Discours d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé lors de la cérémonie de remise des insignes de Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres à Renaud,

     jeudi 25 avril 2013

Cher Renaud,

          Parce qu’il avait reconnu Etienne Lantier en vous, Claude Berri vous a fait le héros de son Germinal. Mieux que personne vous incarnez aux yeux du public français cet homme dont le coeur saigne d’amour et de révoltes. Celui qui a fait pousser les hommes en armée noire, « grandissant pour les récoltes d’un siècle futur » comme l’écrivait Zola.

C’est avec une grande fierté que je vous distingue aujourd’hui. Vous, le chanteur à succès, engagé en première ligne auprès des grévistes de Longwy en Lorraine. Le petit fils d’Oscar, « ch’timi jusqu’au bout des nuages », « syndiqué à mort, inscrit au parti ». Le petit fils d’ouvrier qui chante le Nord avec, comme ultime récompense pour cet album en patois, une victoire de la musique.

          Enfant du nord ouvrier, vous êtes aussi né d’un père écrivain et poète. Un musicien amoureux de livres et des mots. Au carrefour de deux cultures, élevé entre le « socialisme bon teint et le prolétariat rouge », comme vous le dites mieux que personne, votre langue parle au coeur de tous les Français.

« Rouge gorge/ prolo ordinaire / peuple de Paris», c’est ainsi que vous vous définissez. Digne héritier de Bruant, c’est au Paris populaire que vous consacrez votre premier album, Amoureux de Paname. Puis, « Loubard parmi tant d’autres », vous chantez la jeunesse et ses révoltes. Et de Laisse béton à Marche à l’ombre, « teigneux comme un chien », vous êtes le poète insoumis des « Charognards » et des zonards.

          Des « larmes plein [la] bière », de « Manu » à « Coeur perdu », vous vous faites aussi le semblable du poète de Musset dont les « déclamations sont comme des épées » où « il pend toujours quelques gouttes de sang. » Avec toujours cette même sincérité, vous chantez l’amour d’un père à sa fille, qui après les douces heures des cours de récré et des bacs à sable, dans l’incontournable « Morgane de toi », s’émeut de l’adieu à l’enfance et à l’innocence dans l’album Rouge Sang.

          Cette nostalgie du temps qui passe, ce Mistral gagnant où « le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants », « les carambars d´antan et les coco-boers», les « dimanches monotones d’enfant», vous en faites des chansons « au parfum d'Amsterdamer/ Qui sortait d' la pipe en terre/ Du tonton ».

Casquette de marlou, bandana rouge et perfecto, le verbe efficace et l’argot affuté, votre popularité dérange. On vous dit chanteur énervant, faux loubard ou vrai bourgeois. Mais le public ne s’y trompe pas. Que vous chantiez vos élans du coeur ou vos états d’âme.

          Que vous preniez la mer Dès que le vent soufflera, troquant vos santiags « contre un vieux ciré jaune ». Que « fatigué du mensonge et de la vérité », vous aspiriez « au silence enfin, et puis au vent ». Que vous chantiez l’Irlande ou Brassens. Que vous soyez Docteur Renaud ou Mister Renard. Après 23 albums et quelque 20 millions d’exemplaires, il a fait de vous, toutes générations confondues, l’un des chanteurs français les plus populaires.

          Le coeur à gauche, vous êtes de tous les combats. Auprès, notamment, de celui auquel vous vous êtes parfois opposé mais que vous avez toujours aimé et soutenu, François Mitterrand, le « grand chêne à la fragilité des roses » que vous chantez dans « Tonton ». A l'heure aussi où tant d'hommages ont été rendus à Mme Thatcher, on se souvient du portrait que vous aviez fait de « Miss Maggie » dans les années 1980.

          Homme libre que rien n’enchaîne ou n’emprisonne, vous portez haut les causes qui vous sont chères. Au gré des coups de sang et des coups de colère, dans le texte de vos chansons ou à la tribune de Charlie Hebdo. Des Restos du coeur de votre ami de toujours, Coluche, au combat écologique mené aux côtés de Greenpeace.

          Vos combats sont ceux qui font l’histoire, l’Ethiopie pour laquelle vous écrivez « SOS Ethiopie », la lutte contre l’apartheid dont vous célébrez le héros « rebelle, vivant, debout », « Jonathan » ou Johnny Clegg. Mais aussi le bouleversant cri du coeur interprété avec Axelle Red, au nom de ces « deux étrangers au bout du monde, si différents/ (…) Pulvérisés sur l’autel/ De la violence éternelle » : Manhattan-Kaboul, cette chanson est le morceau le plus diffusé de l'année 2002 en France. Et plus récemment, «Dans la jungle », votre ode à la libération d’Ingrid Bétancourt.

          Parce que votre talent, votre sincérité et la force de vos engagements ont su gagner durablement le coeur du public français, c’est au nom de toute cette « foule qui d’une seule voix / Assassine ‘Manu’, ‘Morgane de toi’ », que je vous rends aujourd’hui les hommages de la République.

 

 

Cher Renaud, au nom de la République française,

                     nous vous faisons

Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Renaud  

Source: -Ministre-de-la-Culture-et-de-la-Communication-jeudi-25 avril 2013