Mandor* à  La Close

Lundi dernier ( 4 septembre 06)

(..) Il arrive, à l’heure pile. On ne peut pas dire qu’il fasse de l’esbroufe. Discrètement, il s’installe à sa place habituelle (table Jean-Edern Hallier) (...). Il commande un pastis. Ah ! Première constatation, Renaud boit encore son « poison jaune ». J’attaque direct avec la polémique du jour.(Fogiel/Renaud  RTL)

-  Fogiel, c’est le Voici de la FM. Plutôt que de me parler de mon nouvel album, il ne m’a parlé que de cette histoire de Sarko, de mon couple, de mon mariage, de mon divorce, de mes problèmes d’alcool, de ma fille qui aurait soit disant dit que je m’embourgeoisais… Très original, ça fait 30 ans que l’on dit que je m’embourgeoise ! Quant à Johnny, je l’aime bien, c’est un pote, mais ses idées politiques, j’en suis revenu.

Il garde un sourire ironique, comme si il se foutait de tout ce tintamarre. D’ailleurs, il s’en fout complètement, je crois. Je passe donc au sujet Sarkozy.

-Il y a une polémique stérile née d’un article du Parisien selon laquelle j’aurais traité Sarko de facho et que ma chanson Elle est facho se résumait à ça. (...). Si j’avais quelques griefs à formuler à l’égard de ce monsieur, je ne me limiterai pas à l’anathème facile, primaire et caricatural de « Sarko facho ». J’aurais d’autres arguments à lui opposer. J’ai juste écrit le portrait d’une Marine de banlieue, électrice du Front. A la fin j’ai ajouté, comme ça, pour m’amuser, que cette électrice facho votait Sarko. 

Je lui dis que n’étant pas le dernier des naïfs, il savait très bien que cette petite phrase n’allait pas passer inaperçue.

-Bon, c’est vrai, ça a fait marrer tout le monde quand j’ai suggéré ce passage. Mais enfin, chacun sait que l’électorat Lepéniste, séduit par les idées de Sarko, qui brassent, qui labourent dans celles de Lepen pour séduire son électorat, va probablement voter pour lui au second tour. Il n’y a pas insulte ou calomnie de dire ça !

(...). Après Boucan d’enfer en 2002, voici un Renaud pur jus qui redevient le chanteur énervant. Il ressort ses griffes même si on sent qu’elles sont usées. On retrouve ses amis Jean-Pierre Boculo et Alain Lanty à la composition et aux arrangements.

-Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Ce sont des amis avant d’être des partenaires professionnels. J’aime leur travail, leurs mélodies qu’ils plaquent sur mes textes. Il n’est pas interdit de penser que, par goût du risque et de la nouveauté, je choisisse une autre équipe pour le prochain album. Enfin, ce n’est pas pour tout de suite.

On entend déjà beaucoup Les bobos à la radio. Dans cette chanson, Renaud s'amuse à vilipender une catégorie de personne qui l'irrite avec une mauvaise fois et une tendresse assumée.

-Certains de vos confrères ont résumé cette chanson à « Renaud s’en prend aux bobos, il attaque les bobos ». Non. C’est un portrait un peu taquin et ironique d’une génération, d’une classe sociale. Il y a juste une phrase négative : « Des gens que je n’aime pas trop » mais tout de suite après je dis que je fais parti du lot. De toute façon, on est tous le bobo de quelqu’un.

Je lui fais remarquer qu’il y a pléthore de chansons dédiées à  Romane Serda. Que son amour pour elle transpire de partout dans son disque. RS & RS, Ma blonde, Jusqu’à la fin du monde, Danser à Rome, Je m’appelle Galilée… N’est ce pas un chouia excessif ?

-Ma fille Lolita m’a dit qu’il y en avait beaucoup. J’en avais fait pas mal pour sa mère mais étalées sur des albums différents. Là, au bout de la quatrième chanson sur Romane, Lolita m’a dit que ça devenait redondant. Ca doit lui faire quelque chose, c’est sûr. Mais toutes les chansons ont des angles différents. Quel rapport entre les cinq ? Aucun. Il y en a même une qui est érotique…

Dans Je m’appelle Galilée, il devient l’explorateur du corps de sa nouvelle femme.

-Oui, d’ailleurs Romane est très gênée, sa pudeur en a pris un coup. C’est un bel hommage à son anatomie.

Il rigole, boit une grande rasade de pastis et poursuit.

-Je me suis choqué moi-même, mes frères et sœurs, puritains protestants l’ont été également mais ils ont tous reconnus qu’il y avait de la tendresse, de la poésie et de l’humour.

Romane et lui, c’est finalement un peu comme Roméo et Juliette ?

-Roméo et Juliette s’engueulaient moins que nous je crois. Je rigole… Quoique. Nous vivons tous les deux un amour passionnel, les petites crises de jalousie ou d’incompréhension sont à la hauteur de la passion que nous avons, démesurée, elle aussi .(....)On est un couple comme les autres. Quand je suis en public ou devant les caméras, j’ai envie de montrer mon bonheur, la béatitude et l’amour que m’inspire cette femme. Elle est exceptionnelle mais elle est comme moi, excessive en tout, dans ses passions comme dans ses colères.

Renaud commande un autre verre. Je reste sage avec mon pauvre café (...), je lui parle de son écriture qui évolue encore plus dans cet album

-J’écris de manière plus classique, il y a un peu moins d’argot aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Si je chante toujours les mêmes thèmes banals comme l’amour, la vie, la mort, l’amitié, le temps qui passe et l’injustice, je laisse de côté les histoires de mobylettes. Dès Morgane de toi, j’ai ouvert un peu plus mon regard sur le monde et moins sur ma ville, ma rue et mon bistrot.

Renaud déteste les filiations, alors quand, pour le faire réagir, je le compare à Brassens ses yeux se plissent d’agacement. Il est dans un bon jour, j’en profite.

-Brassens n’a pas d’héritier même s’il y en a qui s’en revendique…(N.D.L.R Sous entendu Maxime Leforestier). Il a simplement des enfants dont moi et beaucoup d’autres de ma génération font parti. Ceux qui aiment la poésie, la chanson, la littérature ont forcément été bercés par Brassens. Nous sommes tous liés par l’amour du mot juste, de l’humour, de l’ironie et de l’impertinence.

Renaud, dans cet album, interprète de nouveau des chansons « impertinentes », justement. Notamment J’ai retrouvé mon flingue, remake inspiré de son fameux Où c’est que j’ai mis mon flingue de 1980. Il tire à vue sur tout ce qui bouge. Il dégomme et décime.

-C’est une réponse, un clin d’œil aux critiques sympathiques ou non, de fans, de journaux qui prétendent que j’avais perdu mon flingue, ma sève, que je n’étais plus le rebelle de naguère, que j’avais été récupéré. J’ai voulu montrer que je n’avais rien perdu de mes indignations et de mes colères. J’ai donc dressé un tout petit inventaire de ce qui m’énerve aujourd’hui, et c’est déjà très long. Je voulais aussi démontrer que les mots sont des armes qui, même si elles ne tuent pas, peuvent parfois faire tomber les murs.

Il appelle ses chansons revendicatrices ses « petites chansons colères qui relèvent de l’utopie ». Est-ce pour désamorcer les éventuelles critiques ? Non, parce que parfois, moi personnellement, je le trouve bien démago…Hop ! Une petite gorgée.

-Ouais, Renaud démago, je connais ça mais je m’en fous. Quand on se bat avec des chansons contre des puissances économiques, industrielles, militaires, nucléaires ou autres, on a l’impression de se battre contre des moulins à vent. Même avec un public nombreux comme le mien, j’ai l’impression que je ne ferai jamais bouger les choses mais si peux au moins sensibiliser quelques personnes… je ne me prive pas.

« La cheutron sauvage » ne se prive pas, donc, d’évoquer l’Amérique du grand capital avec sa culture pitoyable à outrance, les religions (toutes), l’exploitation par les médias de la souffrance, de la mort et de la maladie. Renaud balance et ça faisait longtemps qu’on attendait ses nouveaux coups de gueule.

-J’ai eu un passage à vide dans ma carrière ou je n’avais plus envie de m’énerver contre ce monde. J’étais tellement malheureux moi-même, tellement pas bien dans ma vie, dans ma tête, dans ma peau que je me désintéressais totalement du reste du monde. Quand on a mal au crâne, c’est difficile de s’intéresser au mal de dent du voisin. Quand on est en parfaite santé, on a envie de l’aider et de lui filer l’aspirine. Bref, j’avais baissé les bras, là, j’ai retrouvé la rage et la hargne.

Ce n’est pas pour rien que l’album s’intitule Rouge Sang (mêmes initiales que Renaud Séchan et Romane Serda !)

-C’est le rouge qui bat dans mon cœur, mon cœur gorgé d’amour pour l’humanité. C’est aussi le rouge de la colère, du sang qui coule partout versé par les hommes. Rouge révolution, rouge drapeau, rouge coquelicot…

Nous évoquons différentes chansons à mon sens « importantes » de cet album. Notamment Elsa ou le suicide d’un jeune qui avait tout pour réussir et Pas de dimanche qui évoque les paysans français qui triment sans plus d’espoir pour continuer à gagner leur croûte. Renaud parle avec passion de ses sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur. Je lui demande sérieusement si ce n’est pas difficile d’être un chanteur engagé qui s’engage réellement, un chanteur qui agit concrètement.

-La gloire, la vertu, la chance, le courage, l’intérêt d’un chanteur engagé, c’est justement de prendre des positions impopulaires. Moi, je n’ai jamais eu envie que mes chansons plaisent à tout le monde. Même si mon public est une espèce d’entité mystérieuse que je n’ai pas envie de décevoir, rien ne m’arrêtera d’aller au bout de mes idées et de mes convictions. Je revendique mon titre de chanteur engagé. Je n’ai pas envie de faire du Bruel ou de l’Obispo. Personnellement, je vous promets de ne gonfler personne avec mes histoires éventuelles avec le fisc…

Il s’arrête soudainement. Il réclame de toute urgence un paquet de Marlboro Light au garçon.

-Je n’en n’ai plus. Là, je suis en manque. Vite ! Je pensais qu’il m’en restait.

Le voyant devenir fébrile, je lui en offre une. Evidemment, j’enchaîne judicieusement avec sa chanson Arrêter la clope.

-Je fume près de 60 cigarettes par jour. Romane gueule un peu parce que nous avons un enfant, Malone, qui est né le 14 juillet dernier (un futur révolutionnaire !) alors je vais fumer dehors… Je ne peux pas arrêter parce que je suis gravement intoxiqué. La clope, ça tue, ça craint, ça rend malade. Si la cigarette n’existait pas et qu’un industriel inventait ce produit, le mettait sur le marché, on le prendrait pour un fou et il finirait sa vie en tôle. Un truc qui coûte cher, qui ne sert à rien, qui contient 4000 produits chimiques dont 75 cancérigènes, qui tue une personne sur deux parmi les grands consommateurs… et ça marche.

Il me sert sa diatribe tout en fumant. Il voit que ça me fait marrer. Je lui demande pourquoi il n’a pas écrit une chanson sur l’alcool. Sujet sensible.

-L’alcool fait moins de mort par an que le tabac. Mais, bon, on ne va pas comparer les drames, ni faire une hiérarchie dans les poisons. L’alcool avec modération n’a jamais fait de mal à personne, le tabac si.

Bon, bon… Moi qui suit amateur de la dive bouteille, je m’incline devant cette thèse irréprochable et pas du tout de mauvaise foi. Sinon, ça se passe comment sa nouvelle paternité ?

-Ben, c’est moins facile de dormir 4 heures par nuit à 55 ans que ça ne l’était à 28.

Il réfléchit puis ajoute :

-J’ai fait beaucoup d’erreurs avec ma fille, je vais essayer de ne pas les renouveler avec mon fils. Je sais bien que j’ai fait souffrir Lolita quand je me suis séparé de sa maman mais j’espère qu’elle sait que je lui ai donné tout mon amour et qu’elle est importante pour moi. Au début, elle n’a pas apprécié l’arrivée de Malone, aujourd’hui, je crois qu’elle l’aime bien. Elle commence à digérer le fait que je me sois marié avec une fille plus jeune et que je lui ai fait un enfant. Mon ex femme, Dominique, et Romane s’entendent bien alors il n’y a pas de drames importants, juste quelques souffrances que je déplore mais qui s’atténuent avec le temps...

Avant de quitter Mister Renaud, je lui demande des nouvelles d’Ingrid Betancourt dont il défend la cause avec vigueur depuis quelques années.

-J’ai bu hier un thé avec sa sœur Astrid et sa maman Yolanda Pulecio. Elles n’ont aucune nouvelle et sont désespérées. Moi aussi, mais je ne baisse pas les bras. Je vais continuer à me battre pour exiger son retour.

* Cet article est un article inédit. J''ai choisi d'être anonyme). Je rencontre des artistes pour mon journal (...). Mon blog me permet plus de commentaires personnels et de décrire les "à côtés". (...) Article paru  dans l'album photo With the stars, 3éme partie...
 >Voir source  Les Chroniques de MANDOR
 

Renaud