BRASSENS: " RENAUD d'ENFER !!! "
Le "Boucan d’enfer" de
Renaud restera un monument important de la chanson. Rarement un recueil de
textes a été à ce point, un témoignage intime et touchant d’un cheminement
personnel, d’émotions intensément et fraîchement vécues. Et tout ça avec, dans
la forme, texte, musique et interprétation, un haut niveau de qualité et
d’originalité. Avec en plus, tout au long de cette catharsis, de nombreux traits
de créativité poétique ou humoristique.
J’avais déjà détourné le sinistre "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens",
lancé par l’Abbé de Citeaux face au siège de Béziers par les hérétiques
albigeois, mais j’ai été charmé par sa plaidoirie pour Baltique, le chien de
Mitterand : "Dieu reconnaîtra les chiens". Déjà d’avoir eu l’idée d’une chanson
à partir d’un tel incident, le mérite est bien grand, mais de plus le traitement
et chacun de ses ingrédients sont remarquables. Mais, encore une fois, l’élément
dominant de la chansonnette, à travers une dénonciation de la bêtise ordinaire,
c’est une tendresse infinie. Et on devine que, par une noble pudeur morale,
cette affection exprimée pour le brave chien concerne largement son maître.
Moi à qui on reproche encore aujourd’hui ma chanson "Les deux oncles", j’ai bien
apprécié l’apologie pacifiste «Manhattan-Kaboul» où Renaud n’est concerné que
par les innocentes victimes "d’en bas", sans blâmer qui que ce soit pour être né
d’un côté où l’autre d’une frontière.
Pour le fréquenter tous les jours, j’ai trouvé son bistro bien convivial. On a
dit que j’étais le chantre de l’amitié. On a répété que j’avais largement
disserté sur le poids qu’impose aux jours qui passent l’inexorable éventualité
de la mort. Après bien d’autres poètes ayant traité ces thèmes, on doit bien
admettre que rarement, condensé dans un texte par ailleurs merveilleusement
construit et séduisant, a-t-on exprimé avec autant d’émotion retenue et de sobre
familiarité une réflexion aussi essentielle. Et pour cette chanson comme pour
tant d’autres, et même si l’on n’est pas forcément toujours d’accord à cent pour
cent (personnellement je ne crois pas que l’on devrait glorifier les entarteurs!),
ce qui caractérise sa production, c’est qu’en plus d’un contenu supérieur, les
chansons de Renaud comportent une dimension qui peut paraître simpliste mais
qui, si elle est chère aux anciens, ne semble plus toujours valorisée par
beaucoup de nouveaux créateurs: elles sont agréables. Agréables à écouter,
agréables à réécouter.
Extrait
d'un texte paru sur
Dialogus