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Renaud revient en « flingueur » amoureux

Il y a quatre ans, plus de deux millions de Français achetaient Boucan d'enfer. Renaud y chantait son mal de vivre. Un mariage et un bébé plus tard, Rouge sang, le Renaud nouveau, qui sort lundi, est à la fois amoureux et mordant.

Depuis plusieurs semaines, Les bobos tourne sur les radios. Pourtant, il ne faudrait pas s'arrêter sur cette chanson-catalogue, rigolote mais anecdotique, pour juger le nouveau Renaud : « Ce n'est pas la meilleure, concède l'intéressé. Juste une petite chronique sur une classe sociale de plus en plus large et hétéroclite. »

Comme souvent, Renaud, 54 ans, reçoit dans sa cantine, la Closerie des Lilas, resto parisien chic du XIVe, pas très loin de la gare Montparnasse. Quel contraste entre ce Renaud-là, en pleine forme, et celui de Boucan d'enfer, il y a quatre ans. Voûté, le visage bouffi, il cachait alors mal sa tristesse, peinait à se débarrasser de son addiction à l'alcool et avouait avoir souffert pour terminer son disque. L'amour était parti. Il est revenu par la grande porte, l'inspiration accrochée derrière. A la vingtaine de chansons de cet album, il faut en ajouter une quinzaine pour le prochain disque (à paraître en février) de Romane Serda, sa nouvelle femme, la mère de son bébé. « J'ai retrouvé la sève, la verve, la respiration, l'envie d'écrire, de chanter mes bonheurs et mes colères. »

Celui qui fut, à la fin des années 1970, le symbole d'une jeunesse à la fois rebelle et tendre, commença à raconter sa vie en chansons en découvrant la vie de famille. Renaud Séchan, fils d'un écrivain enseignant et d'une mère de famille nombreuse (six enfants), veut « dire la vérité, puiser dans mon quotidien des émotions dans lesquelles, j'espère, d'autres se reconnaîtront. » Ce fut l'album Morgane de toi (1983), avec le fameux En cloque. C'est ainsi qu'on voit, à chaque disque, grandir sa fille Lola (Adieu l'enfance est la petite dernière). Jusqu'au trou noir raconté dans Boucan d'enfer. Et jusqu'à, sur ce nouvel album, un bel hommage à ses parents : « Cela faisait longtemps que j'avais envie de leur dire mon amour de manière impudique, c'est à dire publiquement, alors que je n'osais pas le leur dire dans le blanc des yeux. Malheureusement, mon père est parti cet été », à 95 ans.

Aujourd'hui, il chante aussi son fils, Malone, né le 14 juillet dernier : « Je ne sais pas s'il sera révolutionnaire, mais il sera au moins républicain ! » Et Renaud est évidemment tout de miel avec Romane, la maman. Au fil de l'album, il grave leurs (identiques) initiales, défend les blondes, titille pour elle ses cinq sens, lui écrit des anagrammes... Et lui offre même, en alexandrins, une très sensuelle Je m'appelle Galilée.

Dans l'univers sentimental chahuté du show-biz, Renaud a toujours été l'homme d'une seule femme. Elle l'a largué. Il a failli ne pas s'en remettre. Il insiste aujourd'hui, dans plusieurs textes, sur son désir d'éternité avec Romane. « Il y a 25 ans, j'étais persuadé que je mourrais auprès de mon premier et seul amour. La vie en a décidé autrement. Je me rassure en me disant que la seconde chance est la bonne. » Renaud n'a jamais caché que vertu, morale, honnêteté, lui étaient des mots chers.

Quant à son écriture, elle reste comme lui, instinctive. Parfois trop facile, mais avec de l'humour, de la tendresse (Elsa rappelle les plus anciens P'tite conne ou La teigne), de la liberté, même si verlan et argot ont quasi disparu. Car Renaud n'applique pas, comme le prétendent certains, des recettes. « La France qui me déteste pense que la société m'a eu (en référence à Société, tu m'auras pas, ndlr). Dans ce cas, je l'ai bien eu aussi. Je profite de ses avantages, mais je critique ses inconvénients et je défends mes combats. La société du spectacle m'y autorise parce que je suis un chanteur populaire. »

Et si ses textes n'ont plus la même violence qu'à ses débuts, il est l'un des rares de sa génération à tremper, avec conviction, sa plume dans le vitriol, sans auto-censure. Sentimentale mon cul !, chante-t-il, parodiant la Foule sentimentale de Souchon. Et c'est en militant qu'il interprète Léonard Song, en hommage à un Indien d'Amérique emprisonné. Car J'ai retrouvé mon flingue, rappelle t-il, passant en revue « ce monde cruel et crétin ». Du tout bon Renaud. Quant à Elle est facho, « c'est un portrait déconnant et assassin d'une Marine Le Pen de banlieue. En studio, spontanément, Sarko a rimé avec facho. Mais je ne fais pas l'amalgame entre lui et Le Pen. Par contre, il laboure sur les terres électorales du FN. »

Du Renaud pur jus auquel on pourrait quand même reprocher des arrangements, signés de son vieux pote Jean-Pierre Bucolo, un peu trop variétés-rock. « C'est vrai, grogne t-il. Je n'ai pas pris de risques. Ma fille me pousse à prendre des jeunes musiciens anglais pour quelque chose de plus péchu. Elle n'a pas tort. Mais j'aime les mélodies de Bucolo et Lanty. Et je ne crois pas qu'on attende de moi une musique trop branchée. »

Fidèle en amitié comme en amour, le Renaud. C'est peut-être aussi cela qu'apprécie son public, qui ne lui a jamais acheté moins d'un demi-million d'albums... « Ils me voient comme un grand frère. Ils me disent que mes chansons les ont aidés à se construire, comme pour moi les chansons de Brassens. N'est-ce pas, autant que divertir et apporter de la beauté, le rôle du chanteur ? »

 

Michel TROADEC.
Ouest-France/Édition du samedi 30 septembre 2006


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