BRASSENS & POLITIQUE

Réponse d'André Tillieu  à Six 

(qu'il a la délicatesse de  nommer .... Auguste !)

 

Pas net sur le net

Texte d'André Tillieu " Les Amis de Georges " n°74

Je ne suis pas informatisé. Mais un ami, qui l'est lui, me transmet un mémoire qu'il me donne pour issu de l'Internet et qui se propose de définir les idées politiques de Brassens. Diable !

Pas de nom d'auteur. Nous l'appellerons Auguste (comme Comte) pour faciliter les choses.

D'entrée de jeu, il apparaît comme un personnage ordonné et besogneux, abasourdi de logique élémentaire (comme on peut l'être d'équations, d'anisette, de chanvre ou d'alexandrins), frais émoulu des études, impatient de régurgiter la leçon de son maître, qu'il n'a peut-être pas bien digérée. Et animé de cette rage des cuistres à vouloir tout expliquer.

Il a trouvé chez Brassens une "opportunité scientifique". Bref, il va le passer au fil à plomb, oublieux sans doute du mot d'Oscar Wilde qui a valeur de décret : "Aucune œuvre d'art ne saurait être jugée que par des lois tirées d'elle-même : est-elle ou non d'accord avec elle-même, c'est toute la question".

Auguste a aligné sur sa table de travail: - le manifeste du "Cri des gueux", recopié par Brassens, mais qui avait été concocté par Miramont, Toussenot, Larue... et Georges lui-même pour servir de base à un "parti préhistorique" qui n'alla jamais plus loin que le milieu de l'impasse Florimont. Avec l'emphase que sécrétait l'époque (1947). Il s'agissait d'une farce de potaches attardés ; - les articles du Libertaire, signés de divers pseudonymes, dont Janine- Marc Pezet après une longue et minutieuse enquête (Lettres à Toussenot . Ed. Textuel) nous apprend qu'ils "étaient indifféremment employés par Georges Brassens et ses amis". Les articles signés Gilles Colin sont en fait d'Émile Miramont ; - la radioscopie de Jacques Chancel (1971); - le livre du père Sève (mais utilisé avec parcimonie) ; - une quarantaine de chansons triées sur le volet. Attention : le volet d'Auguste, qui ignore superbement que dans une œuvre, telle que celle de Brassens, toutes les chansons sont complémentaires les unes par rap- port aux autres. Impossible, par exemple, de cerner Les deux oncles en faisant fi dans le même moment de Pauvre Martin, La mauvaise réputation, La supplique etc., etc. Dès l'abord, l'essayiste regrette de n'avoir pu mettre la main sur l'entre- tien de Brassens avec le nouveau philosophe Philippe Némo, c'est-à-dire sur le témoignage essentiel, celui où, à la fin de son âge, le poète se livre le plus foncièrement et dans tous les domaines. Ce document, que possèdent tous les vrais brasséniens, a pourtant été commercialisé par l'I.N.A., puis, en partie, par Canetti (double album, avec Éric Zimmermann). Malgré cette carence, le bonhomme monte en première ligne. On a envie de lui crier : "Gaffe, Auguste, vous vous engagez dans un conflit plané- taire avec un lance-pierres !".

Un lance-pierres auquel il manque le caoutchouc. Car notre ferrailleur ignore également la correspondance que Brassens a entretenue avec Toussenot entre 1946 et 1950, ce "maillon manquant" de la vie de Brassens, de son œuvre, de son éthique, de sa "pensée"... Un témoignage devenu in-dis-pen-sa-ble.

L'AUGUSTE ne manque pas d'estomac: il y va quand même ! Il faut aimer le risque!

Avec lui, chaque "idée" de Brassens est considérée comme définitive, qu'elle relève de l'époque mystificatrice du "Cri des Gueux" mort-né (et qui ne lui appartient pas en propre), du Libertaire, sujette à caution comme on l'a vu, ou qu'elle soit le fruit de l'expérience et du comporte- ment de toute une vie.

Accorder le même crédit aux propos "apocryphes" d'un homme de vingt- cinq ans et aux opinions déclarées de son âge mûr, comme à la morale générale de son œuvre publiée, c'est purement et simplement de la manipulation, de la malhonnêteté.

Ajoutez à cela que le paroissien prend tout au premier degré. Le second, connaît pas ! De même qu'il prend toutes les images et métaphores au pied de la lettre, qu'il est insensible à l'humour (l'humour noir, n'en parlons pas), à l'ironie, à l'auto- dérision, aux subtilités qui s'insinuent entre ou sous les mots..., bref, à tout ce qui constitue la richesse de la langue, et aide à la bonne compréhension du texte.

Inutile d'ajouter qu'il n'est jamais question de la musique, qui peut pourtant modifier la coloration d'une chanson (en atténuer la charge, par exemple). Mais on ne peut pas demander à un fil à plomb d'avoir de l'oreille.

Fort de ces infirmités, c'est un jeu pour Auguste de diaboliser Brassens (c'est son but) et, par exemple, d'étaler ses contradictions. Il ne sait pas qu'il n'y a que les marionnettes qui n'en ont pas, de même qu'elles n'ont pas droit à l'erreur.

Dès ses débuts, Brassens a bouffé du curé et "cassé" du flic (pas tant qu'on l'a proclamé d'ailleurs). Pour affiner sa pensée, Georges écrira plus tard L'épave et La messe au pendu, manière de dire, il ne faut pas mettre tous les ecclésiastiques dans le même panier, ni tous les gendarmes, toute généralisation étant à proscrire.

Le censeur appelle ça des incohérences, ou des "amendements". Bardé de certitudes, il écrit calmement : "II est simple de démontrer les incohérences de l'œuvre d'un auteur". Comme tout est simple pour les âmes sans pli !

Prétentieux comme un pet, le donneur de leçons : "Attendez, je vais vous expliquer !". Le crime absolu ! La vérité est une : c'est lui qui la détient.

Ces dogmes assenés trouvent leur couronnement dans l'élucidation du Boulevard du temps qui passe. Vous aviez toujours cru que cette chanson, aux accents nostalgiques en dépit de sa rythmique, constituait une allégorie de la brièveté de la jeunesse et finalement de l'existence, sur fond d'éternel conflit des générations (toujours un peu turbulent). Vous pensiez en toute candeur que le "nous" désignait Brassens et ses amis, voire des gens de son âge. Vous n'y êtes pas du tout.

Pour Auguste, il s'agit d'un hymne à l'insurrection : celle des communards! Pas moins!

Les expressions "refaire 89", "reprendre un peu la Bastille" (rien qu' "un peu", cher Auguste) ont été prises au pied de la lettre. Et Le temps des cerises a mis la cerise (sic) sur la gourance.

Vous voyez bien que ce Brassens, sous ses faux airs, est un type violent, "haineux", etc. Et si la haine de ce qui est odieux, cher aristarque, était le plus beau des témoignages d'amour !

Je passe sur les erreurs biographiques (sans parler de l'orthographe dont l'essayiste n'est guère plus préoccupé que Brassens lui-même) et autres fariboles, pour épingler cette perle : "Brassens s est tenu a l'écart de l'agitation de 1934 ". Ledit Brassens venait d'avoir douze ans…

Bref, cent quarante pages d'un texte passionnant comme une feuille d'impôt, redondant, rabâcheur, verbeux, venimeux, pour nous prouver que Brassens est un anarchiste individualiste. Une drôle de béchamel! De quoi faire rêver Joseph Prudhomme.

11 y a quand même dans ce pensum sensibilité. un grand moment de franche rigola- de : c'est lorsque Auguste se lance éperdument sur les balançoires psychanalytiques et nous débite avec un sérieux impayable ce que l'ami Prévert appelait les "freudaines" habituelles.

Auguste, faut-il l'ajouter, ne prise ni Les anars, ni le pacifisme, ni le scepticisme, ni même la tolérance. Le par- Fait dessus de cheminée ! Auguste n'en pince que pour les idées reçues, et encore, il les lui faut bien cuites!

Avec des gars d'un tel acabit, l'ordre et les mœurs établis ont de beaux jours de chaise longue devant eux. Ils portent un nom "que rigoureusement ma mère m'a défendu de nommer ici ".

Ce zélote ignore probablement ce mot de Giono à propos de Melville, qui va comme un gant à Brassens : "II n'est rebelle que parce qu'il est poète. Je crée ce que je suis : c'est ça le poète".

En fait, ce qu'Auguste reproche à Brassens, c'est de n'être pas Auguste.

Un autre scientifique, Marc Wilmet, s'était penché avant lui sur les "articles" du Libertaire et en avait tiré des conclusions diamétralement opposées.

Il est vrai que Wilmet fréquente assidûment Brassens depuis cinquante ans et qu'il est pourvu d'une belle sensibilité.

 

Auteur de "Brassens auprès de son arbre" vendu à plus de 100 000 exemplaires, c'est un des "grands" biographes de Brassens, le meilleur analyste de ses textes.Tillieu faisait partie du "cercle rapproché" de Brassens qui l'appelait affectueusement "Le Belge" (c'est à Tillieu qu'il avait écrit, pendant la période où les histoires belges ont fleuri, que les Français feraient mieux de se souvenir que quand il veulent bien écrire, ils consultent le livre d'un Belge, Grévisse).

Attention ! Tout n'est pas net sur le Net. 

Droit de réponse

Je viens de recevoir  ( 19/05/2004)le message suivant de la part de N. Six et de la polémique faite autour de son mémoire sur Brassens et la Politique C’st volontiers que j’ajoute cet élément au débat A vous de juger !   SVPat
  Bonjour  Vous avez publié un texte de A.Tilieu qui taille en pièces mon mémoire sur Brassens….Je vous propose donc un droit de réponse qui m'a été refusé par l'éditeur du journal dans lequel le texte a d'abord été publié …. Cordialement,   -Nicolas Six   - Journaliste

« Quand j’ai tort, moi, qu’on me maltraite, d’accord, admis,  

Mais quand j’ai rien fait, je regrette, c’est pas permis »

Clairette et la fourmi – Dernières chansons de Brassens par Jean Bertola

Monsieur Tilleu, voyons ... ravalez votre bile. Le mémoire de DEA que vous avez éreinté se proposait de répondre à une question bougrement intéressante, avouez-le : « quelles sont les idées politiques de Brassens ? ». Quel régal, ce beau sujet mal défriché, pour un jeune homme admiratif du poète de Sète. Eh quoi ? Si Brassens n’est pas l’anarchiste paralysé d’incertitudes que j’ai cru découvrir, qui est-il donc alors ? J’ai beau retourner votre brûlot dans tous les sens, je n’y vois aucune espèce de réponse. Plutôt que de profiter de l’espace (confortable) qui vous était imparti pour me détromper, et pour instruire vos lecteurs sur Brassens et ses opinions politiques, vous vous êtes perdu dans une attaque longue et superflue. Cette charge, vous l’avez attachée à la queue d’un style flamboyant, dévorant, réclamant pour rebondir à chaque paragraphe une nouvelle pique assassine. Serais-ce une fâcheuse habitude chez vous ? Peu importe, ce parti pris emphatique vous a entraîné loin de l’honnêteté intellectuelle que vous devez au travail des autres. Pour tout vous dire, je n'ai presque rien reconnu de mon mémoire dans le miroir déformant de vos yeux passionnés. Je vous le demande, Monsieur Tilleu : quel est le gage d’un bon travail de recherche ? Ne vous en déplaise : un chercheur honnête, qui essaye de voir sa problématique avec des yeux différents des siens. Mais pour parvenir à cela, il faut sortir de soi. C'est une discipline exigeante que vous maîtrisez manifestement mal. Par contre, vous avez eu beau jeu de rapporter une belle erreur, piochée dans les 140 pages que compte mon mémoire. Une erreur sans conséquence soit dit au passage. Nous serons bientôt quittes, puisque je m’en vais vous compter une bévue de votre cru, qui s’étale sur un tiers de page. Vous me reprochez de n’avoir pas tenu compte des « Lettres à Toussenot ». Mais comment aurais-je pu, puisqu’elles ont été publiées un mois après la parution de mon mémoire ? Vous m’en voyez navré, mais je n’ai pas encore trouvé la clef de la bibliothèque à voyager dans le temps. Permettez moi de vous demander une faveur : reprenez votre plume, et attelez-vous à une critique constructive de mon travail. Faites-la moi parvenir par la poste. Elle me sera beaucoup plus précieuse que votre belle et creuse tirade. Et autorisez-moi à vous trouver un surnom à mon tour : « Jean-Jacques » (comme Rousseau). Il vous va fort bien.

  Ø      Nicolas Six   PS : Le lecteur peut se faire un jugement propre en lisant ce mémoire sur Internet : http://brassenspolitique.free.fr


Permettez moi de vous demander une faveur : reprenez votre plume

 Il ne pourra pas répondre: sa plume s'est cassée ! 

 

Nous apprenons une triste nouvelle : André Tillieu vient de nous quitter. André avait mis toute son ardeur et tout son talent d'écrivain et de journaliste au service de Georges Brassens. Ses chroniques bimestrielles dans la revue "Les Amis de Georges" vives, pertinentes et toujours passionnées nous manqueront terriblement.  Ses encouragements pour nos activités et ses commentaires élogieux sur nos amis interprètes de Brassens, Eva Dénia et Jacques Muñoz, nous allaient droit au coeur. Nous partagions avec André la même fougue à défendre Georges Brassens, son humanisme et son oeuvre, contre tous les amalgames, les confusionnismes et les tentatives de récupération. La même passion de la littérature nous unissait et nous nous étions découverts le même intérêt pour Simenon, sur lequel André avait écrit récemment un bel article. André Tillieu avait fêté ses 80 ans le 14 février dernier. 

Pierre Schuller Le 20 mai 2004

 

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