Comme une éponge qui gratte d’un côté et qui lave de l’autre.....
Rouge Sang
Avec « Boucan d’Enfer » Renaud s’offrait une victoire à la Pyrrhus, certes il
retrouvait le haut de l’affiche mais c’était pour nous dévoiler son corps bafoué
par l’alcool et le cœur brisé par la rupture. C’est pourtant dans la tournée qui
s’en suivit et dans l’amour renaissant du public comme dans sa vie privée, que
le renard blessé reprit goût à la vie et se reconstruisit à petit feu.
Gravant (et gavant son monde) dans les médias comme sur les arbres des « RS aime
RS » (Renaud Séchant aime Romane Serda) mais restant en grande partie à l’orée
du bois des peoples médiatiques, il reprit en début d’année la direction des
studios le cœur léger en compagnie de la même équipe de musiciens pour que l’on
entende résonner sa voix chevrotante et constater de quel bois il se chauffait à
nouveau.
L’espoir fait vivre et dans l’air du temps ce pamphlétaire de nos sales manies
sentait bien qu’il était temps de gratter sous les pieds de chacun et même,
surtout, sous les siens. Au résultat : double album-24 chansons. C’est qu’il a
plein de choses à dire le vieux titi parigot, pas déplumé du grenier voilà «
Rouge Sang » ou l’histoire d’un retour aux affaires dans tous les sens du terme.
Mêlant la tendresse, les caresses et les coups de poing il puise toujours dans
ses histoires personnelles des chansons entrelaçant le regret du passé mais
l’espoir chevillé au corps.
Ce disque est donc découpé en deux, comme une éponge qui gratte d’un côté et qui
lave de l’autre. Comme un vieux vinyle face A-face B qui a foutrement de la
classe mais aussi quelques crachouillis d’un autre temps. D’un côté donc
l’attaque en règle comme dans les « Bobos » et là, inutile de chercher, c’est du
goupil revendicatif et un rien agressif qui mord aux pattes de la tendance
sociale, dans « Arrêter la Clope ! » et ses bonnes résolutions face au danger du
tabac ou « Elle est Facho » c’est du Renaud grand cru, du Renaud de la belle
époque et du Renaud qui accepte les contradictions, sorte de girouette avec ses
convictions, gaulois, français en somme. Renaud se fait plaisir et raccroche les
wagons de ses colères par des guitares électriques pompières mais on l’adore
tellement ce futé personnage, qu’on lui pardonne aussitôt ces gimmicks et ce
manque de finesse. C’est en définitif du Renaud qui prête à sourire : entre anar
bienveillant ou réac tête à claque. Du Renaud mobylette 103 conduite par Dédé ou
Pierrot.
Quand à cette fameuse face B elle prend le pas sur le perfecto, Renaud taillé
d’une pièce pour un costume cravate aux motifs de l’attachement sincère qui
puise le lait de l’ivresse dans les siens. Celui de « Marchand de Cailloux » ou
de «La Belle de Mai» adouci et sincère, le rebelle qui flippe sur ses gama GT et
ses rides assumées mais patentes, sur sa face comme dans ses disques il y a des
rides qui s’apparentent à des blessures ou des traces difficiles à traîner.
Celui qui souffle le poil à gratter de sa main pour offrir l’encre couleur
tendresse de ses veines a toutes les qualités pour devenir un sage. Renaud n’en
est pas encore là, mais le candide fait homme de passion des années Virgin est
bien présent, plus calme et prudent, ne se payant pas une conduite mais
acceptant d’offrir aussi ses incertitudes et ses impuissances. Quinqua,
nouvellement papa sur « Malone », dessinant un tableau de «Nos Vieux » dont il
ne fera jamais parti, de nos amours sur «Jusqu’à la Fin du Monde». Nostalgique
sur «Adieu l’Enfance» et rendant un vibrant hommage au monde agricole dans « Pas
de Dimanche »,
Renaud a toujours 10 ans, toujours l’envie de jeter des cailloux
dans les mares, de s’élever contre les injustices, quitte à y participer.
Paradoxale mais clairvoyant sur le XXIème siècle.