Renaud-Sarko

"Je me contente de tailler des costards"

propos recueillis par Gilles Médioni  Jeudi 7 septembre 2006

C'est la tempête dans un verre d'eau du moment politique, déclenchée par une chanson du dernier album de Renaud, Elle est facho. Selon les partisans de Nicolas Sarkozy, montés en ligne comme un seul homme, elle insulte leur champion, assimilant le ministre de l'Intérieur à l'extrême droite la plus contestable. Faux, nous a répondu le chanteur, qui se défend de pratiquer l'amalgame

A quelques semaines de la sortie de votre album Rouge Sang, un de vos nouveaux titres, Elle est facho, a déjà fait couler beaucoup d'encre. Les derniers mots, "La facho qui vote Sarko", ont déclenché une mini-tempête médiatique...
Malgré moi. Certains ont cru voir une polémique là où il n'y en a pas, résumant cette chanson sans l'avoir entendu à: "Renaud insulte Sarko". Elle est facho est la caricature d'une électrice lambda du Front national, une Marine Le Pen de banlieue. En trois minutes, on peut difficilement dresser le portrait intégral d'une personnalité... Le refrain répète: "Elle est facho..." En studio, j'ai rajouté au texte original "et elle vote Sarko" et j'ai gardé cette version. Je fais allusion au fait que les électeurs du Front national, globalement et de manière prévisible, voteront majoritairement pour Sarko au second tour puisque il est de notoriété publique que Nicolas Sarkozy laboure sur les terres électorales du FN en reprenant ses thèses, ses projets, ses idées nauséabondes, notamment sur l'immigration et les problèmes de banlieue. Toutes les analyses politiques le clament. J'enfonce juste une porte ouverte. A idée commune il y aura sans doute bulletin commun. Je ne vois pas où est la calomnie...

Pour vous, Sarko n'égale donc pas facho?
Si l'envie me prenait de le traiter de facho, je n'aurais  aucun scrupule à le faire, sauf que je ne veux pas galvauder des mots qui pour moi ont un vrai sens. En trente ans de chanson, il m'est arrivé d'employer des invectives, des insultes, des anathèmes pour des gens qui avaient du sang sur les mains. Sinon, je me contente en général d'écrire des chansons ironiques, rigolotes, de tailler des costards, en pratiquant l'ironie, le second degré, l'impertinence plus que l'insolence. C'est pas BHL, Bernard Tapie, Mon beauf, Tonton ou les Bobos qui diront le contraire. Je me sens capable d'affronter Monsieur Sarkozy en tête à tête dans un débat télévisé. Et non en pratiquant une invective aussi réductrice et dérisoire que: "Sarko facho". Le problème, c'est que si je me retrouve face à lui, c'est qu'il est un homme de communication, habile, féru, rompu à la langue de bois et aux arguments politiques chiffres en mains. Et moi, je suis un homme de sentiments, d'émotions, de coups de gueule. Un artiste, quoi...

Qu'auriez-vous à dire à Nicolas Sarkozy?
J'ai des milliards de choses à lui reprocher. Ils est à mes yeux un opposant politique redoutable. Davantage que Le Pen, qui plafonnera une fois encore à 18% en 2007, ce qui me prouvera que je vis dans un pays où il y a 82% de démocrates et ça me va encore... Sarko, c'est un rejet total. Il est démagogique, populiste. C'est les termes "racaille", "karcher". C'est la provoc', l'exclusion, c'est les appuis financiers des grands groupes industriels, des grands groupes médiatiques. C'est l'auto-désigné futur-Président ou futur présent au second tour et c'est une politique libérale et autoritaire à tout crin. Sarkozy, je ne voterai pas pour lui et surtout je ferai tout pour qu'il ne soit pas là au second tour. Et si il est élu, je le combattrai comme j'ai toujours combattu le pouvoir, qu'il soit  de droite et même parfois de gauche. Pour la première guerre du Golfe, je me suis bien opposé à Mitterrand, gentiment mais fermement..

Allez-vous soutenir le PS?
Non. Celui qui me fera participer à un concert de soutien à un éléphant du PS ou à Ségolène Royal n'est pas né. Je ne donnerai aucune consigne de vote car je suis totalement perdu, comme beaucoup de gens de gauche. Et puis est-ce ma fonction? N'est-ce pas un abus de pouvoir? Néanmoins, si on me demande pour qui je vote ou qui je soutiens, je n'aurai aucune honte à m'exprimer. Ca me désespère de donner ma voix à quelqu'un que je n'aime pas, à un programme qui ne me séduit pas... Je parle bien sûr de la candidate de gauche auto-désignée, autoproclamée vainqueur dans les sondages. Je soutiendrais volontiers la gauche anti-libérale mais ils n'ont pas de candidat unique... Et José Bové, que j'aime beaucoup malgré nos oppositions - notamment sur la constitution européenne - apparemment ne se présente pas. J'aimerais voter au premier tour au moins pour une gauche anti-libérale, alternative, écologiste alter-mondialiste et j'ai beau chercher, il y a bien différents petits programmes qui se dessinent mais il n'y a pas d'unité. Quant à Nicolas Hulot, il est charmant, gentil, formidable, génial, mais l'environnement, ça commence aussi par du social.  On ne peut pas limiter un programme à la défense de la biosphère sans contester le modèle économique capitaliste qui est responsable des cataclysmes présents ou à venir. Bien évidemment, au second tour, si je n'ai pas le choix, je voterai utile pour contrer la droite quelle qu'elle soit. Ou l'extrême-droite, quitte à voter pour un Républicain de droite comme en 2002.

Et si Jospin finit par se déclarer?
Jospin, je ne le déteste pas. C'est un parfait honnête homme. Ils sont parfois désespérants, tristes, ces parfaits honnêtes hommes. J'ai envie de lui demander: "Qu'auriez-vous pensé de François Mitterrand s'il avait renoncé à la vie politique après avoir été battu par de Gaulle en 1965?" C'est tout. Je trouve que c'est un manque de courage, de conviction, d'ambition, d'abandonner le bateau quand il coule. C'est faire peu cas de son engagement personnel et même de ses opinions politiques, pour le peuple, pour les électeurs, pour la gauche, pour son parti. Renoncer à la vie politique sous prétexte de cette baffe est presque méprisable. Mais je ne suis pas rancunier. Tout le monde a le droit à l'erreur. Et Jospin me séduit quand même infiniment plus que la Dame poitevine avec ses propositions qui flirtent avec la droite, ses propos sur le traitement de la délinquance et des jeunes à l'armée, sa phrase ridicule et honteuse de soutien à Zidane pour son coup de boule... "Il a eu raison de défendre l'honneur de sa mère et de sa soeur." Là, on frise la démagogie la plus basse, c'est plus les valeurs morales de Jean Jaurès ou de Léon Blum qu'elle défend, c'est celles de la cosa nostra ou des maffieux corses! Finalement, je vais peut-être appliquer mes bons vieux slogans anarchistes: "Voter bien, voter rien pour ne jamais donner le pouvoir à quelqu'un qui le demande."

Source l'express.fr

Renaud