Sète  sauvegarde  son  Brassens

 L'expo Brassens ou la Liberté de La Cité de la Musique m'a donné envie de descendre à Sète, sa ville natale. Pour qui veut comprendre le personnage (et jazzman considérable chez les gentils), sans doute l'idéal. D'autant que la ville ne force pas sur la promo autour du poète.

J'ai arpenté la ville et franchi les ponts pour me rapprocher d'un oeuvre d'écriture majeur du vingtième siècle. Dans les ouvrages pourtant nombreux, on voit paradoxalement peu de photos de la maison natale, solide, aux balcons de ferronnerie fine. La phrase de Félix Leclerc me revient devant la façade blanche: «On gratte sous les chansons, on trouve de l'or». La ville recèle de trésors. Ceux-ci, et pour cause, ne sautent pas aux yeux. Car singulièrement, la figure la plus connue de la ville n'est pas mise en avant. Sur le plan distribué au Syndicat d'Initiative, le touriste cherchera en vain la maison de Brassens. «C'est que son cousin (le fils de sa tante) habite encore  dedans», m'éclaire Cathy Lopez, l'enthousiaste responsable du service des Archives de la Ville.

Sur plusieurs murs de l'entrée, la fourmi passionnée a dressé un monumental arbre généalogique de la famille. Entre mille explications, des éléments sur Elvira, la mère; Cathy est allée prendre des photos de sa maison à Marsico Nuevo, son village du Basilicate. Apparaît alors pourquoi Georges aimait tant la chanson italienne. Elle me détaille l'organisation de la maison familiale : «  Le petit Georges se permettait les 400 coups dans une famille vieillissante. Il allait se réfugier chez l'un ou l'autre, toujours accueilli bras ouverts. » Oh l'ingénieuse protection du gamin contre les punitions! Cathy ouvre des connexions infinies. Je ressors du bâtiment carré ivre de connaissance.

 Mais tout cela ne m'explique pas pourquoi Sète protège à ce point l'intimité de son héros. Me voilà dans l'Espace Brassens (photo ci-contre), à la sortie de la ville, en face du cimetière du Py où dort mon pote Georges, à deux pas des flots bleus de l'étang de Thau. La lecture des panneaux  de la salle consacrée à l'amour du jazz édifie. «Je suis né avec Armstrong, Duke Ellington, Django Reinhardt», confiait volontiers l'auteur d'Elégie pour un Rat de Cave. Surtout, la chronologie indique l'arrivée en ville des phonographes au moment de sa naissance. La tombe n'est pas loin. L'Espace accueille les visiteurs de l'autre côté du cimetière... lequel n'est pas davantage indiqué sur le plan!

La conservatrice Régine Monpays, qui a connu le poète, garde les idées nettes. La voix claire me fait penser à l'actrice Françoise Rosay. Elle démêle le sujet: «nous préservons son intimité. Qu'on se souvienne. Dans la chanson Supplique... , Georges voulait être enterré sur la plage de Sète. Les copains ont insisté avec un argument: il aurait l'air de quoi au milieu des touristes? Alors, pour détendre ses amis, il a opté pour le cimetière du Py. De sa part, déjà un geste.  L'on ne va pas de surcroît l'envahir.»
 

Georges repose au côté de sa demi-soeur Simone, de Joha, sa compagne (dite Püppchen), sous une espèce de pin, planté exprès pour coller à la chanson. «Nous formons une communauté pour préserver sa tranquillité.» Un Comité d'Ethique prend les décisions concernant Brassens. Régine le préside. «Notre obsession: éviter le tape-à-l'oeil. La ville garde également son mot à dire». Je rencontre le maire François Commeinhes (UMP) le soir, au concert du festival «Quand je pense à Fernande». Alors, cette discrétion autour de la célébrité locale? Un acte de politique culturelle? «Je suis de droite, alors on s'étonne de mon engagement dans la culture. Mais dans la patrie du chanteur, c'est naturel. Ma majorité aurait vu d'un bon oeil que j'abandonne le festival, créé par la précédente municipalité communiste. Pas question. «Quand je pense à Fernande», en hommage à Brassens, permet à des dizaines de jeunes artistes de s'exprimer. D'inviter des stars également (le public du Théatre de la Mer reprendra le soir même les Bancs Publics avec Sylvie Vartan, nda).» J'insiste: pourquoi le fléchage  évaporé sur les plans de la ville? L'élu s'en tire avec une pirouette: «Dans le pays, la beauté, on ne la met pas sur la cheminée.» Le maire paraît peu suspect de démagogie: tous les commerçants se plaignent. Ils aimeraient que l'on mette Brassens un peu plus en avant. Le sentiment me vient que les Sétois essaient de garder le chanteur pour eux. Je lis dans le «Spécial Brassens» de Midi-Libre qu'un accord existait entre le chanteur et les journalistes. Il leur annonçait sa venue à Sète: la presse le laissait tranquille. La veille du retour à Paris, ils venaient le photographier. Quand l'article paraissait, le Gorille avait disparu. Deal.
Dois-je en déduire qu'il est presque aussi difficile pour une vedette de préserver son environnement mort que vivant? Ou simplement qu'au pays de Georges, celui des «sirènes, les femmes-poisson», l'on connaît la valeur des histoires, des souvenirs,  des trésors... et de la sagesse.

Brassens

Brassens intime, de Pierre Cordier, aux éditions TEXTUEL (photos inédites, dont celle en casque, à Crespières en 1965)