"La culture n'est pas un dû". Cette affirmation lapidaire lancée lundi par la chanteuse Agnès Bihl résume en tous points la position d'une majorité d'artistes, auteurs, compositeurs interprètes ou cinéastes venus tonner d'une seule voix au Théâtre de l'Odéon pour manifester leur soutien à la loi Création et Internet, dont les débats ont repris dans l'après-midi à l'Assemblée nationale.
Volonté farouche de "clarifier la situation des internautes qui ne sauraient pas où se situe la limite de la légalité", nécessité "d'éduquer les gens", "utilité de la loi" même si "elle est incomplète", mais avant tout "ras-le-bol" d'être considérés comme des "bourgeois enrichis" par leur art et du coup passibles d'être "dépouillés du fruit de leur travail": les artistes n'ont pas mâché leurs mots envers le piratage illégal et ont apporté leur soutien à la ministre de la Culture et de la Communication Christine Albanel, même s'ils se désolidarisent en majorité de la politique gouvernementale.
La loi Création et Internet, dont le fer de lance est la "riposte graduée" à l'encontre des fraudeurs et dont le châtiment suprême pourrait être la coupure par le fournisseur de l'accès Internet, touche manifestement les artistes "là où ça fait mal", car disent-ils comme un seul homme: "Pirater, c'est illégal".
"C'est une bonne loi, mais incomplète", a expliqué l'écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière, qui note que si Internet est devenu le plus grand marché global où l'on peut acheter des fruits ou une maison, s'agissant du téléchargement illégal, "voler un esprit" n'est pas considéré comme un vol. "Comme si ce que nous produisions (n'était) pas le résultat de notre travail". Car, assène-t-il, "le droit d'auteur est indéniablement lié au droit d'expression". Au reste, "si l'on laisse tout le monde tout télécharger gratuitement, un jour il n'y aura plus rien à télécharger".
A propos de l'impopularité supposée de la loi, Sanseverino s'étrangle: "J'ai l'impression qu'on passe pour une grosse bande de bourgeois qui voudraient ne pas se faire voler. Comme s'il était carrément devenu 'logique' de télécharger musique ou films sur Internet. On part du principe où, comme quelques gros revenus ont pignon sur rue, comment faire pour voler les riches", déplore-t-il en fustigeant le comportement des internautes.
C'est là où le bât blesse entre artistes et opinion publique. Les premiers sont persuadés que certains politiques ont mis de l'huile sur le feu, quand les seconds s'accordent à une "normalité de la gratuité pour les produits culturels".
"Mais je ne suis pas venue ici cul nu!", a lancé la chanteuse à textes Agnès Bihl. "Mon pardessus, je l'ai payé, et ma fille je la nourris grâce au fruit de mon travail". Un point de vue salué d'un tonnerre d'applaudissements chez les artistes présents. Et un point de vue partagé par le cinéaste Alain Corneau: "Le Net a été créé par les hommes, aux hommes de le réglementer", a-t-il plaidé.
Le fossé se creuse plus encore entre artistes et consommateurs dès l'instant où l'argument "liberticide" est invoqué par la communauté internaute et la blogosphère. Pour le cinéaste Jean-Jacques Annaud, "il faut payer pour le plaisir que l'on ressent en consommant de l'art".
L'auteur à succès Bertrand Burgalat la joue aussi franc-jeu. "Pour beaucoup, un euro pour un morceau de musique c'est un peu cher, mais 22 millions d'euros pour un fauteuil, c'est un bon prix", avance-t-il en référence à la récente dispersion de la collection d'art privée Saint-Laurent/Bergé. "Comme pour la violence routière, il y avait trop de morts sur la route, on a mis des radars et le nombre de tués à été divisé par deux", avance-t-il.
Pour ce vent de fronde contre le téléchargement illégal, les artistes, venus de tous horizons, étaient épaulés d'acteurs majeurs du monde du disque dont Bernard Miyet, président du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) et Pascal Nègre, président d'Universal Music France et de la Société civile des producteurs de phonogrammes (SCPP).
Aussi présents, de nombreux artistes comme François Hardy et son fils Thomas Dutronc, Renan Luce, Yves Simon, Alain Chamfort, Tété, Arthur H., l'égérie des années 60 Dani ou l'un des co-paroliers historiques de Bashung, Jean Fauque. AP