme, l'âme en vadrouille Dieu sait où. Shootée un max. Vont-ils parvenir à la ramener à al vie ? Ses yeux sont totalement vides. Gris, presque sans pupille, le blanc tout jaune, et la lumière éteinte. Bien habillée, sans doute très cultivée, mais si loin, si loin …
Quant à moi, je ne souffre pas. Je mets au ralenti. J'écoute Miles Davis en suçotant chaque note comme un bonbon.
Je me cherche. Je m'écoute. Je dois retrouver le lien, le liant avec moi-même. Je ne me suis pas perdue. Je me suis juste cachée en un coin de moi-même, recroquevillée et bâillonnée.
Il me reste 28 jours pour revenir à la lumière et retrouver la parole.
Sur ce, je crois que je vais écrire à Claire.

 

21h30.
L'heure du coucher approche. Je suis un peu restée en bas ce soir, causerie avec Stéphane, celui qui a de la taule avec sursis. On a bien ri. Lui, aux larmes. Moi, je délirais. C'était bien.
Celle qui est toute paumée, Astrid je crois, me regarde rire et sourire et ne comprend pas. Mais moi, je sais pourquoi je ris et je souris.
Parce qu'à la clé, il y a la liberté, ma Vie, la liberté de vivre ma vie dans le respect de moi-même.
Alors oui, je ris. Le temps est long ? Pas le droit de sortir ? D'avoir son téléphone portable ? De se coucher à minuit ? Et alors ! Rien ne me gêne, rien ne me dérange, tout ce qui est bon pour moi est bon à prendre.

J+3

Vendredi 22 janvier

Vendredi 22 Janvier 2010.

9h00.
Journée difficile, hier. Me suis laissée submerger par mes émotions.
Le jeudi est le jour de la réunion institutionnelle. Tous les pensionnaires sont réunis, ainsi que les trois psychos, les infirmiers et toubibs.
Présentation du fonctionnement du centre aux arrivants, explication du règlement et du pourquoi des règles.
Puis les groupe des « sortants » s'exprime. A tour de rôle, ils doivent se présenter succinctement et dire où ils en sont à quelques jours de leur sortie.
Très vite, le sortant se retrouve sous le tir croisé des trois psys, jusqu'à mettre en évidence le grain de sable qui grippe encore la machine. Le tout à demi-mots, sans que l'histoire personnelle de chacun ne soit trop compréhensible.
Un travail d'équipe incroyable, remarquable, où l'on sent une parfaite connaissance de chaque cas, une cohésion rare et une perspicacité irréprochable. Le tout avec beaucoup de douceur, d'humanité.
Et l'émotion monte par palier à chaque intervention. J'écoute, comme tous ou presque.
Je suis fascinée, subjuguée par cette descente en apnée au fin fond de soi, et dans les abysses les mains qui se tendent et la lumière qui chasse les ténèbres et les monstres marins.
J'ai envie de pleurer. Je me retiens. Non pas par pudeur, mais parce que ce n'est ni le lieu, ni le moment.
La réunion finie, je suis au-delà des mots. Secouée, bouleversée, épuisée par tant d'intensité. Rassurée aussi. Oui, ici les masques tombent, on se retrouve comme un oignon, soigneusement épluché, nacré de blanc, mais avec des larmes plein les yeux.
Je comprends mieux pourquoi le repos est si important la première semaine : ce qui nous attend dans les « bulles », la psychothérapie, va nous faire puiser dans nos ultimes réserves.


Ici, nos contacts avec l'extérieur sont limités au strict minimum.
Téléphones portables confisqués dès notre arrivée, on peut téléphoner mais sur un temps limité, l'extérieur ne peut pas nous contacter directement : ils appellent, l'accueil note le message et nous le remet ensuite.
Cela, je le savais. Je m'y étais préparée. Mais voilà, avant-hier soir j'ai un message de F. qui me demande de rappeler, problème à la maison sans préciser lequel. Je poiraute une demi-heure devant le téléphone en attendant mon tour, qui arrive enfin aux alentours des 21h. Personne. Ça sonne dans le vide. Je m'inquiète. A cette heure-là, il devrait forcément y avoir quelqu'un à la maison. J'appelle Laulau, qui ne décroche pas. Je lui laisse un message, demandant de contacter ma fille sur son portable, et de me tenir au courant.
Quelques instants plus tard, message pour moi : tout va bien à la maison, c'est le téléphone qui déconne. Bon.
Hier dans l'après-midi, message de ma fille : « Maman je t'aime, tu me manques beaucoup » et qui me donne le n° de téléphone de notre ligne internet.
Je me sens en manque, en manque d'eux.
Je mange donc à la hâte, arrive à décrocher la deuxième place dans la file d'attente. Je compose le numéro, le cœur battant.
« Le n° demandé n'est pas attribué... » Je ré-essaie deux fois, trois fois … puis fonds en larmes et vais pleurer dans la nuit, devant la mare aux canards.
Frustration de n'avoir pu leur parler.
Colère contre moi-même et mon hyper-sensibilité de môme. Envie de tout foutre en l'air, envie de boire, envie de partir. Je fume, je respire, parviens à retrouver un semblant de calme, décide d'appeler à nouveau Laulau pour avoir le bon numéro de téléphone, mais je sais aussi qu'il sera trop tard pour leur parler. Et je pleure. Et je m'énerve de pleurer, une ou deux pensionnaires tentent de me calmer mais je repars dans la nuit, dans ma nuit de colère et de solitude.
Puis je me suis couchée. J'ai mis la chanson « Hallelouiah » de Jeff Buckley, j'ai fermé les yeux, j'ai écouté de toute mon âme.
Puis l'infirmière est montée me transmettre un message de Laulau. Mais ça allait déjà mieux.

Ce matin, j'avais retrouvé mon calme. Je sais que je ne peux pas les joindre, mais peut-être que le centre me passerait exceptionnellement la communication si eux m'appellent ce soir. Je vais voir ça.
Je savais que ma grosse difficulté serait de m'éloigner d'eux. Ca me fait mal physiquement, pourtant cela fait partie de la thérapie, je dois l'intégrer absolument.


15h00.
Et voilà. De nouveau les larmes, de nouveau la colère même si j'arrive à me calmer plus rapidement.
J'ai demandé aux psys, si on pouvait me passer la communication, à titre d'exception.
La réponse est non. Sans surprise. Mais avec toujours autant de frustration. Je suis arrivée à ne pas pleurer devant eux, à sortir du bureau à peu près dignement. Ai pleuré dehors en fumant une clope. En m'interrogeant sur ces larmes de petite fille, sur leur légitimité, sur ma légitimité à être ici, la nécessité de.
Qui suis-je ? Adulte ou petite fille larmoyante ? Alcoolique réellement ou venue ici par caprice ? Ai-je le droit d'être ici ? Y ai-je ma place ? Moi qui n'ai ni les yeux ni les doigts jaunes, moi qui n'ai pas besoin de Valium pour me sevrer ?
Et pourtant je consomme trop d'alcool, et mal. Et pourtant je ressens la réelle nécessité d'une abstinence à vie, et l'impossibilité d'y arriver seule.
A ce titre, je suis « dans les critères ».
Alors pourquoi tous ces pourquois ? Pourquoi l'impression tenace de n'être à ma place nulle part, alors qu'après trois jours tout le monde me fait la bise et que j'ai retenu presque tous les prénoms ? Pourquoi mon perpétuel sourire et ces larmes si soudaines, si systématiques, si impossibles à endiguer ?
27 jours. Ou 26, je ne sais déjà plus.
Trouver les réponses. Absolument.

20 Juillet 2010

J+5

Dimanche 24 janvier

Dimanche 24 Janvier, 10h00.


Le groupe. Super-important ça, le groupe.
Moi, je fais partie du groupe jaune, nous sommes neuf. Les huit autres arrivants sont verts. Les plus anciens sont rouges, bleu ou je-ne-sais-quoi, suivant leur semaine d'entrée.
C'est avec ce groupe que j'effectuerai ma psychothérapie. Ce qui se dira en groupe, les histoires de chacun, appartiendra au groupe et n'en sortira pas.
Huit gars, une fille, moi. Les femmes représentent 1/10e de la population, ici. Mais ça se passe bien. Les relations amoureuses étant interdites sous peine de rupture de contrat donc d'exclusion immédiate, nous sommes des êtres unisexes, nous sommes des pensionnaires du Calme, point.
Mon groupe, donc.
Stéphane, boulanger.
Mathieu, musicien.
Jean-Paul, arrivé vendredi bien chargé au whisky, pour sa deuxième cure au Calme, la première remontant à 2005.
Christian, la quarantaine assurée de ces gens ayant femme-enfants et situation professionnelle. Alcool et cannabis.
Paul, qui atterrit seulement un peu maintenant. Fait les cages d'escaliers pour l'OPAC, dans je-ne-sais quelle cité. S'inquiète déjà de devoir refuser les canons qu'on lui offre à chaque palier. Il fait sept cages d'escalier, cela expliquant son état !
Il m'en manque deux. Je ne sais plus. Je verrai bien. Je suis globalement contente de faire partie de ce groupe et non de l'autre.
Deux « entrants » me faisaient peur, chez les verts : Yves, la soixantaine bedonnante qui, bien que planant à douze cents pieds, regarde tout le monde de haut et croit tout savoir sur tout alors qu'il ne fait que recracher d'affreux préjugés et d'hideuses phrases toutes faites. Mais surtout, qui n'a pas la décence de se taire au bon moment. Bref, un gars qui ne respectera jamais les autres, à grand peine les membres de son groupe.
L'autre, Michel, arrivé mercredi je crois. Entre black, arabe et blanc, on ne sait pas trop à le voir, guadeloupéen d'Aubervilliers, méprise tout ce qui ressemble de près ou de loin à une règle ou une contrainte. Tchatcheur, gouailleur, le genre à tirer la couverture à lui en bulle et parler des heures pour ne rien dire. Mais pas méchant, au demeurant.
Bref, je crois que je serai mieux avec « mes » jaunes.

Ici, le brassage social est un régal de l'oeil.
La comtesse mange en face du banlieusard. Elle est allée au village acheter un plateau à fleurs, de la porcelaine fine et une petite cuillère ciselée. Lui mange la cigarette à l'oreille, casquette à l'envers.
Astrid, l'ombre aux yeux gris, reprend un peu de densité et semble réintégrer son corps. Dame de la haute, Papa lui cherche un appartement à acheter dans le XVIe. Papa l'a placée ici mais enfin, vu le temps qu'il fait n'aurait-elle pas été mieux dans le sud en cette saison ?
Bref, Astrid la haute-bourgeoise mange aux côtés de Didier, l'ancien SDF que la rue a marqué au fer rouge. Elle, thé et yaourt sans sucre pour son petit déjeuner, lui, une baguette ouverte en deux dans le sens de la longueur, trempée à même dans le bol de café.
Le cadre dynamique à côté de l'agent d'entretien. Etc.
Je trouve ça très chouette, ce genre de choses ne peut exister qu'ici.
Ici où nous ne sommes plus que nous-mêmes.

J+6

Lundi 25 janvier

Lundi 25 Janvier, 13h.

Putain de putain de putain.
Faut vraiment pas que j'approche de ce putain de téléphone. Ca me fout systématiquement dans tous mes états. Putain de bordel de putain de merde.
Et soi-disant ils sont disponibles, si y'a un problème faut pas hésiter à en parler, on est toujours là. Ouais, ouais. Bien sûr.
Bon sang ce que c'est dur. Je rame, là. C'est physique. Je suis une bombe, je suis prête à l'explosion, et nulle part où aller autre que ma chambre, grande comme un mouchoir de poche. Marcher, faire le tour de l'étang ? Tu parles, tout le monde te mate, même à l'autre bout de cette foutue mare tu sens le poids de tous les regards.
Suis allée à la buanderie, là c'est à peu près à l'écart et s'il n'y a personne tu peux t'isoler un peu. J'ai plié rageusement mes chaussettes et mon pantalon mais après ? Où aller ?
Direction ma chambre, en larmes. Je déteste pleurer, et qui plus est pleurer devant les autres. J'ai balancé mes fringues sur mon lit, j'ai fait les cent pas en essayant de me calmer, je me suis mise la tête sous l'eau froide, je me suis préparée une quinzaine de clopes avec ma machine à tubes, je suis
ressortie fumer sur le palier, j'ai pas fini ma cigarette parce qu'un pensionnaire est venu me rejoindre et que, franchement, j'ai pas ENVIE de faire la causette. D'autant qu'en deux jours j'en suis à 5 parties de Scrabble et à peu près autant de tarot.
Bref, il m'a fallu tout ce temps pour reprendre suffisamment de contrôle pour pouvoir écrire.
  1. M. m'a dit ce matin que c'était dur, que F. passait son temps à râler, puis lui me bassine avec des histoires de courrier et de commandes. Pour finir il m'annonce que B. s'est ramassé un point de suture à la pommette en tombant contre l'angle de son lit, parce qu'il avait fait le con toute la journée. Et qu'il n'arrêtait pas de dire que je lui manquais.
    Bref, tout ce qu'il ne faut pas. Rester « centrer sur soi-même » ?
    Putain de bordel de merde. Ma vie, ma famille ne m'ont pas été livrées avec un bouton ON/OFF.
    ON, je suis avec eux, OFF je suis en cure. OFF ils n'existent pas, ils ne sont pas là, ils ne vivent rien ou du moins rien de ce qu'ils vivent ne peut me toucher.
    Merde, comment est-ce que ça peut fonctionner comme ça ? COMMENT ??
    M. me dit qu'elle m'a envoyé des textos. Je lui explique qu'elle peut me laisser des messages sur mon portable vu que je peux le consulter quelquefois. C'est-à-dire quand les infirmières sont dispos. C'est-à-dire quasi jamais. Mais bon.
      1. Alors cet après-midi, je vais consulter mes messages. Pas de textos de M., mais un message d'IKEA qui doit nous livrer une cuisine.
        Je veux donc appeler F. pour le lui transmettre, j'attends que le téléphone se libère et là, la secrétaire me dit : « Désolée, je ne peux pas te passer la communication, on est en réunion, ce sera pour plus tard. » Enfin, je ne suis pas sûre de la fin de la phrase, vu que je suis partie en vrille, j'ai lâché un truc du genre « Putain, système de merde ! ...' » et suis partie exploser, ou du moins limiter au maximum les dégâts, dehors.

Cela dit, je me rends bien compte que le problème est de taille et justifie presque à lui tout seul ma venue ici. Atlas porte le monde sur son dos. Et moi, tel un Atlas, je porte ma famille sur mes épaules.
Et là, je me casse vu que ma colocataire, tout gentille au demeurant, vient d'arriver. Fait chier. Jusqu'au bout du bout, fait chier.

17h30.
J'ai toujours été hyper-émotive. Hyper-tout, en fait. Mais hyper-émotive, ça oui. Et ici, cette foutue hyper-émotivité me tombe dessus comme un urubus sur sa charogne.
Je suis redescendue pour me boire un tilleul, non sans avoir fait deux fois le tour de l'étang avec exercices de respiration à l'appui pour être sûre d'être OK. Ouais. On me dit deux phrases. Deux. Pas plus. Gentilles, en plus. Et me revoilà avec les larmes qui roulent sur mes joues, impossible à contenir, ces saloperies. Et pourquoi ?
Pourquoi ? Parce que je n'ai pas pu téléphoner ? Ben non. Ce serait trop beau, et surtout trop con.
Parce que j'ai une trouille bleue. Derrière ma colère, en fait, se cache la peur. Une peur énorme et sans nom.
Peur que sans moi explose mon monde. Et si c'était possible ? Si c'était pour ça que je redoutais tant de venir ici, finalement ? Si cette peur ne m'avait jamais lâchée ?
Oui, j'ai peur. Peur que F. n'arrive pas à trouver ses marques sans moi, peur que M. et B. n'en sortent pas indemnes.
Déjà, B., c'est fait. Et chaque fois que je verrai sa cicatrice sur son visage, celle-ci me dira inlassablement que c'est parce que j'étais ici au lieu d'être AVEC EUX.
Et s'ils se cabossent l'âme et que ce ne soit pas réparable ?
Et si je ne veux pas (et JE NE VEUX PAS !) reprendre cette place centrale et cette vie de Titan ? Et si cela aboutit à l'explosion du couple ? Et si... et si ??
Merde, merde, merde et merde ! Où sont donc tous ces foutus psys ?

J+7

Mardi 26 janvier

Mardi 26 Janvier, 10h.

Ici, on pratique la SOMA. Pour l'instant, je ne sais pas trop ce que c'est, à priori des techniques de relaxation. On va y être « initiés » cet après-midi.
N'empêche, tous les jours la cloche sonne à 18h, et là, réintégration des chambres pour tout le monde, on s'allonge sur son lit, on éteint la lumière. Le silence envahit la grande maison, et ceux qui connaissent la SOMA sont censés la pratiquer, les autres se détendent comme ils peuvent.
Moi, je me suis fait mon truc. D'abord, la respiration. J'essaie de bien sentir les 5 respirations : bas-ventre, ventrale, pulmonaire, claviculaire et les quatre ensemble.
Je gonfle en partant du bas-ventre jusqu'aux épaules, je vide en redescendant des épaules au bas-ventre.
Puis, je fais le « voyage de mon corps ». Je pars de mon crâne, pour redescendre jusqu'aux orteils en essayant de n'oublier aucun membre.
Si je me place dans l'oreille gauche, je dois sentir mon oreille gauche, écouter ce qu'elle entend. Si je me place dans mon nombril, je dois le sentir bercé par le mouvement régulier de mon ventre qui se gonfle et se dégonfle à chaque respiration.
Puis je remonte lentement pour finir par essayer de sentir mon corps dans sa globalité.
Hier soir, seul cet exercice a su ma crise de larmes. Etla soirée a pu reprendre son cours normal.


Aujourd'hui, c'est le jour du grand chambardement.
Tous les mardis, nous changeons de chambre et de table. Le but étant d'être toujours à la découverte et à l'écoute de l'autre, faire partie du groupe sans développer des relations trop privilégiées avec quelques-uns.
Donc, debout à 6h du mat, douche, refaire ma valise, défaire le lit, puis s'installer deux chambres plus loin avec une autre pensionnaire.
Je suis avec Astrid. Elle atterrit doucettement, j'espère que ça se passera bien. Même si son regard fixe m'effraie toujours un peu.
Aujourd'hui, nous allons également accueillir huit ou neuf arrivants.
Mardi, c'est le jour des entrées et des sorties, et les huit qui se sont exprimés jeudi lors de la grande réunion vont nous quitter et retourner à leur vie.
Dans un instant va commencer notre première activité de groupe : une séance d'information sur l'alcool.
Aujourd'hui, j'ai reçu une lettre de Claire.
Aujourd'hui est une belle journée.

 

J+11

Samedi 30 janvier

Samedi 30 Janvier, 20h15.

On m'attend pour jouer au poker. Mais là, il faut que je prenne un peu de temps pour écrire. Essayer d'y voir plus clair.
La psychothérapie a démarré. Ca s'appelle « la bulle » parce que ça se passe dans une structure à forme d'igloo, de l'extérieur on dirait un mamelon, à l'intérieur c'est incroyable : une pièce petite, ronde, éclairée par un vélux et la porte d'entrée vitrée. On s'y sent tout de suite à l'abri, couvé, protégé.
Mes six compagnons de bulle et moi-même nous sommes présentés à tour de rôle, avons déjà un peu parlé de nous et du parcours avec l'alcool qui nous a amené au Calme.
A la seconde bulle, Christian a parlé de lui, révélant une enfance solitaire et sans amour. Puis Paul, notre technicien de surface. Il ne parle pas sans pleurer.
Jusque là, j'écoute. Je pense m'exprimer lundi. Je crois que je suis à peu près prête, de toutes façons il faut que je me lance.
Je n'ai pas envie de m'appesantir sur mon vécu, je l'ai déjà bien retravaillé avec la psy du CCAA, mais plutôt de poser la question qui me taraude, qui ne cesse de résonner en moi depuis que je suis ici, et chaque jour un peu plus fort : QUI SUIS-JE ??
Je ne fais que porter des masques, à chaque masque le costume qui va avec, à chaque costume le langage, la posture. Je joue des rôles, des personnages. Aucun d'eux n'est vraiment moi, ne l'a jamais été. La petite fille sage, s'imprégnant jusqu'à l'écœurement de la Comtesse de Ségur, alors qu'au fond d'elle trépignait le « garçon manqué » qui aimait aller à la pêche et aux champignons. L'enfant coléreuse qui rêvait de tendresse en même temps qu'elle hurlait.

Je pense que mon adolescence, bien que difficile par ce que j'ai vécu, fut le moment où j'étais le plus proche de moi-même : libre de penser, d'élaborer ma propre vision du monde, ma propre philosophie, reconnue par mes professeurs, intégrée par mes pairs.
Puis la femme, alors que je ne me sens pas femme, du moins rien en moi ne correspond aux clichés féminins. Ici, ça me va très bien, les relations amoureuses étant proscrites, je suis asexuée.
Quand je suis mère aussi, je ne porte pas de masque. Je ne me pose pas de question, je fais avec mon cœur.
L'épouse. Alors là ça coince. Ca coince sévère. Il paraît d'ailleurs, aux dires de M. que j'ai eu au téléphone ce soir, que F. est complètement remonté contre moi. Qu'il veut me parler dès mon arrivée, que j'ai « intérêt à être reposée ».
Ben oui, les problèmes ont beau rester entre parenthèses pendant un mois, ils m'attendent à la sortie.
Enfin bref, voilà bien un rôle où je ne suis pas moi-même, d'ailleurs en témoigne l'angoisse qui me prend aux tripes dès que j'y pense.
Et professionnellement. Que de costumes endossés, pour le coup. Que de personnages joués, tantôt bien tantôt mal, mais tous si loin de moi, tellement loin !
Et me voilà aujourd'hui, avec ces personnages qui dansent en rond, ronde tragi-comique, assourdissante, car ils sont tous là. Alors je me sens éparpillée, fragmentée, et je ne sais plus.
Comment dire tout ça en « bulle » ? Comment leur faire comprendre ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas. Ca me pèse, je pèse mille tonnes, j'ai mille ans, je suis vieille comme le monde, le sable de ma vie coule entre mes doigts, il faut trouver la brèche et la colmater.
Il faut que je me trouve et ne plus souffrir. Enfin.

Devant le succès de ce feuilleton, nous avons pris la décision de faire sortir une Édition du Soir , spéciale  Mes Premiers Pas .

Voici donc la suite .....

 20 Juillet 2010 - The Maah du Soir

 

 

J+12

Dimanche 31 janvier

Dimanche 31 Janvier, 16h.


Je viens de me faire une grosse sieste, j'ai fumé une clope à la fenêtre de ma chambre (interdit, ça) en écoutant la voix de granit de Jacques Higelin. J'ai mille fois plus d'émotion à l'écouter lui qui si j'entendais la voix de mon propre père au téléphone. Pas normal ça, non ? Pourquoi ce mec que je ne connais pas mais qui me guide depuis plus de vingt ans me procure plus d'émotions que mon propre père ? La psy, Elyse, dirait qu'il y a là un truc à creuser. Tu parles, Charles.


Mes parents existent et pourtant je me sens orpheline. Depuis si longtemps. Ils sont aussi réels et existants que ces arbres autour de l'étang que je vois de ma fenêtre, mais on n'aime pas des arbres.
Je leur ai écrit. A J+10. La même lettre pour mon père, ma mère, mon frère. Où je leur explique mon alcoolisme et ce qu'est l'alcoolisme : « ni un vice, ni une tare, mais une maladie... » Etc. J'ai essayé de les déculpabiliser, demandé de ne pas me juger. Mais ils doivent savoir. C'est la moindre des choses.
L'alcoolisme fait partie de mon identité. C'est même la seule chose me concernant dont je suis sûre, la seule affirmation que je puisse faire aujourd'hui : « Je suis alcoolique. » Je le sais, j'en suis sûre.
Je pourrais dire aussi avec la même certitude : « Je suis une mère. »
C'est tout.
C'est dimanche.
Les dimanches sont longs et tristes, ici.
 

J+13

Mardi 2 Février


Mardi 2 Février, 15h.

Ce matin, discussion passionnante avec Lyselle, l'une des toubibs (ils sont trois, une femme et deux hommes), avec une petite partie de notre groupe, sur les fauteuils devant la cheminée, totale improvisation.
Elle a dit deux choses qui, je crois, vont s'avérer vitales pour moi.
Premièrement : le malade alcoolique ne peut que progresser : si il stagne, il tombe. La personne non-alcoolique peut stagner et végéter toute sa vie, ça ne la mettra jamais en danger. La personne alcoolique n'a d'autre choix que d'avancer : point de stagnation possible, sinon c'est la descente aux enfers.
Progresser, ou chuter.
Ca me va.


La deuxième est bien plus complexe.
Il y a quatre facteurs dans notre vie qui doivent s'équilibrer : le biologique, le psychologique, le social et le spirituel. L'un des quatre fait défaut, et s'ouvre la porte de l'alcoolisme. Je m'explique :
1) le biologique. Une exemple simple : prenons trois mecs, sur une année, qui consommeraient exactement la même quantité d'alcool aux mêmes fréquences. Les trois ne deviendraient pas tous pour autant alcooliques, parce que nous ne sommes pas égaux face à l'alcool, comme devant aucune autre maladie
2) le psychologique. Pas la peine de rentrer dans les détails, ça tombe sous le sens. L'alcool est le médicament de la peur, de la dépression.
3) le social. Les parents buvaient, ou bein tous nos potes sont des buveurs, etc.
4) le spirituel, qui ne signifie pas forcément la foi ou la religion, mais plutôt le sens que l'on donne à sa vie. Si il y a perte de sens, alors pourquoi ne pas boire ?


L'un de ces éléments au moins fait défaut, et c'est la porte qui s'ouvre. Survient l'alcoolisme. Puis, une continuité dans l'alcoolisme. Jusqu'à ce que l'alcoolisme affecte à son tour ces éléments :
1) le biologique : le foie s'engorge, la travail chimique se dérègle, fabrication de la THP, etc.
2) le psychologique. l'alcool ne soulage plus les peurs, mais entretient ou créé au contraire la dépression, si elle n'existait pas avant.
3) le social : notre alcoolisme nous coupe des autres, de nos amis, de nos collègues, de notre famille.
4) le spirituel. Notre vie perd tout son sens, nous sommes dans le noir.
Pour soigner l'alcoolisme, il faut donc réintégrer et ré-équilibrer ces quatre piliers fondateurs.
1) le biologique : sevrage physique, relancer la machine, nettoyer son corps puis e prendre soin, ne jamais réintroduire de poison dans ce corps.
2) le psychologique. Trouver la faille, la fracture, la réponse à : "Pourquoi ai-je eu besoin de l'alcool médicament ? Que soulage-t-il en moi ? De quoi ai-je peur ?"
3) Le social. A l'évidence, nos fréquentations ne sont plus les mêmes lorsque l'on dit qu'il n'y a pas d'alcool à la maison. Et puis, seul un alcoolique peut en comprendre un autre. Lyselle insiste donc sur la nécessité absolue de rejoindre à la sortie de cure un groupe de paroles, quel qu'il soit.
4) le spirituel. Redonner un sens à sa vie. Sans nécessairement chercher midi à quatorze heures. Pour elle, c'est se lever le matin et se dire : "Aujourd'hui, je vais prendre soin de moi pour pouvoir prendre soin des autres."
Elle a parlé d'elle avec beaucoup de sincérité. Peut-être a-t-elle été alcoolique, mais je ne crois pas. En tous cas, elle est comme nous, c'est-à-dire trop et trop fort dans tout : dans l'amour, la colère, le boulot, etc. Et elle vit comme nous : pas une goutte d'alcool, jamais. Ni chez les autres, ni chez elle, même pas une boutanche si elle invite des amis. Et même quand elle va se faire soigner chez d'autres toubibs, elle insiste bien sur le fait qu'aucun produit ne doit contenir de l'alcool.
Du coup, ce ne sont pas des paroles en l'air. Elle est comme nous et ça, ça me parle.

J+15

Jeudi 4 Février

Jeudi 4 Février, 17h.
Troisième jeudi, troisième réunion institutionnelle (le prochain, ce sera nous, les « sortants », puis ciao bye bye. Déjà. Enfin) et c'est bizarre, l'histoire des sortants me touche de moins en moins.
Serait-ce parce que j'avance de plus en plus sur mon propre chemin que les mots des autres me touchent moins ? Peut-être.
Mon histoire se referme sur moi et me rend un peu sourde aux autres, imperméable. Et puis là, je suis un peu en colère et suis partie avant la fin. M'âme la Comtesse déblatère et ça m'énerve.
J'ai avancé sur le quatrième ingrédient du « gâteau » : le sens de ma vie.
Réponse évidente, étincelante d'évidence mais j'en connais maintenant la nécessité absolue : l'écriture. Le sens de ma vie, c'est ça, ça l'a toujours été. Les premières pages de ce cahier le criaient haut et fort, et c'était il y a neuf ans. Depuis que je sais écrire, je veux écrire. Alors ? Qui ou quoi m'en empêche ? Pourquoi me le suis-je interdit depuis tout ce temps ? Peur de réussir ?
Peu importent les réponses. Aujourd'hui je ne me laisse plus le choix. Progresser ou chuter. J'ai compris.
Et puis, les hasards des rencontres. Mathieu, le zicos, veut se remettre le pied à l'étrier, sérieusement. Et il cherche un parolier. Bingo. Ca sent bon le boulot, ça.
Donc, l'objectif concret, en rentrant, est limpide. Une à deux heures d'écriture tous les jours, en priant que ce soit comme le vélo, que ça ne s'oublie pas.
Je vais essayer de lui proposer plusieurs textes jusqu'à ce qu'on trouve un style qui nous convienne à tous les deux.
Et puis, exercices chaque jour, de ceux que j'ai appris en écriture de scénario : retranscrire en dialogue des conversations de la rue : bistrots, files d'attente, … Piocher trois mots au hasard dans le dico et en faire une nouvelle. Développer un fait divers. Relire mes classiques, poésie et théâtre, décortiquer la construction des bouquins, bref bosser sérieusement. Au moins deux heures par jour, TOUS LES JOURS.

En bulle, j'ai aussi avancé même si j'ai l'impression d'être en plein brouillard. En fait, c'est que je ne veux pas creuser, éclaircir. Pourtant, il le faut. Je me suis longtemps focalisée sur ma mère, mais en fait c'est sur la figure du père qu'il faut que je réfléchisse. Et rien que d'y penser, ça me tord le ventre.
J'ai décris mon père comme irresponsable : sa femme l'a manipulé et il est Témoin de Jéhova, il m'a demandé, non JE lui ai « accordé » l'autorisation de divorcer, comme si là encore il ne prenait pas ses responsabilités.
Et ce fameux soir où il m'a demandé si C. pouvait venir...

Après, ce n'est que du copié collé. Pas étonnant que je place les hommes de ma vie dans des positions où ils ne PEUVENT PAS être responsables.
Puisque moi je m'occupe de tout.
Copié collé, je photocopie mon père, en gros.
Waouh. Voilà ce que ça fait, la bulle. Ca secoue grave les neurones.

J+16

Vendredi 5évrier

Vendredi 5 Février, 11h.

On sort de la bulle, là.
Elyse est arrivée à me faire sortir un de ces trucs !... Et pourtant, je ne voulais vraiment pas y allée, par là.
[...]
Waooh. Et maintenant je fais quoi avec ça, moi ? Comment je regarde les autres de la bulle, les dépositaires de mon secret, tous des hommes ? Comment je me regarde, moi ?
Je suis dans ma chambre, je pleure, j'ai mal, je ne peux même pas écouter ma musique, partout il y a du monde, du bruit... Je voudrais être seule. Je crois que je voudrais mourir.

15h30.
J'ai hurlé mais en gardant mon cri dans ma gorge. A m'en faire péter les cordes vocales. Je me suis mordue la main, pour que ça ne sorte pas, pour avoir mal concrètement, physiquement, quelque part.
J'ai été furieuse contre Elyse. Pourquoi m'a-t-elle fait parlé de ça ? Je ne voulais pas. Je ne voulais pas.
Tout vole en éclats. La carapace que je me suis construite soigneusement, consciencieusement au fil du temps. Volée, arrachée. Je ne voulais pas parler de ça.
Pourquoi je veux être aussi forte, voire plus forte qu'un homme ? Pour cacher ma faiblesse. Pour me protéger. Et ça ne marche pas. Je ne peux plus me revendiquer de cette force-là. Mais je ne sais pas non plus être une femme.
Elle m'a dit que je l'avais bien cachée tout au fond, au plus profond, la petite fille en colère et qui a peur.
Oui, je le sais. Mais à quoi ça sert de la faire ressurgir ? Ca me fait mal et c'est tout; Ca n'avance à rien. Et ces putains de larmes …

« D'où tes questions : « qui je suis ? »
- Oui. Je ne sais toujours pas.
- Si, Sophie. Tu sais qui tu es.
- ...
- Mais tu as peut-être peur. »
Et maintenant ? Elle remue la vase, soulève le couvercle et puis, parce que c'est l'heure, il faut tout arrêter. C'est pas possible, ça.
Stéphane vient de sortir de ma chambre. Il est venu essayé de me consoler. C'est gentil. De toutes façons ils sont tous adorables. Mais moi, comme une conne, ça me fait pleurer encore plus.


Toutes les barrières, toutes les protections que je me suis construites, tout s'est cassé d'un coup. Je sais bien que ce n'était pas les bonnes, que ça ne marchait plus sinon je n'aurais pas eu recours à l'alcool. Mais là, je n'en ai plus aucune. Et si je me laisse submerger, c'est la folie. Peut-être que tout ce temps-là, j'ai lutté contre la folie, contre cette envie de me mordre et de me déchirer et de me taper la tête contre les murs jusqu'à l'explosion, et ces envies reviennent au grand galop.
Il ne fallait pas faire sauter le bouchon. Surtout pas. Maintenant c'est trop tard et j'espère juste que j'y survivrai.

J+17

Samedi 6 Février

Samedi 6 Février, 16h30.

Je viens de me réveiller d'une sieste de trois heures. Pendant que je dors, je ne réfléchis pas. Même si je rêve et que c'est pas des vacances non plus, mes rêves.
Miracle. Je peux vivre sans armure, il semblerait. Je n'en suis pas bien persuadée mais dans les faits, ça marche. Puisque je suis là, vivante.
J'avance encore. Je comprends certaines choses. Cette peur que j'ai, le déclencheur de tout : peur d'être folle comme ma mère et surtout, surtout, la peur de cette pulsion de non-vie qui m'habite.
Je m'explique. Je suppose que pour la plupart des gens, le fait d'être là, d'être vivant rend la vie, leur vie, évidente. Pas pour moi.
Depuis mes onze ans, je n'aime pas la vie. Je vis par obligation, bienséance, bonne éducation, pour faire comme les autres, et puis parce que je ne suis jamais arrivé à trouver la force d'y mettre fin. Parce que mes réflexes archaïques de survie sont plus forts. Oui, voilà, je vis par réflexe, parce que mon corps est programmé pour ça. Ma tête, non.
De 11 à 13-14 ans, mes crises de tétanie. Je les appelais en mon for intérieur « la petite mort ».
Puis mes scarifications aux poignets. Puis le tabac, l'alcool : suicide à petit feu, ma TS et tout ce temps, tout ce temps passé à penser à la mort. Ma mort. Elle est là, ma folie cachée, ma faille originelle, mon hiatus.
Les pièces du puzzle s'imbriquent. Ces parenthèses de bien-être tant que je suis enceinte et que j'allaite. Parce que là, je vis pour mon bébé, je sais pourquoi je vis. La reprise du tabac et de l'alcool sitôt le bébé sevré. Toutes mes barrières et mes protections étaient là pour m'aider à faire semblant d'avoir envie de vivre, pour m'en persuader.
Et ça ne marche pas. La pulsion de non-vie est là, bel et bien là, elle ne m'a jamais quittée.
Alors là encore, maintenant, je fais quoi avec ça ? Dix jours vont-ils suffire à la transformer en pulsion de vie ? Putain c'est bizarre, mais j'y crois pas, là. Ou alors ils sont magiciens. Des putains de bons magiciens.


22h45.
C'est comme si je faisais un saut à l'élastique.
Je suis volontaire. Je suis montée toute seule en haut du pont, puis sur le parapet. On m'a harnachée.
Au tout dernier moment, j'ai eu peur de sauter. On m'y a un peu aidée. Là, je suis en chute libre. Faire confiance en l'équipement.
Le harnais, c'est Elyse. Ca c'est bon, c'est du costaud.
L'élastique, c'est moi. Trop long, abîme, et je me scratche.
Mais je sais, ce soir, que l'élastique est pile poil à la bonne longueur.
Après la SOMA, m'est venue cette phrase comme un phare dans la nuit : « Maintenant, j'ai le choix. »
Oui, maintenant j'ai le choix. De vivre. Ou non.
A moi de régler l'élastique

J+18

dimanche 7 Février

.Dimanche 7 Février, 10h30.
Je continue à chuter. C'est interminable, vertigineux. De nouveau, la peur revient, le doute. Dans le silence et l'entière solitude de ma chute.
Aujourd'hui c'est dimanche, et ce dimanche là sera interminable. Encore plus que les autres. Je ne peux pas aller au bourg, j'ai une poussée inflammatoire.
Je voudrais écrire mes les mots ne viennent pas. Saloperie. Avec tout ce que j'ai dans la tête, je pourrais écrire jusqu'à la nuit des temps mais rien ne vient, rien, que dalle. Il suffit que j'y pense pour que ce soit le silence radio. Ou presque. Hormis deux-trois merdes qui n'ont aucun sens, aucune beauté, rien que je puisse travailler.
Avec Mathieu, on doit parler boulot en début d'après-midi. J'aurais voulu écrire un truc, au moins un, pour lui montrer ce que je sais faire. Rien. Que dalle. Alors que je viens d'écrire une belle lettre à une copine d'Atoute.
Fait chier. En plus, ça me changerait les idées. Mais non. Rien ne vient et ça me prend la tête. Peut-être essayer l'écriture automatique. Laisser couler la merde. Voir ce que ça donne.
Bon, je vais me fumer une clope et je m'y colle, sur feuille volante.


16h30.
Je suis arrivée à pondre un truc. Bien mais peut mieux faire. En tous cas, ça plait à Mathieu. On a parlé boulot : musique, projets. Échéance : 2011. Objectif : douze titres, parmi un choix de 20 textes environ.
Ca sonne concret. Ca nous redonne la pêche. On s'est fabriqué des endorphines pendant deux heures, et ça fait du bien. Y'a plus qu'à.

 

J+20

Mardi 9 Février

Mardi 9 Février, 15h30.

Les « partants » partent. Vu que je n'aime pas les au revoir, je préfère être ici, dans ma chambre.
Bulle ce matin. J'ai parlé, raconté ce que j'ai écrit ici. Mon manque d'envie de vivre.
Elyse m'a dit que ce n'était pas ça. L'alcool m'a aidé à vivre, et ça prouve mon envie de vivre. Raisonnement mathématique. C'est imparable.
Puis. Ce regret d'une autre vie que j'aurais pu avoir (en suivant des études) n'est peut-être pas le mien, mais celui de ma mère. Exact. Elle regrettait effectivement une autre vie qu'elle aurait pu avoir avec un autre homme que mon père.
Et enfin. Ma peur et mes angoisses ne sont en fait pas les miennes, mais celles de ma mère. Incrédulité. Soulagement : je porte depuis des années les valises de quelqu'un d'autre ? Y'a qu'à les lâcher et ce sera bon ? Pas si simple. Question posée : quel(s) bénéfice(s) ai-je à prendre ses peurs et ses angoisses ?
Question. Question. Question. Question. Question. J'en sais rien. Je ne le savais pas, je n'y avais jamais pensé, j'en sais rien du tout. Jusqu'où cela me mènera ? Jusqu'à quoi ?
Au passage. Je ne m'autorise pas à montrer que je vais mal, à aller vers l'autre pour dire que je vais mal (et du coup j'en veux à l'autre de ne pas comprendre que je vais mal). Explications dans la peite enfance, quand le bébé que l'on est n'obtient pas ce dont il a besoin.
Plus ça vient et moins je comprends. Tout ce que je sais, c'est que je me sens toujours aussi mal.
Et puis dehors, il neige, et ici même la neige est moche.

 

21 Juillet 2010

J+22

Jeudi 11 Février

Jeudi 11 Février

11h45.
Putain. Trois jours. Il m'a fallu trois jours pour percer l'abcès. C'est fait.
La souffrance augmentait d'heure en heure, c'était intolérable. Lyselle, la toubib, m'a appelée « le Volcan « . Aurélien, Tristan, Elyse, ils s'y sont tous mis. A me seriner que j'avais le droit d'être en colère, qu'il fallait que je l'exprime ici, au Calme, qu'elle sorte ici pour qu'elle me foute la paix dehors.
Rien ne sortait. Rien. Ca montait. Je serrais les dents. Chauffée à blanc.
Je suis allée parler à Aurélien. Je lui disais que j'étais en colère. Le déclencheur : les courriers reçus de ma mère, de mon père (six mots en tout et pour tout), de mon frère. Je lui disais cela d'une voix blanche, mais calmement.
Colère contre mon père. Surtout lui. De n'avoir rien vu, rien fait, de s'être protégé lui au lieu de me protéger, moi.
Et Aurélien me disait que si j'avais peur de me mettre en colère, c'est parce que j'attendais encore quelque chose de lui : de l'amour. Que tant qu'il y aurait de l'attente la colère ne viendrait pas. Mais qu'à étouffer cette colère, à vouloir sans cesse la contrôler, j'étouffais en même temps tous mes autres sentiments. Et ça ne pouvait pas être tenable.
Hier soir, je ne suis pas allée manger. Trop secouée par la lettre de mon frère, qui me tend la main avec toute la maladresse dont il est capable. Et la colère, la douleur à l'état pur, continuaient à monter.
Réveillée et levée à 6h, ce matin. Toujours ce poids. J'en avais plein le bide, plein l'estomac.
Et puis une lettre pour moi. L'écriture de C., l'adresse de C. Je savais avant de l'ouvrir qu'il n'y aurait pas un mot de mon père.
Je l'ai lu.
Et la grenade s'est dégoupillée.
Putain, comment peut-on être aveugle à ce point ?
Un... Deux... Trois... Quatre...
Et la voilà qui ose s'interroger, m'interroger sur l'authenticité de l'amour que je porte à F. et à mes enfants...
Cinq... Six... Sept...
Qui me culpabilise de m'être éloignée un mois de B. …
Huit... Neuf...
De toutes mes forces, j'essaie d'écouter ma musique, de côtoyer les anges avec James Bowman. De toutes mes forces, j'écoute.
Je ne pleure pas. J'écoute. J'écoute. J'écoute. Mais je ne me dissous pas. Je suis là, assise par terre, prostrée entre les deux lits, je suis en plomb, les anges n'existent pas, ou s'ils existaient je leur volerais bien dans les plumes, moi.
Neuf et demi...
Je redescends dans la salle commune. Un regard de Christian, un mot : « Tu ne vas pas, toi, ma Sophie... »
Neuf trois-quarts...
Je pleure, le front appuyé contre la baie vitrée, à regarder ces cons de canards. J'essaie de ne pas écouter ce qu'il me dit parce que ça me fait encore plus mal, et que je ne peux humainement pas supporter plus de souffrance.
Dix.
Explosion.
Je sors. Je claque violemment la porte de la salle commune. Je hurle que j'en ai ras-le-cul, putain ! Ras-le-cul ! Fait chier, putain de merde ! J'en peux plus !
Je veux aller à la buanderie pour gueuler tout mon saoul, mais il y a quelqu'un : « Tu peux rester, si tu v... » Je claque la porte.
Je suis là, au milieu de la cour. Je ne vois plus rien. Je pousse un cri, un hurlement qui me déchire les tripes.
Tristan vient droit sur moi, je n'écoute pas, putain il n'y a pas un putain d'endroit où on peut être seul ? Fous-moi la paix, putain !
Je l'évite, tourne sur moi-même comme une boussole démagnétisée, je hurle une deuxième fois, plus fort, plus longtemps.
Tristan, je ne sais pas. Je ne le vois plus.
Je vois Elyse qui sort en hâte, qui s'approche, qui me parle.
Je hurle une troisième fois. Une bête enragée, aux abois. Puis je cache mon visage dans mes mains et pleure.
Je l'entends enfin. Elle me parle tout doucement, calmement. Je suis sa voix, sa voix m'apaise, me conduit à son bureau. « Viens Sophie, viens en parler. Tu en as besoin, ça va te faire du bien. Viens, Sophie... Tu veux parler ? »
Oui Elyse, oui je veux TE parler parce que tu entends, tu écoutes, tu comprends, tu sais.
Et je parle. Et elle me répond.
Elle parle longtemps, doucement, calmement, comme on apaise un enfant. Je m'accroche à cette musicalité, à cette douceur. Je ne comprends toujours pas ce qu'elle dit mais la tension diminue un peu en moi.
Puis je parviens à ma concentrer sur ses paroles, sur le sens de ce qu'elle me dit. L'attente que j'avais. La déception. Ma colère. Ma tristesse.
Légitimes. Mais c'est celle de la petite fille. Est-ce si important qu'ils comprennent ? Le peuvent-ils seulement ? Chacun ne s'est-il pas arrangé avec ses propres souvenirs pour se protéger ?
Ce qui compte, c'est que moi je sache que je ne suis pas celle qu'ils croient que je suis. Est-il possible que tous les trois se trompent ? Oui, bien sûr, c'est possible. Ils se trompent tous les trois et moi, je dois arrêter de leur donner raison. J'ai le droit de vivre ma vie, j'ai le droit de réussir, j'ai le droit de jouir de ce que j'ai construit, j'ai droit au bonheur.
Merci Elyse.

13h45.

37°2 le matin. Et -2° dehors.
Dans un peu moins d'une heure, la « grand-messe ». Nous, les sortants, devons faire à tour de rôle le point sur notre cure. Sous le regard de toute la maison rassemblée, et sous le tir croisé et nourri des psys.
Ce que je voudrais dire (mais vais-je y arriver ?)
Je suis venue ici faire une cure pour arrêter l'alcool, que je consommais depuis l'âge de 16 ans et parce que, seule, je ne pouvais pas arrêter.
En fait de cure, j'ai fait un sauvetage. Un sauvetage un peu particulier : le sauvetage de moi-même, de celle qui en moi souffrait et avait si peur qu'il lui fallait l'alcool pour vivre.
Pour que ce sauvetage puisse se faire, il faut accepter plein de choses, des choses difficiles.
La première, c'est de vouloir être sauvée.
Ca peut paraître évident, mais ça ne l'est pas.
Et puis accepter de plonger loin, profond, toujours plus profond. Acceptée d'être accompagnée dans cette plongée. Et quand on est descendu si profond qu'il n'y a plus que du noir et du froid et que la douleur et la peur deviennent insupportable, accepter de prendre la main qui se tend et qui vous guide à nouveau vers la surface.
Ce serait bien que j'arrive à dire ça.

J+24

Samedi 13 Février

Samedi 13 Février, 9h00

La « grand-messe » s'est passée. J'ai pu faire mon speech. Beaucoup ont été émus, m'ont dit que c'était beau, même si ce n'était pas le but. Beaucoup d'émotion en tous cas. Je crois que même Elyse a rougi. C'est dire.
L'abcès est percé, certes. Je ne me sens pas sereine pour autant. Tu m'étonnes. Je suis submergée de ces émotions étouffées depuis longtemps.
La tristesse. La peur, encore.
J'en ai parlé en bulle hier matin. Mon problème à accepter les mains tendues, c'est qu'après, je ne veux plus les lâcher. Je m'y attache trop.
Y'a qu'à voir avec Claire. Et là, pareil, Tristan, Aurélien, Elyse. J'ai peur de les quitter. Je sais que je m'y suis trop attachée.
Explications dans la petite enfance, là encore. Un enfant ne peut pas apprendre à marcher sans tomber. Mais si personne ne le surveille, et qu'il se fait mal à chaque fois, il a peur, à force.
Hier matin, je suis allée voir Tristan pour le remercier d'être intervenu si vite, et m'excuser de l'avoir « envoyé bouler ». Il m'a dit que c'était normal, qu'il n'avait fait que son travail, mais que moi j'avais aussi fait un sacré travail et qu'il m'en félicitait.
Elyse a repris le truc en bulle. Le contraire m'aurait étonné !
Et là, question : « Sophie, quel mal y a-t-il à accepter l'aide de la part d'un homme ? Quelle peur ? »
Bien joué.
C'est vrai, moi qui suis dix mille fois plus à l'aise en compagnie des hommes, je n'accorde mon crédit qu'à des femmes pour m'aider, pour me soigner : LA psy, LA toubib, …
Quelle peur ? Là encore, mon père ne l'a pas fait, et ça m'a fait mal. Donc, un homme ne peut pas le faire, je ne peux pas lui demander de l'aide parce que s'il ne me l'accorde pas, s'il ne prend pas ma main tendue, j'aurai mal. Mieux vaut donc serrer les poings bien au fond de mes poches, et avancer comme ça.

J'ai pu expérimenter deux choses, ici : que je pouvais me mettre en colère sans que cela soit dangereux pour moi ou pour l'autre. Et que je peux prendre une main qui se tend sans (trop) en souffrir.
Et, conclusion d'Elyse : « Sophie, laisse-toi le droit d'être une femme ».
Ca, c'était pour la peur, la peur de quitter cet endroit protégé, quasi idéal dans les relations à l'Autre. La peur de les quitter.

La tristesse, à présent.
Une fois la colère évacuée, reste la tristesse.
Je viens de lire dans le bouquin de Chabalier que la tristesse aide à faire le deuil. Oui, c'est ça. Je dois aujourd'hui faire le deuil de cette idéalisation des relations avec mes parents. En fait, je commence à le faire, d'où cette immense tristesse.
Je ne pouvais pas me mettre en colère tant qu'il y avait de l'attente.
Je me suis mise en colère. Je n'ai plus d'attente. Et je suis triste. Triste à ne pas dormir, à ne pas manger, triste.
Mais la tristesse n'est pas un sentiment violent, elle ne m'étouffe pas, pas comme la colère. Je . peux vivre avec, elle s'atténuera au fil des jours, pour disparaître enfin.


J'écoute encore une fois Miles Davis. C'est bon. J'ai le cœur si lourd, mais chaque note l'enveloppe et le réchauffe.

17h30.
Putain de saloperie de week-end. C'est long, ça n'en finit pas. Le pire, ce sera demain : rien à foutre du matin au soir, alors que 36 heures seulement nous sépareront de la sortie.
Bref, c'est comme ça. Ca laisse encore un peu de temps pour cogiter, y'a besoin.

 

J+25

Dimanche14 Février

Dimanche 14 Février, 16h30


Besoin de solitude. Mais je ne m'ennuie plus avec moi-même, c'est déjà ça.
Les heures passent au ralenti. Elles passent, cependant. Elles finissent par passer, interminablement.
Aujourd'hui je me sens plus sereine, moins triste qu'hier, bien moins tourmentée que ces derniers jours.
L'infirmière de ce matin, Armelle, m'a dit que j'avais un beau sourire et que ça faisait plaisir à voir. Ici, ils devinent ce qui se passe au fond de toi avant même que tu ne le saches. Trop fort !

22h30.
Bonne nuit les petits ! Sommation de réintégrer nos chambres, mais là ça va être coton pour dormir. Dans 43h je serai chez moi. Alors dormir ? Pffff...
Dieu qu'elles sont longues, ces dernières heures !
Et pourtant, il faut encore être là, faire ce soir une partie de poker sans entrain, parler aux autres, boire sa soupe (l'avant-dernière, yes ! Qu'on ne me parle plus de soupe pendant les mois, voire les années à venir !!), remonter à l'heure dans sa chambre... Enfin tout ça, quoi.
Demain, avant-dernière bulle, je compte bien en profiter à fond.
J'écoute Higelin ce soir, ça change un peu. J'essaie de ne pas penser plus loin que le moment où je vais enfin pouvoir serrer tout mon petit monde dans mes bras.
Le reste ? Pas un mince morceau. J'ai radicalement changée. Je me découvre moi-même de jour en jour. Et eux ne me connaissent pas encore, même s'ils ont l'illusion de me connaître. Pas simple, hein. De quoi flipper, là. Mais flipper, c'est pas bon pour ce que j'ai. Trop de substance P.
Allez, j'essaie d'arrêter le p'tit vélo pour ce soir et je me fous au pieu.

J+26

Lundi 15 Février

Lundi 15 Février, 13h45.

Avant-dernière bulle ce matin. J'ai essayé de ne pas partir dans mes pensées, afin de ne pas en perdre une miette.
Quand mon tour est arrivé, j'ai parlé de l'appréhension de la sortie. Car, hormis la joie de les revoir, l'enjeu est quand même de taille, et ne dépend pas que de moi. F. acceptera-t-il ces changements ? Les miens, la volonté de m'occuper plus de moi, de me dégager un peu des responsabilités domestiques, des démarches, sous-entendant qu'il en accepte la charge partielle ?
« Se rendre indispensable, me dit Elyse, c'est prendre un pouvoir sur l'autre. C'est une assurance, une sécurité. Faut-il donc absolument que tu soies indispensable à un homme pour qu'il t'aime, Sophie ? L'amour d'un homme est-il à ce prix ? C'est en lien avec le Premier... »
Ben oui. Amen.
Mais aussi :
« Si tu en es arrivée à boire, c'est parce que ce que tu avais mis en place n'était pas tolérable. Si cela ne change pas, tu connais le risque. Tu replonges, ou alors...
- …
- Ou alors, Sophie ?
- Ou alors, mon couple casse. «

Les choses sont on ne peut plus claires. Je le savais, mais me suis interdit d'y penser jusqu'à présent.
Ca va être difficile, cela passera sans doute, même certainement, par le fait que F. se soigne, pour que lui aussi puisse comprendre son mal-être.
Sauver notre couple ? Etre heureux ? C'est possible. Ca ne dépend pas que de moi, mais c'est possible.

 

J+28

Mercredi 17 Février

Mercredi 17 Février, 19h00.

Je suis partie hier, vers 14h00. J'y ai laissé un bon bout de mon coeur.
Dernière bulle le matin, à 9h00. Puis dernière soma, dernier repas, et l'heure des adieux approchait irrémédiablement. Faut dire qu'il avait tellement la tremblote que je le faisais boire à la paille, et j'ai dû lui couper sa viande pendant 4 jours. Mais ça ne me posait aucun problème. L'était ému, le grand couillon.
Daniel, qui jouait tous les soirs depuis 15 jours au poker avec moi. Daniel le tout discret, le petit mec édenté par la vie, à l'humour de plus en plus vif au fur et à mesure de son sevrage. Daniel et son légendaire « C'est dégueulâââssse ! » Il avait des larmes plein les yeux quand je l'ai serré dans mes bras.
Jatchen qui a failli me briser les côtes en me serrant. Jatchen le suisse, SDF à Paris, ruiné par son divorce, amateur de poker lui aussi. Ses yeux si bleus (et rouges pour l'occasion).
Et puis, ceux de mon groupe. Mathieu m'a pratiquement décollée de terre.
Et puis les psys, les infirmiers, les toubibs, les cuisinières, enfin tout le monde, quoi.

Je n'ai pas vu grand-chose de la route du retour. J'étais encore là-bas, avec eux tous.
Et puis arrivée à la maison. M. n'était pas là, B. ne me lâchait plus, F. content.
[…]
Tentative de discussion avec F. Mais je sens une telle distance entre nous... Oh, de la bonne volonté de part et d'autre, ce n'est pas ça ! Mais au milieu... Cette distance... Arriverons-nous à nous rejoindre ?
Et puis, c'est impossible de raconter ce que j'ai vécu. Impossible. Alors ça n'arrange rien.
J'essaie de rester dans le présent, de ne pas me faire de film. Nous sommes allés au bord de la mer, cet après-midi. Depuis ça va mieux.
L'angoisse me lâche, mais je n'arrive ni à sourire, ni à parler.

        Laissons le temps au temps.

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