Yann Benoist, souvenirs..... Remerciements à:

Marie la Belge (pour m'avoir fait découvrir l'anecdote marseillaise)

Le Hlm des Fans de Renaud   (le Forum)

Bernard Reval et  Yann Benoist  (leur page Facebook)

 

Yann BENOIST ( RENAUD) 1/6 -

"C'est toi qui joues à l'Olympia !"

Flashback...! Mon arrivée chez Renaud est inattendue. Je connais son bassiste, Dominique Westrich (“Fredo”), et son accordéoniste-claviériste, Jean-Louis Roques. Fin août/début septembre 1981, je traîne dans un magasin de musique vers Nation. J’y croise Patrice Meyer, alors guitariste dans l’équipe. Je ne sais pas comment cela vient…, il me propose de le remplacer pour une tournée qu’il ne veut pas faire, à la rentrée, juste avant l’Olympia. À cette période, je viens d’accompagner Jean Guidoni à la Rose d’Or d’Antibes. L’univers de Renaud ne m’est pas familier, excepté deux ou trois succès, un peu comme tout le monde.

Je présume que Renaud a plusieurs guitaristes en vue. Patrice Mayer n’est pas vraiment un ami, je suis plus proche de Fredo et Jean-Louis. Alors, je les appelle tout simplement : “Voilà, le guitariste qui a joué avec vous à Bobino autour de Renaud me propose de le remplacer. Si mon nom arrive…, vous me connaissez ( !)”.

Je suis convoqué au studio Ramsès, l’antre de Ramon Pipin (Au bonheur des dames, Odeurs). Je n’ai alors jamais rencontré Renaud. Le contact se fait en présence de Serge Saïd, autre guitariste convoqué. L’entrevue est sympathique, nous sommes dans un coin, nous ne parlons pas musique : nous avons à peu près le même âge, la même dégaine, les cheveux longs.... Ramsès, je connais l’endroit et des personnes qui y travaillent. Renaud y enregistre tous ses albums. Bref, l’entrevue est positive, Serge et moi nous intégrons dans le groupe, nous commençons à répéter. Les séances se succèdent durant trois semaines avant le démarrage. Tous les membres de l’équipe se retrouvent ainsi au studio Vitamine où nous travaillons chaque titre.

Dès le début, je suis surpris : il n’y a pas d’arrangeur, c’est assez particulier. Moi, j’ai l’habitude de travailler en studio ou sur scène à droite à gauche avec des musiciens-arrangeurs plutôt précis, rigoureux. Là…, il n’y a rien du tout ! Globalement, ce sont des morceaux simples. À l’inverse, d’autres sont moins évidents, il se faut se pencher dessus. Alors, on me donne les premiers disques de Renaud afin que je relève les harmonies, les plans musicaux à assurer pour son nouveau tour. De cette manière, je découvre le monde de Renaud. Je connais seulement les morceaux diffusés à la radio : “Laisse Béton” “Marche à l’ombre”, “Ma gonzesse”, pas les derniers (“Manu”, “Mon beauf'”…) Je découvre les nouveaux titres
(1) et je me laisse prendre par les histoires, notamment “Le retour de Gérard Lambert” – j’écoute plus les mots que la musique ! Nous montons les morceaux assez vite, tout se passe simplement.

Au fil des jours, je réalise que le guitariste que je remplace…, Renaud ne veut pas le reprendre. La situation est délicate - c’est lui qui m’a proposé son poste sur cette tournée. Au départ, nous sommes convenus qu’il doit reprendre à l’Olympia, à l’issue de la série de concerts. Un soir, Renaud me dit : « C’est toi qui joues à l’Olympia ! ». Je resterai ainsi à ses côtés pendant cinq ans.

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval
D.R. 1/6. À suivre...

(1) Etudiant poils aux dents, Soleil immonde, La blanche, Mon beauf', Oscar, J'ai raté Télé-Foot, Le Père Noël noir, Le retour de Gérard Lambert, Manu, À quelle heure on arrive ?

Yann BENOIST (RENAUD) 2/6
" Un soir, à la sortie du concert, nous sommes attendus par les Hells Angels ! "



Dans l’immédiat, nous voilà avec Renaud sur les routes jusqu’à la mi-décembre 1981 ! Je ne me rappelle pas du premier soir, mais je garde le souvenir d’une semaine en Belgique. Pierre-Jean Gidon, Dominique Bertram, Serge Saïd et moi…, nous sommes les “nouveaux” dans l’équipe autour d’Amaury Blanchard et Jean-Louis Roques avec lui depuis un certain temps. Renaud commence à délaisser son image de “gentil loubard”. Dans les coulisses, je croise encore pas mal de mecs avec des blousons noirs, des bandanas. Au début, nous nous produisons dans des cadres de mille/mille cinq cents places, ce sont de bonnes salles. Je me souviens du Cirque Royal, à Bruxelles, où nous jouons plusieurs soirs devant deux mille spectateurs !

En Belgique, nous nous déplaçons en bus, Renaud n’est pas avec nous. La première fois où je le vois en dehors des répétitions, il arrive au volant d’une grosse bagnole américaine, c’est quelque chose ! Nous sommes tous basés à Bruxelles, les concerts ne sont pas éloignés, nous faisons les allers-retours chaque jour. Notre hôtel est central, près de la Grand-Place. Entre nous, le climat est sympathique, tout démarre bien avant la tournée en France. Contrairement à certains artistes avec qui je travaillerai par la suite, Renaud ne fait pas bande à part - même s’il ne voyage pas avec nous en Belgique. C’est toute une ambiance. Renaud est un phénomène, nous sommes tous de la même génération. Comme il le soulignera lui-même au Québec, c’est « Renaud et sa guingue ! », un climat très cool ! Le Renaud des premiers disques, le look de zonard… - le blouson de cuir, le bandanas rouge n’ont pas tout à fait disparu. Très original, observateur, intelligent, plein d’humour, et en même temps sur une autre planète !

Amiens, Orléans, Montpellier, Hyères, Genève, Lausanne…, nous enchaînons les spectacles. Contrairement aux premières dates en Belgique, Renaud est avec nous dans le bus. Un soir, à la sortie du concert, nous sommes attendus par les Hells Angels ( !), une dizaine de motards : ils veulent rencontrer Renaud. On quitte les lieux, escortés par une flopée de Harley-Davidson. Avant d’arriver à l’hôtel, nous nous arrêtons sur une aire d’autoroute. Les motards sont ravis de parler à Renaud. Au cours de cet échange, j’apprends ainsi qu’ils siphonnent les voitures pour prendre de l’essence ! Nous passons quelques minutes ensemble, c’est inhabituel et très sympathique.

Mon premier Olympia avec Renaud se situe en janvier 1982, avec en renfort Klaus Blasquiz (Magma) et Sharon Glory (Au Bonheur des Dames) comme choristes. À la clé, un double album live : “Un Olympia pour moi tout seul”
(2). Rien de particulier, si ce n’est la venue dans les coulisses de Gérard Depardieu, des membres de l’équipe du Splendid (Michel Blanc, Dominique Lavanant, etc.).

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval. D.R. 2/6. À suivre...
Ph. coll. Y.B. : Genève, 21 novembre 1981
(2) Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?, Les aventures de Gérard Lambert, Soleil immonde, La chanson du loubard, Chanson pour Pierrot, Germaine, Mon beauf’, À quelle heure on arrive ?, L’auto-stoppeuse, Le retour de Gérard Lambert, Etudiant poils aux dents, La teigne, Le Père Noël noir, Banlieue rouge, La blanche, C’est mon dernier bal, Manu, J’ai raté Télé-Foot, Dans mon HLM

Yann BENOIST (RENAUD) 3/6
"Les gars, maintenant il faut qu'on joue !"

Après l’Olympia 82, pendant la tournée, Renaud nous parle beaucoup de la mer et de sa grosse passion pour "la pêche à la ligne". Entre nous, je regarde ça en rigolant. Je viens d’un pays – la Bretagne – où toute ma famille allait à la pêche, alors voir Renaud avec tout son attirail, ça fait vraiment "le parisien qui a envie de s’encanailler". Nous, on avait des bouts de ficelle, ça suffisait et on connaissait les plans pour avoir les poissons ! La mer, j’aime bien la regarder, mais ça s’arrête un peu là... Nous profitons de quelques concerts en Bretagne pour aller voir son bateau en construction. À la fin de l’été, il prend le large avec Dominique, son épouse, et Lolita, leur petite fille, jusqu’en mars 1983.

Sur sa goélette, Renaud imagine de nouvelles chansons (“Dès que le vent soufflera", "En Cloque", “Morgane de toi"…). À peine rentré, il assure une tournée estivale programmée depuis des mois. Je n’en fais pas partie (je suis avec Didier Marouani et le groupe Space en URSS), puis je réintègre l’équipe, juste à la sortie de l’album “Morgane de toi”
(3). Ce sixième opus est particulier, il est réalisé à Los Angeles aux Studios Rumbo Recorders avec des musiciens américains renommés dont Michael Landau, Peter White et Albert Lee. Ce dernier ne joue pas énormément dans l’album, à l’inverse de Michael Landau, omniprésent sur la majorité des titres.

Le Renaud aux santiags et bandana rouge semble s’assagir, son image évolue : le blouson en jeans a balayé le perfecto. Renaud cartonne à nouveau avec ses dernières chansons, il inaugure le premier spectacle au Zénith de Paris début 1984, pendant trois semaines. Petit changement dans l'équipe : Marc Perru remplace Serge Saïd, Gérard Prevost succède à Daniel Bertram, arrivée de Thierry Tamain aux claviers et d'un Quatuor à Cordes. Un soir, Johnny Hallyday et Nathalie Baye nous rendent visite - Johnny va prendre la suite du Zénith après Renaud.

Une anecdote marrante, cette année-là. Lors d’un concert à Marseille, Renaud me demande de me joindre à Jean-Louis Roques (son accordéoniste) et de le suivre après le spectacle. Le passage dans la cité phocéenne se déroule sous un chapiteau ou une salle – je ne sais plus -, un cadre immense, coupé en deux parties par la scène. L’après-midi, avant la mise en place, je me balade derrière. Dans cet espace fermé au public, il n’y a personne, le noir total. Je distingue néanmoins une silhouette insolite…, un black, comment dire…, genre mafieux : c’est Robert Sagnia alias “Bob le Noir” – j’apprendrai son nom par la suite – accompagné de deux mecs à chapeau, deux porte-flingues qui marchent à un ou deux mètres derrière lui. Il vient voir Renaud ! L’image est terrible ! Le concert terminé, nous accompagnons Renaud au "Mas" (rue Lulli, derrière l’Opéra), la boîte de Bob le Noir, le seul établissement dans Marseille ouvert jusqu’à cinq heures du matin !

LE RENDEZ-VOUS DES NOCTAMBULES

Depuis 25 ans, personnalités du spectacle et noctambules aiment se retrouver dans ce restaurant ouvert tous les jours jusqu'à 6 heures du matin


Je ne connais pas trop la ville alors, mais je me souviens de quelques rues où tout est fermé, pratiquement barricadé. J’ai l’impression de vivre l’époque de la prohibition : nous arrivons dans un autre monde un peu ringard avec des mecs et des nanas – je suppose, des prostituées – et des types très chics à l’entrée qu’il vaut mieux ne pas bousculer. Nous savons pour qui nous allons jouer (Renaud nous a mis au parfum): Bob le Noir (ancien proxénète fiché au grand banditisme) est l’un des lieutenants de Barthélémy Guérini - “Mémé” -, le ténor de la pègre marseillaise et “l’ami des artistes”. C’est hallucinant ! Nous sommes reçus comme des princes, et puis arrive le moment où Renaud nous souffle entre deux verres : « Les gars, maintenant il faut qu’on joue, il faut y aller…! ». Alors, on y va ! Nous nous produisons sur une scène minuscule dans une lumière assez particulière, très rose, très chaude devant des mecs plus ou moins en costard et des nanas assez typées, c’est TRES bizarre et convivial. On ne joue pas longtemps, tout de même quelques morceaux, puis quelqu’un nous commande un taxi et on rentre à l’hôtel. Il est quatre heures du matin !

Cette parenthèse nocturne est en quelque sorte un “passage obligé” pour les pointures du show-bizz, notamment Hallyday, Lavilliers… après leur concert dans la cité phocéenne.

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval. D.R. 3/6. À suivre...
Ph. col. Y.B./Internet

(3) Dès que le vent soufflera, Deuxième génération, Pochtron !, Morgane de toi, Doudou s’en fout, En cloque, Ma chanson leur a pas plu, Déserteur, Près des autos-tamponneuses, Loulou

Yann BENOIST (RENAUD) 4/6
« Coluche s’approche de moi et me tape sur l’épaule. C’est sa façon de me dire : "Tiens toi, je connais ta tronche !". »



En 1985 Renaud quitte Polydor pour aller chez Virgin
(4). Pour nous, musiciens, rien de changé, l’aventure continue.

Ils n'ont jamais vu la pluie
Ils ne savent même plus sourire
Il n'y a même plus de larmes
Dans leurs yeux si grands
Les enfants d'Ethiopie
Embarqués sur un navire
Qui n'a plus ni voiles ni rames
Attendent le vent...

“Ethiopie” sort au printemps. Le 16 octobre, je joue à La Courneuve dans le concert des “Chanteurs sans frontières”
(5) aux côtés de Renaud. L’ambiance est particulière, pas vraiment au beau fixe. Si la chanson commercialisée quelques mois avant a tenu ses promesses, la soirée humanitaire est décevante. Freiné par le froid, la pluie et la boue, le public espéré ne vient pas en nombre assister à l’événement regroupant une trentaine d’artistes : Jean-Jacques Goldman, Jacques Higelin, France Gall, Michel Berger, Daniel Balavoine, Renaud, Coluche, Clerc, Cabrel, Higelin, Souchon... Chacun fait bonne figure, mais le cœur n’y est pas.

Quant à moi, j’accompagne Renaud dans deux ou trois titres avec le groupe habituel. Puis, je rejoins tous les artistes à la fin pour “Ethiopie”, les mots de Renaud sur la musique de Franck Langolff - Thomas Noton, directeur artistique et ami de Renaud, m’a proposé de faire partie de l’orchestre pour le final de la soirée avec Jean-Louis Roques, aux côtés de Pierre-Alain Dahan, Bernard Paganotti... pour accompagner toutes les "Stars" présentes .

J’ai quelques images en tête : dans l’ordre de rentrée, en coulisses, c’est un peu le fouillis ! J’ai un souvenir de Coluche : juste avant d’aller à Moscou avec Renaud, j’ai travaillé dans son studio, rue Gazan pour Sharon un des chanteurs du groupe Au Bonheur des Dames. Je le vois pratiquement tous les jours, il vient chaque fin d’après-midi. Quand il arrive sur le plateau de Médecins sans frontières, Coluche reconnait pas mal de visages, il s’approche de moi et me tape sur l’épaule. C’est sa façon de me dire : « Tiens toi, je connais ta tronche ! ».

Juste avant le final, je suis sur le côté de la grande scène, dans une sorte de petit couloir. Au moment où je m’apprête à rentrer, je me trouve à côté de Daniel Balavoine. Il attend avec son sourire et son regard malicieux. Il a la tenue de “L’Aziza”, un costume vert coupé à la Mao - Balavoine est en pleine promotion de ce titre qui va devenir l’un des n°1 de l’année, son dernier succès avant sa tragique disparition sur le Paris-Dakar en janvier 86. Nous sommes côte à côte, nous attendons le moment où nous devrons entrer en scène...

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval. D.R. 4/6. À suivre...
Ph. : Chanteurs sans Frontières..., Pierre Vassiliu, Axel Bauer, Michel Berger, France Gall, Pierre Bachelet, Jean-Jacques Goldman, Jeanne Mas, Francis Lalanne, Daniel Balavoine, Patrick Bruel, Catherine Lara, Renaud, Nicolas Peyrac, etc. (photo SIPA PRESS extr. de "Jean-Jacques Goldman, tout simplement". A. & B. Reval. France Empire)

(4) 1er album publié sous label Virgin : Miss Maggie, La pêche à la ligne, Si t'es mon pote, Mistral gagnant, Trois matelots, Tu vas au bal, Mort les enfants, Baby-sitting blues, P'tite conne, Le retour de la Pépette, Fatigué

(5) "Chanteurs sans frontières" (association française créée en 1985 suivant le modèle anglo-saxon "Band Aid") était présidée par Antoine di Zazzo, directeur général de Pathé Marconi EMI, et dirigée par Dominique Quiliquini (alors épouse de Renaud), Francis Cabrel, Franck Langolff et Rony Brauman, président de Médecins sans frontières.

 

Yann BENOIST (RENAUD) 5/6
"
Renaud, plombé, est effondré. Il ne parle pas !"

1985, c’est aussi Moscou au mois d’août, le Festival Mondial des Jeunes et des Etudiants, et la déprime de Renaud. Une histoire invraisemblable : une partie du public s'en va pendant son tour de chant !

Nous faisons deux ou trois concerts à Moscou dont celui-là. Je me souviens aussi d’un spectacle donné la veille, dans une salle réservée aux Chœurs de l’Armée Rouge, à dix heures du matin (original) où tout se déroule normalement, sans le moindre incident.

Monsieur le président
Je vous fais une bafouille
Que vous lirez sûrement
Si vous avez des couilles
Je viens de recevoir
Un coup d'fil de mes vieux
Pour m'prévenir qu'les gendarmes
S'étaient pointés chez eux...

On a dit que plus de “dix mille personnes triées sur le volet” assistent au concert donné au parc Gorki et que “trois mille” s’en vont au moment où Renaud interprète “Déserteur” (l'adaptation de la chanson de Boris Vian)… Trois mille, franchement, je ne le pense pas, c’est exagéré ! Toutefois, le fond de l’histoire est vrai. Nous sommes sur scène sous les projecteurs, nous n’apercevons pas vraiment le public dans le noir, en contrebas. Nous sentons tout de même que ça bouge, les gens partent sur les côtés. Renaud s’interrompt.

Deux ans avant, je suis allé à Moscou avec Space – le climat ambiant et la censure étaient plus lourds à supporter. Ils disséquaient les textes, faisant changer certain mots. Après le concert, Renaud est très énervé. D’un seul coup, une “star” est rejetée … je ne sais pas ce qu’il vit à cet instant, mais c’est visible, il n’est pas bien.

À Moscou, tout est fermé, tout ce que j’ai connu avec Space est inaccessible, impossible d’aller dans les endroits où on pouvait se rendre auparavant. Excepté un moment où nous pouvons aller nous restaurer dans une espèce de datcha/restau, en dehors de la ville. C’est assez bizarre. Nous sommes tous réunis, Renaud et toute l’équipe. Après ce concert, il semble très déprimé – à table, je ne suis pas à côté de lui, mais je le sens ailleurs, loin de nous.
À un moment – je ne sais plus exactement pourquoi -, je suis invité à rejoindre une pièce attenante au restaurant, toujours surveillé par la milice. Drôle d’impression. C’est le début de la Perestroïka, mais ce n’est vraiment que le début… Je me retrouve avec tout le personnel du lieu et deux miliciens en tenue regardant un film qui souvent à la télévision soviétique : le concert de Space à Moscou ! Tu imagines ! Je suis assis au fond de la pièce entouré du personnel du resto, des miliciens, et chaque fois que j'apparais à l'écran ils rigolent ! J’ai l’impression qu'ils regardent le show de Space comme s’ils voyaient les Rolling Stones venus en URSS !

Drôle de décalage… Et tout à côté, dans l’autre pièce, Renaud, plombé, est effondré. Il ne parle pas – une ambiance de mort ! A-t-il estimé que “ Déserteur” passerait comme ça à Moscou, sans la moindre réaction de l’assistance ou des autorités ? Je ne sais pas. Il y a du monde dans le Parc Gorky ce jour-là. À voir l’attitude des spectateurs pendant “ Déserteur”, on peut conclure sur le moment que tous ceux qui quittent l’endroit comprennent le français ou qu'ils ont l'ordre de partir - je ne vois pas d’écrans avec la traduction défiler. C’est assez bizarre. Quelle est la part de vrai ou de faux, je n’ai pas de réponse.

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval. D.R. 5/6. À suivre...
Ph. Frank Stromme : Yann Benoist, Sharon Glory, Jean Louis Roques (Moscou 1985, en arrière plan le stade Olympisky où Space a joué deux ans avant)

Yann BENOIST (RENAUD) 6/6
"Putain de camion...!"

1986 marque un nouveau Zénith, et la mort de deux artistes majeurs : Daniel Balavoine et Coluche. Lorsque de ce dernier disparaît, le 17 juin, nous sommes au Canada où nous nous apprêtons à commencer une tournée. Je revois Renaud entrer sur le plateau télé à Montréal où il est interviewé : il vient d’apprendre la mort de Coluche, fauché en Provence par un camion… Il lui consacrera une chanson, créée au Francofolies de La Rochelle en juillet 86.

1980/1986. À mon avis, ce sont les cinq années les plus fortes de la carrière de Renaud, en pleine forme, avec en point d’orgue “La chetron sauvage” en 1986
(6)! On fait cinq semaines au Zénith à Paris. En 1984, il a enregistré “Morgane de toi”, l’un de ses derniers succès chez Polydor, puis, deux ans après, son premier album Virgin : “Mistral gagnant”, “Miss Maggie”... Ces morceaux n’arrêtent pas de passer à la radio. Sur cette lancée, nous tournons six mois en province et à l’étranger, des salles immenses - souvent deux soirs dans les plus grandes villes.

Renaud est un phénomène, il fait partie des chanteurs "qui vont rester". Comme Léo Ferré, il marque son époque, grâce à la qualité de son écriture. À ce moment-là, il avait déjà une tendance à "l'vé du coude" comme on dit en Bretagne. De mon côté, je n'y prêtais pas attention. Je ne peux pas dire que j'ai été très proche de lui, il était tres sympa, super original, j'appréciais le contexte des gros concerts avec un chouette son sur scène à l'époque de son album à Los Angeles. Je n'étais pas "l'ami de Renaud", d'ailleurs au bout de six ans, j'ai pas "grimpé aux branches de l'arbre". Entre le Renaud de 1981 et celui de "La chetron sauvage" en 1986, l'homme avait changé. Il en a parlé lui-même dans les interviews : il était devenu "une grosse machine"! Quand tu regardes des spectacles comme "La Chetron Sauvage", ça saute aux yeux. Mais j'en garde un souvenir magnifique. Il est évident que les purs et durs “Bandanas et Perfectos” sont peut être plus "restés scotchés" à l'Olympia 82..., même si musicalement ce n'était pas d'aussi grande qualité que les années suivantes. Il était alors le Renaud avec la clé à molette, et je pense que les nostalgiques désirent garder en mémoire cette image de lui.

Propos de Yann Benoist recueillis et retranscrits par Annie & Bernard Reval. D.R. 6/6
Ph. Zénith 1986. coll. Y.B.

(6) L'album live (Le retour de la Chetron sauvage) sortira pour la première fois dans le coffret l'Intégrale en 1995.
Trois matelots, Si t’es mon pote, Pochtron !, En Cloque, Deuxième génération, Le retour de la Pépette, Baston !, P’tite conne, Medley (Dans mon HLM, Hexagone, Je suis une bande jeunes, Les charognards, Ma chanson leur a pas plu, Ma gonzesse, Laisse béton, Les aventures de Gérard Lambert, It is not because you are, Marche à l’ombre, C’est mon dernier bal), Baby – sitting blues, Doudou s’en fout
Batterie : Amaury Blanchard / Basse : Gérard Prévost / Guitares : Yann Benoist, Yves Choir / Accordéon : Jean-Louis Roques / Piano : Hervé Lavandier / Claviers : Thierry Tamain / Chœurs : Jean-Pierre Pouret, Alain Labacci, Luc Bertin / Direction orchestre : Jean-Philippe Goude

Renaud