• Publié  2 avriil 2017 par JPROCKBRUXELLES

Retour à Bruxelles du Phénix (1er avril 2017)

 

 

 NON MAIS RENAUD

T'ES PAS TOUT SEUL ! 

 

 

Le 9 novembre dernier j’avais assisté au deuxième concert de Renaud à Forest National dans le cadre de son «  Phénix Tour » . Quoiqu’affaibli, le chanteur au bandana rouge m’avait convaincu. Même si sa voix est désormais rocailleuse et hésitante, l’émotion dégagée par ce retour sur scène et l’osmose totale avec son public compensaient largement les manques. J’en étais sorti le coeur léger et le sourire aux lèvres. « Toujours vivant, toujours debout » qu’il chantait le Renaud, c’était pas faux. Cinq mois plus tard, retour du chanteur dans cette même salle forestoise et hélas, cette fois, ce fut la catastrophe.


Renaud © Jean-Pierre Vanderlinden

Dès son apparition sur scène avec  » Toujours Debout  » on constate que sa voix s’est fait la malle et que même quand il s’adresse au public en disant « J’ai une rhinopharyngite, c’est pas de chance, enfin je dis ça pour justifier ma voix qui est naze, mais je donne tout ! », on a du mal à le comprendre. Renaud entame  » Docteur Renaud, Mister Renard  » et il galope en raclant son gosier, son excellent band tentant désespérément de rectifier le tir quand il ne chante plus en place et ne respecte pas les temps. Triste.

Renaud est il réellement malade ? Sans doute. Est ce alors bien raisonnable de se produire en concert dans un état pareil alors que chaque mot prononcé est quasiment inaudible ? C’est discutable. L’homme s’est-il également totalement épuisé la voix, liquidé par une tournée harassante? Peut être, aussi. Un peu des deux,sans doute. Mais, ce soir, on souffre avec lui et on en ressent un vrai malaise car on a du mal à reconnaître certaines chansons sauvées in extremis par le public qui reprend les paroles en choeur, l’ovationne longuement et lui fait un triomphe comme à chaque fois. Pourtant, personne n’est dupe.


Renaud © Jean-Pierre Vanderlinden

Et puis le spectateur attentif remarque que Renaud n’a plus le sourire qu’il avait en novembre dernier, il plaisante, mais on sent que le coeur n’y est pas. Il sait sans doute qu’il est mauvais ce soir. Et ça, pour l’ admirateur du « chanteur énervant » que je suis, ça me fend le coeur de l’écrire.

 

Alors plutôt que de vous narrer le déroulement du concert de ce 30 mars quasi identique à ceux de novembre mais catastrophique au niveau de la voix, je préfère vous livrer la chronique que j’avais écrit dans d’autres colonnes il y a quatre mois et terminer cet article sur une note positive. Car, le vrai Renaud, ce n’est pas cette tragédie musicale dont on a été malheureusement les témoins ce soir.

La voici :

Renaud – Forest National le 09.11.2016

Renaud a baptisé sa tournée come back le  » Phénix Tour », et au vu de ce deuxième concert à Bruxelles on comprend vite pourquoi.

L’artiste revient de loin, extirpé depuis un an de l’enfer des vapeurs anisées de l’alcool qui le détruisait jour après jour. De retour sur scène Renaud nous revient toujours debout, le renard s’en est allé se cacher pas bien loin pour longtemps, et même espérons le pour toujours.

Cette deuxième date à Forest National fut énorme à plus d’un titre, dans l’émotion d’abord de retrouvailles tant attendues, et aussi dans le regard ravi d’un homme égal à sa légende et dont les chansons formidables n ‘ont pas pris une ride.

Passé le premier titre où la voix désormais rocailleuse et caverneuse se cherche un peu tremblante d’émotion et peu servie par un mixage qui s’affine, la deuxième chanson qui succède à « Toujours Debout « , » Docteur Renaud, Mister Renard » remet les pendules à l’heure dans le bon sens.
On sent Renaud heureux et presque totalement rétabli d’une grosse crève qui le gênait encore la veille.

« Eh oui j’ai arrêté de boire depuis plus d’un an maintenant…
J’avoue que je m’accorde parfois une petite bière, mais une…
Merci d’être là, ça me touche infiniment et je donne tout ce que j’ai ! « 

Fidèle à son habitude l’artiste chambre aussi gentiment son public, comme on titille un ami qu’on aime.

« Hé, vous étiez plus enthousiaste à gauche qu’à droite de la salle hein ! Non finalement à droite c’était mieux… ! »
La foule siffle gentillement…
« Meunon hein vous êtes cons tout de même ça fait 20 ans que je vous la fait celle là et vous réagissez encore !
C’est pas vrai tout ça, vous êtes tous super ! »

Renaud n’a pas changé, la démarche est plus hésitante mais au fond de lui l’homme garde le même humour incisif et la gouaille sympa qui ont fait son succès. Durant trente titres il va nous faire sourire, chanter, pleurer, et nous replonger avec joie dans son univers tellement personnel qui ne nous a jamais quitté.

Quel bonheur de réentendre toutes ces merveilleuses chansons qui ont bercé notre vie, ces poèmes doux-amers dont on ne pourrait pas se passer.
Et même si sa modestie légendaire et son éternelle difficulté à gérer et accepter sa réussite lui font déclarer qu’il ne comprend toujours pas comment  » Mistral Gagnant » a pu être élue plus belle chanson française de tous les temps alors qu’il y’a a eu des gens comme Brassens, Brel et Caussimon, il doit se sentir pousser des ailes à voir l’accueil que le public lui réserve.
Personne ne l’a oublié, et on l’a tous espéré.
Et ce soir il est à nouveau là devant nous, comme avant.

Derrière lui un groupe de musiciens exceptionnels le portent littéralement et parmi eux un belge, le bassiste Evert Verhelst.

L’ écrin visuel est aussi grandiose que son répertoire avec cette ville en images 3D qui défile sur l’écran géant au fil des chansons.
Magnifique.
Au terme d’une grand messe en totale osmose avec ses fans Renaud nous quitte avec un medley jouissif de ses meilleurs titres ( y’en a t’il vraiment des meilleurs ? ) qui fera se lever toute la salle dans une ambiance extraordinaire .

On retiendra de ce concert et de celui de la veille que notre poteau est de retour, accueilli comme il se doit dès la fin du premier titre par une immense standing ovation et un public aux yeux humides qui ne veut plus le lâcher au terme d’une prestation qui aura tenu toutes ses promesses.
Quel beau moment. Les grands artistes ne vieillissent pas, ils sont sans âge.

Tiens bon Renaud, reste toujours debout, on a besoin de toi et on t’aime.
Merci.



Texte et photos : Jean-Pierre Vanderlinden aka JPROCK THE DARK FEATHER.

Setlist :

Toujours debout
Docteur Renaud, Mister Renard
En cloque
La Pêche à la ligne
Marche à l’ombre
Les mots
Étudiant – poil aux dents
J’ai embrassé un flic
Déserteur
La médaille
Héloïse
À la téloche
Hyper Casher
Dans mon H.L.M.
Ta batterie
Morts les enfants
Manhattan-Kaboul
Manu
La ballade Nord-Irlandaise
C’est mon dernier bal
 

Pochtron
Morgane de toi
500 connards sur la ligne de départ
Son bleu
Germaine
Dès que le vent soufflera
Mistral gagnant
La vie est moche et c’est trop court
Marchand de cailloux


Medley: Chanson pour Pierrot / Hexagone / Laisse béton / Adieu Minette / Miss Maggie / La Mère à Titi / Fatigué


        

     
    Il est à  peu près 20h. Au bar de Forest National, quelques foulards rouges commandent leur brassée de houblon et rejoignent la fosse, craignant de perdre leur place dans une salle pourtant loin d’être pleine. Je leur emboîte le pas, mon regard parcourant la foule. Certains énergumènes me donnent l’impression d’être dans les coulisses de La Nuit des Sosies. Je souris dans ma barbe. Certains symboles sont forts, mais apparaissent désuets quand ils sont poussés à leur paroxysme. Quand ils s’accrochent à un passé révolu. Ce soir, je vais voir Renaud.

La première partie, assurée par le jeune Gauvain Sers, fut pour moi une aussi bonne surprise que la seconde en fut une mauvaise. Je découvre avec délice ce chanteur à casquette en velours côtelé originaire de la Creuse et devenu titi parigot. Ces airs de Gavroche lui confèrent un capital sympathie proche de celui de Renaud… Et on se dit que ce n’est pas pour rien qu’il l’accompagne dans sa tournée. Je ne m’éterniserai pas dans ces lignes sur son excellente prestation mais j’ai hâte de revoir le bonhomme dans des circonstances moins lugubres. Promis, je vous en reparle dès la sortie de son album, le 9 juin !

Courte pause entre les deux sets. Un grand drap blanc cache la scène. Les premières notes de musique résonnent, annonçant l’arrivée imminente du phénix aux ailes brûlées devant une foule en délire. Des milliers de bras se dressent, les gens crient et ovationnent avant l’heure. Puis le rideau tombe enfin et découvre une silhouette penaude tandis que la voix de Renaud entame Toujours Debout, le titre phare de son dernier album. Un silence aussi soudain que pesant tombe sur la salle comme une chape de plomb et les bras retombent. Autour de moi, des fans s’échangent des regards livides en grimaçant. On a peine à croire que l’artiste tiendra jusqu’à la fin du premier morceau…

Toujours vivant, rassurez-vous,
Toujours la banane, toujours debout
J’suis retapé, remis sur pieds,
Droit sur mes guibolles, ressuscité.


Pourtant, l’homme qui s’agrippe à son micro m’évoque l’état de santé d’un mégot de cigarette conservé dans un bocal de formol. Oui, je sais. Je suis déjà en train de m’auto-flageller pour ce que je viens d’écrire… Mais il y a quelque chose de tellement pathétique dans le spectacle qui se déroule devant mes yeux… Le malaise est plus que palpable, je me noie dedans. Pour la première fois de ma vie, je me mets presqu’à regretter qu’un artiste n’ait pas opté pour du play-back. À cette distance, je n’y aurais vu que du feu, et mes souvenirs d’enfance auraient été préservés. Puis, contre toute attente, le morceau arrive à son terme avant que Renaud n’arrive au sien. Il s’adresse alors à son public. Même parlés, les mots ont du mal à s’extirper de sa bouche.

Je me suis tapé une rhino-pharyngite. La dernière fois que je suis venu, c’était une bronchite. Je m’invente des maladies pour justifier ma voix pourrie…
J’hésite à prendre son propos au premier degré. Quand bien même il serait malade au point de ne pas être capable de chanter, alors il ne fallait pas venir. Quand un maçon se pète les deux bras, il ne se lance pas dans la rénovation de la Chapelle Sixtine, même sous contrat… C’est pareil pour un chanteur. Si on justifie son incapacité à assurer un show convenable par une maladie invalidante, alors il fallait reporter le concert. Ne fut-ce que par respect pour les gens qui ont payé (cher) pour voir l’artiste. Ce qui m’amène à douter des raisons derrière lesquelles Renaud se réfugie. Aurait-il vraiment pu faire mieux dans d’autres circonstances ? Semble-t-il que oui à la lecture des compte-rendus de ses prestations d’octobre dernier. N’empêche que j’ai du mal à le croire…

Ceci dit, il en est conscient et l’auto-dérision est au top. C’est déjà ça. Sa générosité irradie les premiers rangs et une bonne partie des gens présents dans la fosse semble être aveuglément (et sourdement) prête à tout lui pardonner. Pas moi. Docteur Renaud, Mister Renard, En cloque, Marche à l’ombre, les morceaux s’enchainent, portés par des musicos en or qui investissent tout leur talent pour donner de l’emphase au (bout de) souffle rauque de Renard. Régulièrement, le public prend le relais pour permettre au « chanteur » de reposer son organe. Et à chaque fois, cela sonne comme une délivrance. Pour nous comme pour lui… Puis pointe en moi cette désagréable sensation que la foule ne chante plus par entrain, mais par pitié. Après seulement quatre chansons, les places assises autour de moi commencent à se clairsemer, certaines personnes préférant quitter la salle plutôt que de subir encore deux heures de ce qui commence à se dessiner comme la pire expérience scénique à laquelle il me fut donné d’assister. Des « bon courage » sont lancés à ceux qui décident de rester.

À chaque intervention parlée de Renaud, l’agacement d’une dame derrière moi se fait entendre : « Qu’est-ce qu’y dit ? Je comprends pas c’qu’y dit… ». OK, on sait où on est et l’acoustique est pourrie, c’est un fait. Mais quand même… Pour ma part, j’arrive entre autre à suivre les propos de l’artiste grâce au compte-rendu de son concert d’octobre, qui git sur mes genoux. Tout y est identique – à part semble-t-il la qualité de la performance –, de la setlist aux piques humoristiques du chanteur. À l’incapacité technique vient donc s’ajouter l’absence de spontanéité.

Franchement, je savais que ça allait être difficile, mais j’y suis allé armé de mon âme de gamin et de mon coeur d’artichaut. J’adore – j’adule – le bonhomme depuis toujours, j’étais prêt à pardonner beaucoup et je m’étais préparé au pire. Mais je ne m’attendais pas à ce que le pire, ce soit ça… Tout est faux, même les passages qui sont de base monocordes, chaque mot est un râle graveleux, me faisant l’effet rugueux du verre pilé que frotteraient vigoureusement de tous petits êtres directement sur mes tympans. On a du mal à comprendre les paroles de chansons qu’on connaît pourtant par coeur, une diction laborieuse atrophiant les fins de phrases, avalant certaines syllabes dans un vortex. Le concert m’évoque un chemin de croix dont chaque morceau serait une pénitence. Je commence à me demander qui de nous deux tiendra le plus longtemps, Renaud ou moi ? Et pensez bien que ça me fend le coeur de l’écrire…

Que s’est-il passé depuis novembre 2016, alors que ses prestations semblaient de bien meilleure facture ? Est-ce vraiment le même Renaud que j’ai sous les yeux ? Lui qui reconnaissait avoir repris la boisson en février dans une interview à Paris-Match… Doit-on y voir un lien de cause à effet ? Je ne m’aventurerai pas sur cette pente glissante, mais difficile tout de même de ne pas penser que le Renard n’est jamais bien loin…

Tant mieux si le retour de Renaud lui a permis de sortir la tête de l’eau. Sincèrement, j’en suis très heureux. Et tant mieux si une partie du public est au rendez-vous. Mais il s’agit d’un concert, pas d’un crowdfunding pour financer sa thérapie de groupe. Alors que le chanteur introduit Ta batterie, la chanson qui lui a redonné goût à l’écriture il y a un an et demi, son organe commence à défaillir de plus belle: « Y a ma voix qui se barre ». Sorry, mon gars, moi aussi je me barre…

Ce soir, tu as brisé quelque chose en moi, Renaud. Ce soir, j’ai perdu un morceau de mon enfance.
 


  Renaud

Renaud © Jean-Pierre Vanderlinden