"Ptit con"
En Jeudi matin je me suis levé le cœur léger. Deux p'tites heures de boulot
seulement puis je vais vider ma thune chez Ada, prendre la Yaris en direction de
Bapaume, petite bourgade du Pas de Calais connue pour... ben pour pas grand
chose en faite mis a part son maire (Jean-Paul Delevoye, ancien candidat raté au
RPR, ancien ministre et actuel médiateur de la République) et son centre de
détention qui borde l'autoroute.
Dans cette prison, assez importante (500 mecs, 100 filles), assez neuve (1991)
et assez clean (c'est pas les rats des Baumettes ou les odeurs de la Santé
(d'ailleurs vous trouvez pas étrange qu'à Paris l'hôpital s'appelle La Pitié, et
la Prison au contraire se nomme la Santé)), Renaud a décidé de fêter la musique
en deux concerts d'une heure.
En rentrant dans la prison, on voit une certaine ébullition. Tu m'étonnes,
d'habitude les seuls stars médiatiques qui sont dans les prisons ont exercé
leurs talents d'acteurs devant les chroniqueurs judiciaires. Les CIP (assistants
sociaux) sont à la taule depuis 6h30 du mat' et se sont transformées en attaché
de presse (France 2, AFP, RTL, ...). Après avoir accroché mon «pass VIP» (c'est
d'un goût !) je me rend au gymnase. Les choses ont pas été faite à moitié.
L'orchestre au complet, une bonne sono, une vraie scène, manque plus que le
décor, 1200 m² de salle et les videurs à l'air méchant pour se croire à Bercy.
Bref ça le fait et on se dit que pour organiser un vrai concert en prison avec
l'administration pénitentiaire il en a fallut du boulot (quand on sait que pour
faire rentrer le moindre crayon à papier j'ai parfois besoin d'un mois et demi
de délais assortie de formulaires en X exemplaires...).
Le premier concert sera pour les gars. Ils seront 232 (l'avantage avec
l'administration pénitentiaire c'est qu'ils font toujours les comptes de façon
précise) sur les 500 hommes de la prison. Renaud arrive, sans cravate mais avec
chemise et foulard rouge sur son T-shirt Betancourt, taularde du bout du monde.
L'a l'air en forme l'idole. Après des balances qui prennent leur temps (pourtant
d'habitude on aime pas trop ça les balances en taule), il attaque son set par
l'excellent P'tit Voleur une de mes chansons cultes à moi que je n'avais jamais
eu la chance d'écouter. Ca plante le décor. Le public est ravi et le montre (ça
fait drôle de voir un gros bloc de durs rugissant). Suivront ensuite Marchand de
Cailloux, 500 Connards, Docteur Renaud et Elle est facho (accompagné d'un p'tit
oublie de paroles). L'avantage avec les détenus c'est qu'on peut être sûr qu'ils
soient pas encartés UMP. Du coup les réactions sont vraiment bonnes, sur cette
chanson comme sur le deuxième couple d'Hexagone qui provoque plus de boucan que
tout le public de Bourg en Bresse n'a pu le faire en 2 heures. Autre avantage
des concerts entre les murs : pas de gogol qui se cachent derrière un portable,
ni de flash malvenus. Les seuls doigts aujourd'hui seront pour le gouvernement
américain et le FBI pendant l'intro de Leonard Song, et ce sous les
applaudissements chaleureux du public .
Dans mon HLM est jouée en entier. Pour le quota de chansons tristes, on a droit
a une sublissssime version de Manu très dépouillée (= sans arrangement
lourdingue). Ca me prend aux tripes, et apparemment pas seulement aux miennes.
Mine de rien, l'idole et son groupe arrivent à dompter un public difficile
composé de non aficionados (un seul gars aura le t-shirt datant de la tournée
d'enfer) et de camionneurs endurcis qui sont pas du genre à vouloir jouer les
p'tits fans. Autre superbe moment, la reprise de Dylan.
Dès que le vent appel le rappel. Quelqu'un demande Manhattan Kaboul. A priori
elle ne devait être chantée que pour le concert femme. Pas cons, les taulards
réclament la Romane. Celle ci s'exécute. On sent le Renaud un peu flippé de
montrer sa gonzesse à 250 gars qui n'ont parfois plus touché de meuf depuis
l'époque où le pin's parlant était à la mode et où Giscard d'Estaing était
encore vivant. Mais comme les détenus ont du respect pour les gens qui en ont
pour eux, et ont leur dignité intacte même si elle est constamment bafouée, pas
de sifflet boeufisant pour la belle (ça m'étonne pas vraiment : dans notre asso
on a 800 étudiantes, et les plus lourds avec elles portent souvent l'uniforme
;-). Le duo est un grand moment et ça se voit presque pas du tout que Romane ne
maîtrise pas les paroles. Pour un peu, ça me réconcilierait avec cette chanson.
Ca sonne la fin et les détenus, après la séance de poignées de mains et de
dédicaces offertes par l'idole, réintègrent l'air ravis.
Ca nous laisse trois quart d'heures de battement en attendant les consœurs.
Avec ce concert fille, arrivent les autres VIP (on a préféré les faire venir à
ce concert là : moins de monde et moins de risque de baston). Le maire de
Bapaume, le fameux Jean-Paul Delevoye vient faire un tour. Ce gars me
réconcilierait presque avec la droite. Son humanisme est sincère et il s'est
bougé à son poste pour que les détenus ne soient pas les délaissés de
l'administration. Quelques surveillants profitent du répit Tout ce beau monde
discute un peu attendant la reprise des hostilités.
Les femmes sont enfin là. Le gymnase prend alors une allure de petite cour des
miracles. Une petite centaine de femme se retrouve dans une salle un peu
dégarnie, mêlant détenue et officiel (le grand Delevoye au milieu du public
détonne). Cent c'est déjà pas mal, car comme dans les boîtes vers 6 heures du
mat, en prison y'a 30 fois moins de femmes que de mecs. Mais celles qui y sont
enfermées le sont souvent pour des choses plus graves et elles vivent leur
détention de façon très différente, beaucoup plus sensible et démonstratrice.
La set-list sera aussi plus féminine, avec nettement moins de chansons énervées
(Renaud macho ?). On commence par Malone suivi de La Ballade Nord Irlandaise,
Marchand de cailloux et une de mes préférées : la Pêche à la ligne. Renaud
dédicace ensuite Hexagone à Nathalie Ménigon, partiellement hémiplégique suite à
des accidents cérébraux, enfermée depuis plus de vingt ans et que le temps et
l'acharnement de la justice tuent lentement (faites un tour sur
http://nlpf.samizdat.net). Renaud semble un peu moins à l'aise qu'avec les mecs
(ça doit être assez bizarre d'enchainer Bapaume entre deux zéniths) mais ça
continue très bien avec Manu (je rêve où elle est plus orchestrée cette fois ci
?) et Dans ton sac (apparemment il l'avait pas fait entière depuis une
éternité). Vient ensuite le medley Lolita avec des vrais morceaux complets
dedans : Chanson pour Pierrot, En cloque, Morgane de toi, Baby sitting blues,
Mistral gagnant, la superbe Il pleut, C'est quand qu'on va où..., Mon amoureux,
Elle a vu le loup (commentaire constructif : j'l'aime pas trop celle là) et
Adieu l'enfance. A la demande du public Renaud chante au pied levé La Blanche en
solo à la guitare, ne sautant qu'un p'tit couplet. Dès que le vent annonce que
la partie sera bientôt finie et c'est une nouvelle fois le duo avec Romane sur
Manhattan qui boucle le tout (pourquoi ne pas le généraliser à l'ensemble des
dates restantes : ça donne un intérêt à la rejouer sur scène ce tube trop joué
?). La séance de dédicace est plus longue mais tout le monde sort vraiment
touché par ce concert.
En tout cas bravo Renaud à toi et toute ton équipe pour avoir mis autant de
temps, de moyens et d'énergie pour ces deux fois une heure. Ca a pas du être
facile face à un public parfois déstabilisant, mais je te garantie qu'on voyait
à leur tête ce que tu avais pu leur apporter. Bravo aussi à l'administration
pénitentiaire (surveillants, direction et surtout SPIP*
de Bapaume).
Encore merci Renaud : grâce à ce concert, pendant une heure on aura permis aux
personnes détenues d'accéder à la culture, à la poésie et à un peu de bonheur.
Pendant une heure les murs symboliques de la prison se seront effondrés. Pendant
une heure on les aura considérées non par pour ce qu'elles ont fait, mais pour
ce qu'elles peuvent faire. C'est le genre d'heure qui reste gravée longtemps, et
pas seulement dans ma tête de fan militant de la taule.
Contrairement à ce qu'on nous dit, la situation des prisons n'est pas rose. Il
ne tient qu'à nous de changer ça, camarade !
*Service
Pénitencier d'Insertion
et de Probation