Ingrid
J'suis dans la jungle
Le
frangin est, effectivement, sur son clavier... 5H.41, suis là depuis des
plombes, depuis deux du mat, quand ma blonde s'est endormie dans sa beauté qui
m'éclabousse, après un calin tout doux et en espérant qu'il se transforme un
jour en une gamine de vingt ans lumineuse et digne comme Mélanie Betancourt.
J'suis dans la jungle
J'arrive pas à en sortir
Je chiale tout seul devant mon clavier en pensant à Ingrid
Je suis un peu dépassé par ce qui arrive.
Je suis bien au chaud dans un gros canapé du salon, le chien à mes pieds, au
milieu de la nuit sereine d'une ville tranquille, une ville où nul enfant ne
dort par terre le ventre vide et le nez dans un flacon d'essence, une ville où
ne défilent pas de paramilitaires criminels, où nos hommes politiques sont
encore des enfants de choeurs au niveau de la corruption face à leurs homologues
colombiens, une ville où deux enfants de 17 et 20 ans ne dorment peut-être pas
non plus parce qu'ils pensent à leur mère si loin, leur mère qu'ils n'ont pas
serré dans leurs bras depuis presque quatre ans.
Et Ingrid ne dort peut-être pas non plus sur son lit de souffrances gardé par
des chiens de guerre.
Je pensais juste apporter un peu de bonheur à Mélanie et les siens, juste leur
témoigner ma solidarité, ma fraternité, ma compassion, ma révolte, je pensais
apporter ma petite voix au concert des milliers d'autres, anonymes, qui, depuis
plus longtemps que moi, avec d'autres armes que moi mais avec le même amour se
battent pour la justice, pour la liberté, à travers les comités Betancourt. Je
pensais "sortir" cette petite chanson avec mon prochain album en février, je
pensais comme beaucoup que le "destin "d'Ingrid était écrit, que son "statut"
d'otage était scellé dans le définitif, l'immuable, comme la misère et
l'injustice qui n'auront jamais de fin. Merci à celui d'entre vous qui m'a juste
dit naïvement il y a quelques semaines : "pourquoi t'attends ton album ?
Pourquoi tu l'enregistres pas très vite en single ta chanson ? " Celui-là (ou
celle-là) mérite plus de merci que moi.
Voila, vous aurez la chanson mardi soir, (Bloodi vous la mettra dans la
discothèque, s'il m'apprend à scanner vous aurez aussi la pochette, vous aurez
aussi la version espagnole bouleversante, rockn'roll et sexy de Melingo (il
change complètement la mélodie et c'est encore plus beau) moi je vais continuer
à pas dormir, à passer cent coups de fils et envoyer ou lire cent mails par
jour, à essayer de convaincre des artistes du monde entier de colporter ces mots
et ces notes partout sur la planète, à courir les plateaux de télévision (.....)
.....
Ceux qui remercient Romane ont raison. Sans elle je n'aurais jamais écrit cette
chanson, sans elle d'ailleurs, je serais vraisemblablement mort aujourd'hui.
Jeudi au plus tard "dans la jungle " et "En la selva" seront dans les mains de
radios colombiennes. L'une d'elle diffuse des messages des familles d'otages à
ceux qui sont séquestrés "en la selva" ou "en la jungla" (les deux se disent),
puissent Ingrid, Clara et les 3000 autres entendre ces mots et ces notes, qu'ils
sachent qu'ON ne les oublie pas, qu'ON les aime, et qu'à Paris comme ailleurs
nous sommes quelques-uns à ne pas dormir.
Renaud
Source : Forum du HLM L' INTEGRALITE du TEXTE