De Charb à Brassens...
 

Lettre de Brassens à Charb.
 

Salut à toi grand Charb !

 A ce que je vois tu t’ennuies encore plus que moi, là-bas en bas ! T’es si peu inspiré pour faire une chronique sur moi ? Le temps ne fait toujours rien à l’affaire, à ce que je vois ! Tu sais, ceux qui se fichent éperdument que tu me détestes sont largement majoritaires. Et tu n’es pas un cas unique, loin de là ! Le monde n’est pas fait à l’image de ton nombril. Si c’était le cas, Doisneau n’aurait fait aucun cliché. Je ne suis pas très enchanté de figurer sur les murs de tes amis bourgeois, en compagnie de Brel et Ferré. J’ai l’impression d’être une relique. Mais, je trouve drôle ton idée de provoquer un auditoire de brassendolâtres. Vas-y à fond ! Il n’y a rien de pire qu’un parterre de fans ! Le succès, je ne l’ai pas cherché, il est venu comme ça. Si je ne l’avais pas croisé, j’aurais peut-être viré malhonnête. Pas comme un patron de journal ou un exilé fiscal mais comme le cambrioleur de ma chanson.

Les chansons témoignent souvent d’une époque. En quoi ça te gène qu’on les écoute ? La nostalgie, c’est interdit par ta doctrine ? Tu te demandes qui peut bien se bécoter sur les bancs publics, de vos jours. La réponse est pourtant simple : Ceux qui en ont envie. Les bancs des squares sont encore squattés par des mômes qui se roulent leurs premières galoches. Mais as-tu connu ce genre de plaisir ? As-tu vécu un brin de jeunesse ? Permets-moi d’en douter. Il existe des gens qui ont une cervelle d’ayatollah, dès l’âge de 5 ans. Ils grandissent avec des jeux éducatifs et oublient de jouer avec leur queue…Je trouve ça étonnant que tu fréquentes des auditoires qui te gonflent. Pourquoi s’obstiner à fréquenter des morpions qui ont une vision académique de la chanson frrraaannnçÂaise ? Serais-tu masochiste à ce point ? Trouve-toi une assemblée de bons vivants qui n’en ont rien à foutre de mes chansonnettes ! Tu verras, ça ira beaucoup mieux pour toi.

Quant à l’anarchisme, c’est une philosophie un peu complexe qu’un manichéen dans ton genre ne peut comprendre. Quand on part en croisade, quand on dit à autrui ce qui est bien et ce qui est mal, on ne peut qu’être étranger aux idées libertaires. Quand je chantais Hécatombe, le public applaudissait toujours au même endroit : « Mort aux lois, mort aux vaches, vive l’anarchie ». La plupart de ces crétins ne savaient même pas ce qu’était l’anarchie. Mais ils avaient l’impression de s’encanailler…Je n’ai jamais voulu menacer qui que ce soit avec mes penchants « Ni dieu, ni maître ». Certains se servaient de mes chansons pour exprimer quelques unes de leurs révoltes. Du coup, elles n’ont pas été écrites pour rien. J’ai appris qu’elles pouvaient être slamées. Si tu n’aimes pas la guitare, tu peux toujours écouter de la balalaïka. Mes chansons existent en version Sex Pistols, voire en reggae. Cela me fait plaisir que mes petites chansonnettes du temps jadis soient reprises sur des tempos de ton époque. D’autre part, il vaut mieux troubler l’ordre établi, le pied sur un tabouret plutôt que la main sur une kalachnikov. Il est vrai que, pour toi, le Grand Soir commence par un bain de sang et une dictature d’un prolétariat qui, en vérité, aspire à ne plus être prolétarien. Comme disait le camarade Desproges : « Les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches. ». Face à des apôtres de ton espèce, je ne peux que réaffirmer ceci : « Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint, se borne à ne pas trop emmerder ses voisins… »

Je suis bien aise d’être pour toi un laxatif car ça ne peut faire que du bien à un constipé. Tu veux me faire passer pour un fossile mais, quelque part, je ne peux que t’en remercier car un fossile traverse les millénaires. Du haut de mon éternité, je discutais, l’autre jour, avec un ancien de Charlie-Hebdo. Il m’avait sorti un truc marrant : « Sais-tu, mon cher Georges, que marcher sur un dessin de Charb du pied gauche, ça porte bonheur ? ». Sacré Bernier ! Je lui ai répondu : « Oh ! Tu sais, la superstition et moi, ça fait deux. ». Vu que tu nous fais part de ton talent de critique, voudrais-tu accepter mes modestes remarques sur ton génie et la gazette dont tu es le prestigieux PDG ? Tu tentes de faire passer pour pensées profondes, tes sempiternelles réactions pavloviennes. La presse dite contestataire et anticonformiste regorge de chroniqueurs comme toi. Lorsqu’on vous lit, rien ne nous surprend. Le prestige de Charlie-Hebdo t’a fait vivre mais la réciprocité n’est pas évidente. Etre à la recherche de coups médiatiques, pour exister, n’est pas synonyme de talent. Tu aurais fait preuve de culture si tu avais mentionné le fait que La complainte du petit cheval blanc était une chanson de Paul Fort. De plus, tu n’as rien compris à ce texte. D’autre part, ce n’est pas 99 fois sur 100 que la femme s’emmerde en baisant mais 95 ! (J’ai un fort penchant pour la précision). Mon pauvre bougre convaincu du contraire, je vois pousser sur ton auguste crâne, une de ces paires de cornes !

Pour terminer, je veux t’offrir un couplet d’une de mes chansons que j’ai retouché, en ton honneur :


« …Elle m’emmerde, elle m’emmerde à la fornication
Elle s’emmerde, elle s’emmerde avec ostentation,
Elle s’emmerde, vous dis-je !
Au lieu de s’écrier « Encore ! hardi ! hardi !
Elle reluque du Charb, oui du Charb j’ai bien dit !
Alors ça, ça me fige !
Elle m’emmerde, elle m’emmerde, j’admets que ce Charb
Soit un homme de génie, un croqueur impeccable
Mais qu’on aille chercher dedans son œuvre pie
Un aphrodisiaque, non, ça c’est de l’utopie !
Elle m’emmerde vous dis-je ! »
 

Brassens