Observateur

de la vie

urbaine

 

Renaud, en 1989, lors d'un concert Place de la Bastille.
Renaud, en 1989, lors d'un concert Place de la Bastille.  photo : PATRICK HERTZOG/AFP

Tableau d'honneur pour Renaud. Avec sa peinture réaliste de la société de la fin des années 1970, le chanteur devient la nouvelle idole des jeunes. Il est vrai que ses premiers titres -Hexagone, Laisse béton, Ma gonzesse- ne laissent personne indifférent. Son style rebelle non plus. Les lycéens reprennent à leur compte ses expressions en verlan ou en argot. Les professeurs en dévoilent la signification aux jeunes écoliers. En 1980, avec l'album Marche à l'ombre , Renaud peaufine sa réputation de chanteur engagé. Et ­cogne avec finesse. Dans mon HLM, portrait insolent des classes moyennes, place la barre (de ­béton) très haut. Le ton est donné dès les premières notes:

«Au rez-d'chaussée, dans mon HLM,
Y a une espèce de barbouze
Qui surveille les entrées,
Qui tire sur tout c'qui bouge,
Surtout si c'est bronzé.»

Le beauf, tendance facho, en prend pour son grade. À l'image de Cabu ou d'Yves Boisset dans Dupont Lajoie, il dénonce le racisme quotidien et toutes les formes de bêtise. Le combat politique fait rage. Comme Coluche, Renaud s'immisce dans le débat. Sous son impulsion, la visite de son HLM se poursuit. Le parti présidentiel d'alors est directement visé quand l'interprète décrit un «bon contribuable centriste» n'aimant pas les enfants. «C'est vous dire s'il est triste», assène le musicien. «Il détestait Giscard, trouvait ses ministres âgés et considérait que la jeunesse n'était pas assez représentée», indique Fabien Lecœuvre, auteur de Petites Histoires des grandes chansons (Éditions du Rocher). Adepte de la provoc, il dédie même Marche à l'ombre à l'ancien ­ennemi public numéro un Jacques Mesrine. Pas sa meilleure idée…

Observateur de la vie urbaine

Retour dans les étages du HLM avec sa sympathique bande d'allumés, sa blonde décolorée en Mini Cooper, son trotskiste, son ancien combattant, son loubard, son flic. «À cette époque, Jacques Attali avait déclaré en substance qu'il valait mieux se plonger dans les textes de Renaud que dans les analyses de trois sociologues réunis», se souvient le frère de l'artiste, Thierry Séchan. C'est d'ailleurs dans l'habitation à loyer modéré de son aîné, rue du Château-des-Rentiers, dans le XIIIe arrondissement de Paris, que le chanteur a puisé une partie de son inspiration. «Il était venu dîner, raconte Thierry Séchan. Je lui avais parlé de mes voisins: il y avait un flic, un professeur et une bande de babas cool qui me dépannaient de temps en temps… En me rendant visite, il a aussi constaté qu'on ne vivait pas les uns sur les autres.»

Ses talents d'observateur de la vie urbaine, ­Renaud les a cultivés pendant sa jeunesse, porte d'Orléans, à Paris. Ensuite, il a multiplié les rencontres, notamment avec des blousons noirs. «L'idée de la chanson a germé dans son esprit lors de sa première tournée à succès, organisée en 1979, note Fabien Lecœuvre. Elle est née sur un trajet Paris-Rouen. Renaud se rendait beaucoup dans les petits théâtres, les MJC… Il signait des autographes avant de se produire sur scène. Il était très populaire dans les barres de HLM.»

Si Renaud brille par ses propos incisifs, il s'impose aussi comme un musicien doué et ouvert à d'autres styles. Ainsi avait-il songé à donner une autre forme à Dans mon HLM. «La chanson n'était pas destinée à devenir le rock qu'on connaît aujourd'hui, révèle Thierry Lecamp, journaliste à Europe 1. Au départ, Renaud souhaitait un air de java. C'est le leader du groupe Au bonheur des dames qui lui a fait comprendre qu'il ne collerait pas avec le côté rebelle de la chanson.» À chaque concert, le public la plébiscite. «Elle possède un gimmick très fort avec le célèbre refrain: “Putain c'qu'il est blême, mon HLM! Et la môme du huitième, le hasch, elle aime!”, analyse Éric Jean-Jean, animateur à RTL. Cet effet est l'une des clés de son succès comme les “Oh, Yeah!” des Élucubrations d'Antoine. Les personnages restent familiers. Seuls les détails ont changé. On imagine que la blonde décolorée se ­déplace désormais en Smart ou que le cadre dynamique serait aujourd'hui un bourgeois bohème.» Ces bobos justement, Renaud ne se prive pas de les étriller, en 2006. Avec, cette fois, une pointe d'autodérision:

«Ma plume est un peu assassine
Pour ces gens que je n'aime pas trop.
Par certains côtés, j'imagine
Que j'fais aussi partie du lot…»

Renaud