Interviews improbables 

Renaud > un mec d'enfer

Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant Renaud dans un bar glauque du vieux Panam, lieu débordant d'authenticité et égaré entre le périphérique et une tour de 35 étages. Il m'avait donné rendez-vous "Chez Mauricette, la reine de la saucissette". L'intérieur était fellinien : visages bouffis, teints écarlates, barbes hirsutes et regards vitreux égarés sur l'horizon zingué du comptoir. Le juke-box dégueulait un truc hyper-ringard de Verchuren.

Salut Renaud, super le coin !
T'as vu l'ambiance, ça en jette ! Et, que des potes à moi en plus.

Oui, je vois. Vous venez souvent chez Mauricette ?
Avant beaucoup… Ces derniers temps, un peu moins. Enfin depuis la sortie de mon dernier album. Maintenant, on me voit plutôt à TF1 et M6 et surtout chez Maxim's. Mais, je vais pas renier pour autant mes origines. Je reviens ici de temps en temps pour l'image et pour mon public… Je tiens à montrer que même si je vends autant que Pagny et Hallyday, je reste avant tout un mec hyper simple de la zone.

Alors Renaud, emporté par un enthousiasme inattendu, se mit soudain à entonner un vibrant "Santiano" de son idole Hugues Aufray, repris en chœur par la multitude.

C'est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau
Hissez haut Santiano
Dix-huit noeuds quatre cents tonneaux
Je suis fier d'y être matelot…

On n'entendait plus Verchuren. Ce n'était pas plus mal !

Renaud, c'est votre vrai nom ?
Non. C'est mon prénom.

Ça ne sonne pas trop "HLM" ou "Zone", ce prénom ?
Oui, c'est vrai. Normalement, vu d'où je viens, j'aurais dû me prénommer Gustave ou Maurice. Ça aurait pas été génial question promo mais rayon authenticité ça en aurait jeté un max. Et comme ma mère était une fan de la chanteuse Line Renaud, une grande vedette des années 50, du coup elle m'a appelé Renaud et j'ai trouvé super de garder mon prénom comme nom de scène.

Vous avez bien fait.
C'est vrai que bon, ça sonne pas vraiment loubard, mais enfin c'est moins con que Dave ou Calogero.

C'est sûr… Certains affirment que vous n'êtes pas issu de la zone ? Que vous avez créé de toute pièce un personnage de faux-loubard pour trouver le bon créneau ? Qu'en est-il vraiment ?
On raconte n'importe quoi pour vendre. Comme qui dirait que mon paternel c'était un intello créchant dans les beaux quartiers. Que même mon prénom dans les années 50, ça pullulait dans la haute. Faut savoir que mon vieux, dans son vieux pardessus râpé, il s'en allait l'hiver, l'été dans le petit matin frileux, mon vieux. Y avait qu'un dimanche par semaine, les autres jours, c'était la graine qu'il allait gagner comme on peut, mon vieux…
 

C'est émouvant.
Oui. Je compte même en faire une chanson pour mon prochain cd.
 

D'aucuns disent qu'il y a une certaine contradiction entre votre discours et votre réussite sociale. Qu'avez vous à répondre à cela ?
Je répondrai que je profite de ma position pour faire passer un message. Tu me vois crier dans ma banlieue comme un con sur ma mob avec mon foulard autour du cou, ma casquette, mes patd'ef et que personne m'entend, même pas la Mauricette…

Certes.
C'est sûr, que quelque part, au niveau de mon compte en banque, je suis à l'aise question pognon. Faut bien le reconnaître. Mais c'est pas le plus important. Tout ce qui se passe dans le monde m'interpelle tout le temps. C'est dur de dormir le soir quand tu sais que les clos se meurent en Haute-Ardèche et que personne fait rien. Merde !

Ah bon ?
Oui. Et c'est d'ailleurs en ce sens que je vais pousser quelques gueulantes sur France 2 ou même aux victoires de la musique.

Très belle démarche s'il en est et fort louable ma foi. Avec le recul êtes-vous toujours autant mitterrandiste ?
Plus que jamais. Ce mec a fait une œuvre énorme. Il mérite largement sa place dans le dico entre Eddy Mitchell et Georges Moustaki. C'est quand même lui qui a fait virer les Carpentier de la télé, c'est pas rien ! En plus, il était hyper proche du peuple et de ses aspirations les plus profondes. J'ai pas peur de crier : "Chapeau, Tonton !".

Renaud, vous êtes donc toujours très engagé sur les âpres sentiers tortueux de la légitime contestation.
C'est vrai. Et puis je suis un hyper-sensible, un écorché vif même, n'ayons pas peur des mots. Tout me touche. Des figurants du film "Germinal" jusqu'aux ours des Pyrénées. J'essaie toujours de défendre les causes nobles.

Comment expliquez-vous l'extraordinaire succès de votre dernier album ?
C'est tout simple. Parce qu'il est à mon image : authentique. Et ça, les gens le sentent. Tu peux pas tricher. Je fais qu'exprimer ce que j'ai souffert. Je parle aussi de ce monde pourri et qui m'interpelle. Mon album, c'est comme un cri. Et puis aussi, j'ai eu une bonne promo. Ça compte aussi merde !

C'est sûr... Pourquoi ce titre "Boucan d'enfer" ?
Tu vois, mon pote, c'est une métaphore. Le boucan d'enfer, c'est le bruit de ma grande douleur quand je souffre.

Mais quelqu'un a dit que les grandes douleurs sont muettes.
Ah ouais ? Qu'est-ce qu'il y comprend ce mec à ce que j'ai enduré. En plus il doit être sûrement aphone pour dire des conneries pareilles !

On se boit encore un coup de rouge, Renaud, pour faire passer la saucisse ?
Non, merci. Je suis rétamé. Je pars. On m'attend encore chez Drucker.

 Source  http://effetlarsen.site.voila.fr

Renaud