LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCEENS DU MEMORIAL DE CAEN
Vendredi 01 février 2008
C'est Renaud le chanteur et président du jury qui le dit au moment d'ouvrir au Mémorial le 11e concours des plaidoiries des lycéens. Vingt candidats (sélectionnés sur 785 participants au concours) venus d'un peu partout et même de la Réunion ou du Maroc. Dans l'enceinte du musée de la Mémoire, Renaud n'a pas manqué de rappeler son soutien aux comités qui se battent pour la libération des otages en Colombie. « J'ai réfléchi sur le métier d'avocat. Où est sa noblesse de défendre des innocents ou des coupables ? » |
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LE CHANTEUR RENAUD OUVRE LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCEENS DU MEMORIAL DE CAEN PAR UN DISCOURS clic Image |
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LUCIE SIMON LYCEE JEAN BAPTISTE DUMAS D' ALES - PREMIERE |
MARIE DEMIERE LYCEE JEAN ROSTAND DE CAEN - DEUXIEME |
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CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCEENS AU MEMORIAL DE CAEN |
CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCEENS AU MEMORIAL DE CAEN 2. |
COMMENT ÉCRIRE SANS-PAPIERS ?
Lucie SIMON , Lycée Jean-Baptiste Dumas, Alès (30)
Lauréate du 11e concours des plaidoiries des lycéens du Mémorial de Caen
Mesdames et Messieurs les jurés,
Non je ne cracherai pas mon
indignation sur ces despotes, ces tyrans qui à l’heure où je vous parle brassent
de l’or tâché de sang. Non je ne m’insurgerai pas contre ces armées corrompues
qui fauchent la vie d’innocents, non je ne vous parlerai pas de crimes de
génocides, de famines et de guerres, car je n’en connais que les pixels que me
renvoie mon écran.
Aujourd’hui, Mesdames et Messieurs les citoyens, je viens vous parler d’un ami,
de mon âge, de mon école, de NOTRE pays. Il a le nom épicé et la voix caramel,
il est Yassin, marocain, sans-papiers, clandestin.
Yassin a 13 ans et 5 mois quand il comprend que son avenir dans une région
reculée du Maroc est totalement bouché. Assis en tailleur sur le rocher qui
surplombe la dune, le petit garçon a le regard dur de ces personnes qui ont
grandi trop vite. Il jette un coup d’œil derrière son épaule et que voit-il ? Il
voit une vieille petite case délabrée, et dans cette case qui y a-t-il ? Il y a
ses deux petites sœurs au chevet de leur mère souffrante. Non, pas de père dans
cette maison, le père est parti en France dans les années 60, vous savez quand
la France n’expulsait pas mais recherchait des travailleurs immigrés. Alors
depuis il leur envoie bien quelques sous, maigre aide qui leur permet de
survivre car oui, dans le cas de la famille Boumedja, on parle de survie et non
de vie.
Yassin se retourne, les yeux tombant sur ses genoux : 13 ans 5 mois, et déjà,
sur ces frêles épaules, le fardeau de « l’homme de la famille ». Il lève son
menton, regardant bien au loin, bien au-delà de cette étendue poussiéreuse, bien
au-delà de la Méditerranée si bleue si placide, et qui voit-il ? Il voit ses
frères et sœurs aînés qui ont rejoint le père il y a maintenant plus de 5 ans.
Ils ont un travail, une famille, oh rien de fort grand, juste une vie sociale.
Yassin a 13 ans et 5 mois quand, visa touristique en poche, il prend le bateau
pour l’Hexagone. Au port de Marseille, il saute dans les bras d’un homme dont il
avait oublié les traits, Yassin a de nouveau un père quand il rentre au Collège
à Alès, ville du Gard. C’est un bon élève, « un gamin qui s’accroche » comme
dira sa prof de soutien en français qui lui donna de nombreuses heures
supplémentaires.
Seulement voilà, arrive le 6 juin 2006 et la fameuse circulaire de l’ancien
ministre de l’Intérieur actuel président. Yassin a 18 ans depuis peu et sa
majorité le projette dans une totale illégalité. Les sans-papiers sont montrés
du doigt, à la télé, à la radio, martelés sur les infos. Peu à peu, dans sa
routine lycéenne, le bourdon de l’angoisse s’installe, s’assoit sur ses nuits,
sur ses nerfs, la vue d’un képi et son cœur s’emballe. Yassin vit dans la peur
et la honte. Honte de son identité, de son statut, aucun de ses amis n’est
encore au courant.
Dans la cour de récré certains raillent « oouah les clandos, c’te honte » et ces
paroles sont telles des balles criblant sa dignité. Alors Yassin, comme 33 000
autres sans-papiers, va décider de déposer un dossier. Il lui faut un avocat,
avocat qu’il paiera par un travail au black en plus de ses études. Ses notes
chutent mais puisque c’est le prix de « la liberté »…
L’avocat lui demande de plus en plus d’argent, nous sommes à pas moins de 800
euros quand le jeune Marocain s’en va à la préfecture, dossier sous le bras.
Il attend, 5 semaines, et un beau matin une lettre cachetée arrive à son
domicile.
Les doigtstremblants il ouvre l’enveloppe et sort délicatement la réponse
qu'elle cache : « Demande Rejetée », sa respiration se coupe, ses yeux divaguent
quelques instants pour tomber sur les motifs du rejet, en bas à gauche : «
Arrivée après 13 ans sur le territoire français - attaches avec le pays
d’origine ».
La lettre glisse de ses mains pour s’écraser au sol. Tu as 5 mois de trop Yassin,
tu as une mère de trop Yassin… « Mais, mais j’comprends pas Lucie, pourquoi ils
veulent pas d’moi ?
Mais qu’est-ce que j’ai fait d’mal ? J’me tiens à carreau, j’ai des bons
résultats, pas d’ennuis avec la police, tout c’que j’veux c’est vivre en France,
travailler, fonder un foyer mais, qu’estce que j’ai fait d’mal ? »
Quelques jours après, Yassin me confia qu’il avait décidé de se marier. Je le
mettais en garde : le mariage est une suspicion de plus aux yeux des autorités.
Il me rétorque qu’il sait déjà, c’est pourquoi il a décidé d’avoir un enfant.
Parce qu’un enfant égale des papiers.
Voilà où nous en sommes, ce n’est plus le destin d’une personne qui est remis en
cause, mais celui aussi d’un enfant, d’un enfant qui naîtra non pour lui-même
mais pour la régularisation que son statut apportera.
Quel est l’avenir de Yassin au Maroc ? Cloîtré avec sa mère souffrante, trop
pauvre pour étudier… Yassin faisait partie de ces quelques 300 000 dossiers
déposés en 2007, seulement 6 922 ont été régularisés… Le processus consistant à
ficher pour repérer puis piéger ne peut manquer d'évoquer des heures sombres de
notre histoire. Le gouvernement prétendait mener une politique de « cas par cas
», et l’on ne peut que crier au mensonge quand l’on entend que le quota
s’élevait à 25 000 expulsions pour 2007. La machine s’était mise en branle
Policiers, juges, compagnies aériennes, tous furent mobilisés. Le ministère de
l'Identité nationale et de l'Immigration peut ainsi fièrement afficher, chaque
semaine, ses résultats chiffrés.
« J’ai demandé (au ministre de l’Immigration) Brice Hortefeux (...) d’aller
jusqu’au bout d’une politique fondée sur des quotas. (…) Cela fait trop
longtemps qu’on en parle. Tout le monde sait que c’est la seule solution. Eh
bien il faut franchir le pas, et arrêter de vouloir protéger les uns, ne pas
choquer les autres. Avec cela, on n’a que des problèmes », disait M. Sarkozy au
milieu de l’an dernier. Pourtant, le ministre a fait tous ses efforts pour
atteindre l’objectif qui lui était dévolu, convoquant même en septembre une
vingtaine de préfets pour les « sensibiliser » à la question ou bien leur
remonter les bretelles parce qu’ils ne faisaient pas assez de chiffre,
entendez-le comme vous voudrez. Comme le regrette le préfet de police « 17
régions sont en deçà de leurs objectifs annuels ».
Et déjà les objectifs sont planifiés pour l'avenir : 26 000 expulsions en 2008,
plus encore par la suite : voyez en France, on n’arrête pas le progrès !
Derrière cette cynique politique du chiffre, se cache une réalité humaine
tragique. Des arrestations au faciès, telle une injure à l'article 9 des Droits
de l'Homme « nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé ». Des
arrestations à l'aube au domicile, le père souvent tutoyé, puis menotté, humilié
devant ses enfants qui à leur tour sont parfois aussi menottés et placés en
centre de rétention, sans médecin, dans des conditions précaires, des semaines
durant, puis jetés dans un avion encadrés de policiers, en route vers un pays
auquel plus grand-chose ne les rattache. Des arrestations de personnes
convoquées dans les préfectures pour « réexaminer » leur dossier, prises au
piège. La police un matin froid de décembre qui attend Yassin devant le lycée,
le menotte devant ses camarades...
Alors on le privera de sa liberté en l'envoyant dans un centre de rétention,
comme un criminel, quels dangers incarne-t-il et quel est donc son crime ? Celui
d'être arrivé après 13 ans pile en France, celui de savoir encore parler sa
langue, celui de ne pas avoir « coupé les ponts » avec sa propre mère malade. On
le pousse à renier ses origines, on refuse la richesse qu’apportent le métissage
culturel et tout ça soi-disant au nom de la prospérité économique de notre pays.
Or, et la commission Atali le prouve, notre pays a BESOIN de ces immigrés. Trop
de clandestins travaillent dans l'ombre et la poussière pour des salaires de
misère, sans eux le bâtiment s'écroule et la restauration brûle. Il est prouvé
que de nombreuses entreprises employées par les conseils généraux eux-mêmes
emploient des sans-papiers. Cet argument tombe donc à plat, et, quand bien même
il serait intelligible, il n'est pas acceptable pour « le pays des droits de
l'homme » -et les guillemets portent ici un lourd poids- de raisonner en matière
économique quand leur fait face le dénouement de ces demandeurs d'asile ou de
carte de résident.
Alors on se targuera d'être le pays des libertés fondamentales, alors on
exhibera l'humanité et la générosité dont fait preuve le gouvernement en faveur
de la veuve d'un marin noyé, des parents d'une petite fille disparue et pendant
ce temps, dans nos écoles, tous les jours, des jeunes n'arrivent plus à écrire
leur nom sans avoir peur ni honte. Résonnent et résonneront en moi les quelques
mots tremblants de Yassin :
-« Qu'ai-je fait de mal? »
et moi de lui répondre….
-« Tu es étranger ».
et d'avoir honte d'être Français.[]…
La Vidéo de la lauréate avec le texte intégral de l'intervention (Merci au Mémorial de Caen)