"anniversaire"
un message d'Ingrid Betancourt
2 JUILLET 2010 /2 JUILLET 2008
Je viens de rentrer de Colombie après quelques heures émouvantes et intenses de retrouvailles avec mes compagnons de captivité. Nous avons célebré avec les héros de l'Opération Jaque l'anniversaire de nos deux années de Liberté. Il me semble que c'était hier. Nous avons tous revécu dans une émotion intense les moments de cette journée extraordinaire qui nous a ramenés auprès des nôtres... La cérémonie militaire était sobre mais touchante. J'ai revu les hommes et femmes qui étaient dans l'hélicoptère et qui nous ont sortis de la jungle, et je suis montée à nouveau dans ce même hélicoptère qui est maintenant devenu une pièce de musée.
Tous mes compagnons libérés le 2 juillet étaient là. J'ai senti en les embrassant à nouveau combien j'avais besoin de les revoir eux aussi, car ils sont devenus tous, après tant d'années à partager une même souffrance, mon autre famille, celle que le destin m'a donnée, et avec qui les liens tissés dans la jungle et les chaînes, sont devenus si puissants et incontournables. Pinchao, Arteaga, Malagon et Florez sont arrivés de Paris, fiers de leurs français; Willie a un bébé de trois mois, ils nous à montré une video du petit Samuel depuis son portable. Marc et Tom étaient là eux aussi, ils sont venus des Etats Unis avec quelques kilos de plus et en pleine forme, parlant un espagnol bien colombien. Nous étions comme des enfants à sauter de joie en nous retrouvant. Comme notre vie a changé! Combien de joies et de bénédictions réunies!
J'ai aussi eu le bonheur de prendre dans mes bras mes autres compagnons récemment libérés, le général Mendieta et sa très belle famille, Donato qui m'avait donné un peu de lait dans une marche ou nous mourrions de faim et de maladies, Delgado qui avait pleuré dans mes bras à un arrêt dans notre horrible traversée parce qu'il n'avait plus de nouvelles de ses filles, et Murillo qui avait joué les coiffeurs en coupant les tignaces de mes compagnons en plein milieu de la jungle. J'ai cru que je rêvais. Nous sommes allés tous ensembles rendre grâce à Dieu et j'ai communié main dans la main avec Donato, incapable de retenir mes larmes.
Mélanie était avec moi. Nous n'avons pas arrêté de nous regarder par dessus la foule d'amis qui venaient nous embrasser, car il nous fallait voir dans les yeux de l'autre notre propre bonheur pour y croire. Notre retour en Colombie a signifié, pour elle comme pour moi, un véritable choc émotionnel: retrouver les rues de Bogota, les souvenirs, la famille, les amis... Nous étions si heureuses de vivre tout cela ensemble, en sécurité.
Nous avons beaucoup parlé de ceux qui sont encore dans les mains des FARC. Je vis dans l'espoir de les revoir très bientôt. Nous avons tous eu le pressentiment que nous aurons de leurs nouvelles dans les jours qui viennent.
Je ne vous ai pas oubliés une seconde, vous tous qui avez lutté pour notre libération. Ce 2 juillet 2008 je n'avais pas encore eu le plaisir de vous serrer dans mes bras. Cela s'est fait le lendemain. Mais je vous portais dèjà dans mon coeur car Maman m'avait parlé de vous tous à ma descente de l'avion.
Je voulais partager avec tous nos amis des comités cette journée d'anniversaire, deux ans après notre retour, car nous l'avons tous vécue ensemble, malgré la distance physique, et fortement unis par l'amour et l'espoir. C'est notre anniversaire à tous, le seul qui nous appartient de façon collective et que nous pouvons fêter en communion étroite avec les autres.
Je vous embrasse tendrement,
IB