Alcool : savoir se situer par rapport

 

 

 

à la dépendance

 

Par damien Mascret

 

Chaque après-midi, Mélanie a l'habitude de boire un verre de vin en lisant un

livre. Puis, un deuxième, avec son mari, quand il rentre du travail. C'est une

habitude, presque un rituel. Est-elle pour autant alcoolique? Non, bien sûr. Quand

on considère la quantité bue et la fréquence de consommation, elle n'entre pas

dans la définition de l' alcoolisme «Les gens ne décident pas de changer leur

raison de boire ni d'augmenter leur consommation d'alcool du jour au lendemain,

explique au Figaro le Pr Joseph Nowinski, psychologue à l'université du

Connecticut. Ils glissent progressivement d'une consommation sociale normale à

la zone “presque alcoolique”.»

Pourtant, Mélanie, comme 14 % des Français selon une enquête réalisée il y a une dizaine d'années

déjà, est à risque d'alcoolisation excessive. «Quand il y a perte de contrôle, survenue de dommages

et répétition du comportement, on est dans une forme de la maladie, même si elle est modérée»,

relève le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre à l'hôpital Bichat et président de la Société française

d'alcoologie. Boire seul ou avoir des petits incidents liés à l'alcool  doit mettre la puce à l'oreille. C'est

alors le bon moment pour réduire sa consommation sans forcément passer par la case abstinence,

pour éviter de sombrer dans la dépendance.

«L'image d'Épinal du grand alcoolique empêche de prendre conscience que l'on est parfois déjà dans

une zone de consommation à risque», remarque Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à

Grenoble et auteur de Psychologie du bien etdu mal (Odile Jacob). «Et l'autoévaluation est parfois

difficile, mais si on s'aperçoit que l'on n'arrive pas à garder le contrôle quand on boit, alors c'est que

l'on a un problème», ajoute-t-il.

Pour le Dr Philippe Batel, chef du service d'addictologie à l'hôpital Beaujon de Clichy, un chanement de mentalié est nécessaire: «Il faut arrêter de séparer le monde entre les alcooliques, d'un côté,

et ceux qui ne le sont pas, de l'autre.» Le glissement de la consommation contrôlée à la dépendance

se fait insidieusement. «C'est une erreur de considérer comme de la consommation contrôlée ce qui

est déjà de la dépendance», précise le Pr Lejoyeux.

Certains s'en rendent compte le jour où ils ne peuvent pas avoir leur verre habituel. Pour d'autres,

c'est quand ils essaient de s'en passer, sans y arriver, que la prise de conscience a lieu. Car il existe

une zone grise entre le plaisir et la dépendance. Ce que résume le Pr Michel Reynaud, chef du service

d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif, par une formule lapidaire: «On ne devient pas

alcoolique du jour au lendemain.»

En pratique, il est rare de considérer sa consommation d'alcool comme étant socialement inadaptée,

«d'autant que l'on a naturellement tendance à choisir un groupe social qui a le même type de

consommation que soi», note le Pr Reynaud. Parfois survient un événement révélateur: accident,

perte de connaissance, comportement socialement inadapté, etc. «On peut très bien être en train

d'installer sa dépendance sans s'en rendre compte. Cela se fait plus ou moins vite selon les individus

et le mode de consommation, mais c'est le plus souvent très progressif.»

Lors d'une session des Entretiens de Bichat consacrée à la consommation à risque, le Dr Albert

Herszkowicz, de la Direction générale de la santé, l'a souligné: «Les dépendants ne représentent qu'un

tout petit sommet de la pyramide de l'alcoolisme.» D'où l'intérêt d'un dépistage précoce. Par exemple

en répondant à un auto-questionnaire de dépendance (www.automesure.com).

Pour le professeur Nowinski, «il faut aussi prendre conscience du lien entre la boisson et ses effets,

tels que troubles du sommeil, fatigue, déprime, baisse des performances au travail, etc.» Des

symptômes que l'alcool peut paradoxalement soulager dans un premier temps, avant d'en devenir la

cause.

Autre signal d'alarme, «lorsque l'on se met à boire par habitude plutôt que par plaisir», indique le Pr

Mickaël Naassila, qui dirige un Groupe de recherche Inserm sur l'alcool et les pharmacodépendances.

«Chez le pharmacodépendant, explique le neurobiologiste Jean-Pol Tassin, l'alcool n'est plus utilisé

pour ses effets agréables, notamment anxiolytiques, mais pour soulager un malaise.»

Nous ne sommes pas tous égaux devant l'alcool, mais, contrairement à une idée reçue, bien supporter

l'alcool n'a pas d'effet protecteur. C'est au contraire le marqueur d'un risque accru de devenir alcoolodépendant.

«Avec l'alcool, on estime qu'environ 5 % de la population peut devenir

pharmacodépendant», souligne le Dr Jean-Pol Tassin. À l'inverse, ceux qui ne supportent pas l'alcool,

parce que leur organisme dégrade moins facilement l'alcool ingéré, sont moins vulnérables, car ils

prennent l'habitude spontanément de restreindre leur consommation.

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