A nouveau, le chanteur s’abandonne
au spleen et au mal de vivre.
Depuis une heure, ce vendredi 27 juin, le concert d’Indochine bat son plein au Stade de France. Nicola Sirkis lance aux 60 000 personnes présentes : « Il y a un chanteur qui est assis là-bas. Quand j’avais quinze ans, j’ai volé pour aller pour le voir. Je voudrais juste lui faire un petit clin d’oeil. » Seul au piano, Nicola chante quelques couplets d’« Hexagone ». Engoncé dans son siège, les yeux rougis par l’émotion, Renaud, barbe touffue, l’air hagard, fume une cigarette et ne bouge pas. Les spectateurs, eux, l’ovationnent. Car la présence de Renaud en public est, hélas, trop rare. Retiré du monde depuis 2011, le chanteur énervant vit désormais seul entre Paris et L’Isle-sur-la-Sorgue, dans la maison de son oncle qu’il a retapée. L’actuel succès de la compilation « La bande à Renaud » (100 000 exemplaires vendus en deux semaines) doit lui mettre un peu de baume au coeur. Mais de cela, mister Séchan n’en parle pas. Il est inscrit aux abonnés absent, ne retournant pas les appels. Seul Alain Lanty, son pianiste, orchestrateur du projet « La bande à Renaud », s’exprime : « Renaud va bien. Il se repose. » Mais la réalité n’est pas tout aussi rose.
Depuis son divorce d’avec Romane Serda, en 2011, Renaud serait redevenu Renard. Il fut le premier à utiliser la métaphore animale pour dépeindre son état après son premier divorce. Sept années durant, de 1995 à 2002, Renaud erra de café en café entre la Closerie des lilas, son QG, et son domicile à l’époque, rue Hallé. Le rythme était soutenu, l’ivresse profonde et la créativité nulle. Il l’a raconté ensuite, en chansons bien sûr et dans de nombreuses interviews. Puis il y eut Romane. Romane Serda,jolie jeune femme blonde au faux air de Françoise Hardy à ses débuts. Elle veut chanter et croise le Renard qui, émerveillé, accepte de jeter un oeil à ses textes et à ses mélodies. L’amour, avant de le sauver, le sèvrera. Pour elle, Renaud renonce à son litre de Pastis quotidien et à cette vie de patachon qui s’appelle également dépression. En 2002, il revient en force sur la scène française avec un grand disque, « Boucan d’enfer », suivi d’une tournée triomphale, d’un album pour Romane et d’un deuxième disque réussi, « Rouge sang » (en 2005), où il déclare sans détour sa flamme pour la jeune femme. Quand Renaud aime, il veut le faire savoir. Ses paroles d’alors décrivent audacieusement leurs rapports physiques, leurs ébats sexuels, sans oublier de tacler malicieusement le pouvoir en place et le grand capital. Renaud décide même d’emmener sa famille vivre à Londres. Il veut que Malone, son fils, né en 2006, soit bilingue ; il a des ambitions pour lui, pour les autres. Il vend sa maison parisienne afin de démarrer une autre existence. En 2009, il réalise même son rêve : enregistrer, à Dublin, un album entier de chansons traditionnelles irlandaises.
« C’était un homme neuf, revenu de tout, raconte l’un de ses intimes. Nous avons vu le bien que Romane lui a fait. Physiquement, il faisait de nouveau attention à lui. Il avait maigri, s’était coupé les cheveux, avait même arrêté de fumer. On le pensait tous remis pour de bon sur les rails de la vie. » Renaud retrouve aussi ses élans politiques. De sa plume fine et acerbe, il raille les bobos, s’attaque (déjà…) à Nicolas Sarkozy, qu’il honnit. L’idée d’être un mauvais père lui fiche une trouille incroyable. Certes, nous confie-t-il alors, il y a Romane, qu’il aime profondément. Mais surtout, il y a Malone, ce petit bonhomme « pas armé pour la vie ». « Mon job, dit-il, c’est de le préparer à tout ça. » De nature peu optimiste, Renaud semble alors très préoccupé par l’état de la planète. A son retour d’Irlande, en 2009, il se lasse de la promotion. Il donne des interviews au compte-gouttes, ne se montre pas sous son meilleur jour. Lui d’habitude si généreux, si volubile, si brillant, préfère se refermer sur son cocon familial. Romane est devenue une mère de famille préoccupée. Cette fois, elle n’a plus la patience ni l’envie de lutter contre la dépendance de son mari. Finalement, l’aventure londonienne tourne court. Le couple décide de revenir en banlieue parisienne. Pressé par le temps, il achète une belle maison à côté du cimetière de Meudon, en banlieue parisienne. Pour le titi parisien que Renaud a toujours été, c’est comme une petite mort. « Où sont les gens ? Où sont les bistrots ? » demande-t-il. Depuis son jardin, il trouve le temps de produire un troisième album pour Romane. Mais l’été 2011 est fatal au couple.
« J’ai essayé de recoller les morceaux, j’y ai cru, déclare Romane dans Paris Match en octobre 2011. Mais j’en ai eu assez d’espérer que ça s’arrange. Car ça ne s’arrangeait pas. Et quand cela s’arrangeait deux jours, j’étais pleine d’espoir… Et il rechutait et, moi, je m’effondrais. J’avais plus de malheurs que d’espoirs. J’étais trop atteinte, j’avais trop mal. Alors j’ai décidé de ne plus m’impliquer, de ne plus essayer de jouer les sauveurs, de ne plus tenter de tenir la barre. Je n’arrivais plus à être le pilier. Je n’avais plus la force. Ces attentes déçues, cela faisait trop souffrir. Alors, j’ai commencé à dresser une muraille pour ne plus être affectée. Car j’ai une responsabilité vis-à-vis de mon fils : celle d’être heureuse, d’aller de l’avant, je ne peux pas me permettre de me laisser aller. » La séparation est inéluctable. Et Renaud sait qu’il va falloir à nouveau mener une bataille contre ses démons et son inaptitude à la vie. Cette bataille-là, il ne l’a toujours pas gagnée. « Quand son mariage avec Romane a commencé à vaciller, confie ce proche, les langues se sont déliées. Nous étions beaucoup, parmi ses amis, à penser qu’elle avait voulu profiter de lui pour obtenir un contrat. Mais nous nous sommes tous trompés. Lui ne l’a jamais vu ainsi. Il a tout fait pour elle, avec amour et lucidité. Toutes ces critiques l’ont blessé. Renaud a toujours aimé Romane. C’est encore le cas aujourd’hui. »
Renaud sera d’ailleurs très franc : le seul coupable de l’échec du couple, c’est lui, avouera-t-il en février 2012. Pendant près de neuf mois, Renaud cohabite même chez lui avec Romane. Ils veulent se donner du temps, pour Malone notamment. Mais le chanteur sait trop bien qu’une nouvelle dépression l’attend. Plutôt que de soigner sa plume, il boit son mal-être. Retour à la Closerie des lilas avant de migrer, en septembre 2011, à L’Isle-sur-la-Sorgue. Là-bas, au volant de sa 2 CV, il va de chez lui à la place du village. Le plus souvent seul. Ses amis ne descendent pas le voir, il ne leur répond pas... Il y a bien Hugues Aufray, qui vit à côté. Mais même ce vieux pote, pourtant si tendre à son égard, n’arrive pas à lui faire reprendre goût à autre chose que la boisson. Quand il sort de son silence, Renaud dit sa vérité : « Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final », nous assène-t-il en février 2012.
Depuis, silence radio. De L’Isle-sur-la-Sorgue à Paris, son train-train quotidien ne varie pas d’un iota. Dimanche 29 juin, deux jours après le concert d’Indochine, Renaud est de retour à la Closerie. Casquette sur la tête, accroché à sa table, il a toujours ce regard bleu électrique. Mais l’oeil vif des belles années a disparu au profit d’un air morne. Il allume méticuleusement sa clope. Engoncé dans sa vie, perdu dans ses pensées, Renaud ne voit pas le monde qui l’entoure. « Pour le lancement de « La bande à Renaud », il y a eu un grand déjeuner organisé autour de lui à la Closerie, en mai, explique une des participantes. Tout le monde était embarrassé. Renaud a sorti deux, trois banalités d’une voix caverneuse. On regardait tous un peu nos chaussures. » Ses intimes comme ses amis chanteurs ont tous, depuis longtemps, décidé de lâcher la barre. « Cette compilation hommage, c’était aussi pour lui donner envie de revenir », estime cette chanteuse Dans sa vie, il y a bien Sylvie, nouvelle compagne officieuse du poète, qu’on a vue en avril dernier à ses côtés. Mais au Stade de France, c’était accompagné de son guitariste, Jean-Pierre Bucolo, qu’il affrontait un public qui l’aime tant.
Lors de sa première grande traversée solitaire, Renaud était resté dans les brumes pendant sept ans. Depuis trois ans, la seconde longue dérive dure, dure, dure… « Une gonzesse de perdue, c’est dix copains qui r’viennent », chantais- tu. Alors déconne pas, Renaud…
2/3 juillet 2014 par Benjamin LOCOGE