ARCHIVES DU MAGAZINE MARIANNE Qu'est-ce que tu deviens, doudou, dis donc? |
Marianne2.frRENAUD CASSE LA BARAQUE Pascal Fioretto / Lundi 26 Juin 2000 |
Depuis près de sept ans, la star «à l'insu de son plein gré» se taisait. Mais
pour Marianne, l'artiste a accepté de déballer son sac. Sur les médias, les
fausses rumeurs et son public.
Vingt-cinq ans de carrière, près de 12 millions de disques vendus, Renaud Séchan,
48 ans, plus connu de ses nombreux fans sous son seul prénom, est un artiste
comblé, sinon complet. La plupart de ses confrères préfèrent cajoler les médias
qu'affronter leur public. Lui, l'ex-«barricadier» de Mai 68 tourné star à l'insu
de son plein gré, poursuit depuis octobre - et sans la moindre promo - une
tournée marathon aux quatre coins de la France qu'il affectionne, loin de Paris
et de ses mauvaises querelles. Entretien avec un chanteur qui n'en a pas accordé
depuis 1993.
Marianne: Tes rapports avec les médias ont toujours été compliqués. Tu dis
régulièrement: «Plus de presse, plus de télé, ni de radio» et, effectivement, tu
n'as pas donné d'interviews à la presse depuis longtemps. Comment tu expliques
ça ? Renaud:J'explique pas. Je n'ai pas de stratégie ou de plan média. Je ne fais
quasiment rien (avec la presse) depuis des années. Je ne veux plus participer au
«brouhaha ambiant». Je ne suis pas de ces chanteurs qui la ramènent à tout bout
de champ et, de plus, je n'ai rien à vendre. Ma tournée de 200 concerts affiche
complet partout sans une once de promo. Pourquoi m'emmerder à aller faire des
télés minables ? Quant à la presse et à la radio, si je leur refuse globalement
les interviews, c'est que j'ai le sentiment, à tort ou à raison, que je n'ai
rien d'intéressant à raconter sur ma vie, sur ma carrière, ni sur le monde. Et
puis, pour vivre heureux, vivons cachés... Mais il est vrai que, lorsque je sors
un nouvel album et qu'il faut bien communiquer pour faire connaître son
existence, je fais des choix étonnants. Je préfère faire Pascal Sevran à 15
heures que Foucault à 20 h 30 ou une beauferie pseudo-branchée sur Canal +.
J'évite les émissions vulgaires, point final. Libre à moi de préférer Drucker à
Nagui et Télé 7 jours aux Inrockuptibles. La presse dite populaire est parfois
plus honnête intellectuellement que les directeurs de conscience de certains
torchons branchés ou leaders d'opinion...
Et Marianne ?
Marianne, c'est plutôt digne. Et puis, c'est l'un des hebdos les plus diffusés
en province. Ça aère du microcosme parisien dont on a parlé plus haut...
Alors, comme ça, tu es méchamment malade ? Un quotidien du matin a récemment
lancé une rumeur concernant ton état de santé...
Ben oui, récemment, je me suis chopé un rhume qui a bien duré trois jours. Comme
j'en avais déjà eu un en 1995, je commence à être inquiet pour mon système
immunitaire. Bon, sérieusement, je me porte comme un charme. Mes rares bobos
depuis vingt ans n'ont jamais nécessité d'autre médecine qu'un Aspégic 1 000. Le
quotidien dont tu parles, c'est Libé. Ils n'ont pas fait que lancer ce qu'ils
appellent eux-mêmes une «mauvaise rumeur», ils l'ont illustrée. Leur
journaliste, sûrement un genre de toubib contrarié, m'a trouvé très mauvaise
mine, «voûté, bouffi, dégoûté» de moi-même et, pour essayer de planquer tout ça,
forcément, «grimé comme une poupée». Il ne manque que les «doigts crochus» et on
n'est pas loin de la prose de Je suis partout.
Les rumeurs sont tenaces; les démentir, c'est parfois les renforcer. Tu crois
que ta simple bonne foi suffira à faire taire celle-ci ?
Tu veux publier mon dernier check-up ? Il ferait bien des envieux. Tout est
limpide, malgré mes abus autodestructeurs en bibine et en nicotine.
C'est rare que Libé se paye ainsi un artiste.Tu ne les aurais pas un peu cherchés, par hasard ?
Ben si... J'ai parlé, dans deux ou trois chansons, des «précieuses ridicules»
qui officient dans les pages culturelles. J'ai aussi ricané du carriérisme de
ces exrebelles. Il faut dire que ces enfoirés m'allument depuis quinze ans avec
une haine et un acharnement qui relèvent du règlement de comptes.
Il paraît que tu t'essaies aussi au beaufîsme ?
Ah oui... Dans le même papier, j'ai découvert que j'étais devenu un gros beauf
parce que je parlais de football, de gon-zesses et que je taquinais mon macho de
guitariste, Jean-Pierre Bucolo, sur sa pseudo-homosexualité... et puis, si
chambrer les footeux, les hooligans, maintenant, c'est être beauf, c'est nouveau
! Non, ce qui me débecte dans ces remarques, c'est que mon public, qui s'éclate
de rire pendant deux heures à mon spectacle, serait, du coup, un «public de
beaufs» incapable de saisir le deuxième degré de certaines de mes vannes... De
toute façon, pour ces petits messieurs plumitifs et fielleux, tout ce qui n'est
pas branché, ultramode et parisien est beauf...
Ils parlent aussi de «glissements vulgaires»...
Ce sont eux, les vulgaires. Des centaines de journalistes de province ont vu mon
spectacle et n'ont parlé que de tendresse, d'humour et d'intelligence. Et puis,
surtout, eux, ils parlent de mes chansons. Libé n'en dit pas un mot, pas une
ligne. Seraient-elles à ce point inattaquables qu'ils n'osent s'aventurer à les
évoquer ?
Un dernier mot sur ce papier... Tu te fais aussi taxer de «mitterrandiste qui
n'assume pas»
Il paraît que j'essaye de «nier toute connivence avec Tonton». Quelle bande de
tarés ! Au contraire, sur scène, je revendique cette connivence. Tout en
affirmant avoir aimé l'individu, je parle de sa «politique à la con». Je n'ai
jamais tenu un autre discours !
Et ça nous mène à ta tournée actuelle à travers la France. Sans avoir sorti de
nouvel album, tu tournes depuis octobre 1999. Déjà 120 concerts, qualifiés par
les quotidiens régionaux d'«intenses moments de retrouvailles avec ton
public»...
J'ai appelé ce très long tour de France «Une guitare, un piano... et Renaud». On
est trois sur scène (Jean-Pierre Bucolo à la guitare et Alain Lanty au clavier),
et c'est vrai que c'est le bonheur. Que je chante dans des théâtres de 900
places ou des salles de 3 000, je retrouve la complicité et l'amitié de mon
public. Cet incroyable mélange de trois générations de fidèles qui chantent en
choeur, sont émus... Ça, c'est un vrai privilège.
Donc ça marche ?
Bourré tous les soirs... les salles, je veux dire. On continue jusqu'en décembre
et, paradoxalement, comme je ne fais pas de télés, je croise tous les jours des
gens qui me demandent pourquoi j'ai arrêté la chanson...
Tu veux prouver quelque chose avec cette tournée qui fait un peu retour aux
sources, période Pizza du Marais, tout seul avec ta guitare ?
C'est peut-être un peu prétentieux comme démarche. J'ai voulu montrer que mes
chansons n'avaient pas besoin d'une armada de musiciens pour se défendre, qu'un
accompagnement minimaliste pouvait les mettre encore plus en valeur.
Visiblement, si j'en crois les témoignages du public, c'est gagné.
C'est un nouveau départ ?
Pas du tout. Je continue l'aventure commencée il y a vingt-cinq ans avec un
spectacle différent. Ma prochaine tournée se fera forcément avec une autre
formation musicale. L'accordéon reviendra...
Dans une interview, il y a quelques années, tu as dit à peu près: «J'aurais
sûrement à payer ce succès un jour.» C'est un vague sentiment de culpabilité que
tu traînes ou tu crois vraiment que le bonheur, la réussite finissent un jour
par renvoyer l'addition ?
Les deux. C'est vrai que je me suis toujours senti un peu coupable de mon
succès; un psy pourrait peut-être m'expliquer pourquoi. C'est vrai aussi que je
ne crois pas au bonheur. La vie m'a appris à m'attendre toujours au pire, qu'il
est toujours à venir, surtout lorsque tu as connu le meilleur.
Tu annonces que ton prochain disque est prêt mais que c'est un 45 tours. Tu as
décidé de vivre de tes rentes ou est-ce si dur que ça d'écrire des chansons ?
C'est absolument l'enfer ! Je n'ai réussi à pondre, péniblement, que cinq
chansons depuis cinq ans. Cinq qui me plaisent, en tout cas... Je gamberge jour
et nuit aux suivantes; elles peuvent venir demain, dans six mois, comme ne
jamais venir. On verra... Si, dans un an ou deux, rien n'est venu, je songerai à
ma reconversion. L'absence définitive de talent me poussera peut-être à postuler
à un poste d'écrivaillon dans les pages culturelles de Libé...
Tu sembles moins ouvert sur le monde, moins révolté par ses scandales et ses
horreurs qu'il y a quelques années, moins engagé. Fatigué d'être indigné, en
colère ?
Je suis un révolté de naissance et les raisons de l'être ne manquent pas
vraiment. Mais je m'expose moins qu'à une certaine époque, c'est vrai. J'ai reçu
pas mal de coups dans la gueule, suite à mes engagements. J'en ai donné, aussi.
A droite, pas mal, mais même à gauche. Néanmoins, ça ne m'empêche pas de
continuer à mener des combats pour quelques causes qui me tiennent à coeur.
Dernier exemple en date, mon récent concert à Biarritz, dont les recettes sont
allées aux familles des prisonniers politiques basques qui luttent pour leur
regroupement dans les prisons d'Euskadi.
Et toujours l'humanitaire ?
Les Restos du coeur, bien sûr, Emmaüs, les Enfants de la terre, récemment...
On étudie tes chansons dans les manuels scolaires, elles font l'objet de thèses
en France et à l'étranger; certaines, comme Mistral gagnant, Dès que le vent
soufflera, traversent les générations. Quel effet ça fait d'être classé monument
historique ?
Ça donne juste envie de continuer à écrire; c'est le plus grand bonheur de ma
vie.
Dans une chanson, Cent ans, tu mets en scène un vieux monsieur qui a fini la
traversée de sa vie. Dans une autre, Putains de cheveux blancs, tu craques
devant ton miroir. Tu trouves que tu vieillis bien ?
J'espère que je me décompose moins vite que le monde...
Marianne2.frRENAUD CASSE LA BARAQUE Pascal Fioretto / Lundi 26 Juin 2000 |
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