...et t'attends même pas 5 minutes !
+ LA COLLABORATION DE GREENPUCE ( pour la mise en page, ajouts photos et diverses corrections. Merci ! )
Paris -Match – 23 avril 2015
Un dimanche de mars
avec Renaud…
Renaud Séchan, pris en photo pour l'émission "Esprits Libres" sur France 2 ©BALTEL/SIPA
Le 23 avril 2015 | Didier Varrod
LE 11 mai prochain, France 3 diffusera un documentaire inédit sur le chanteur Renaud
réalisé par le journaliste français Didier Varrod et produit par Program 33.
Ce dernier nous raconte sa rencontre
avec l'interprète de «Mistral Gagnant»,
ému par l'hommage de toute une génération.
Le 7 mars, c’est l’anniversaire de ma maman. Je suis près d’elle à Lyon, près de mon papa aussi qui se remet difficilement d’une sale bactérie… Il est 13 heures, c’est un soleil d’été au printemps, pas naturel, mais qui rend heureux. Mon téléphone vibre. Numéro inconnu. Je devine que c’est lui. Je décroche un peu fébrile :
« C’est Renaud, il parait que tu cherches à me joindre… »
Je souris intérieurement. Depuis deux semaines, je lui ai laissé simplement deux messages pour lui parler du film, de son avancement, des premières réactions émues de celles et ceux qui sont venus le visionner en montage. Je ne lui demande rien. Mais au regard de notre confiance mutuelle, c’est normal, je me dois de le tenir informé dès lors que je travaille sur un projet dont il est le cœur. Et puis après un silence, il me balance :
« J’arrive à Paris cet après-midi, j’aimerais voir ton film ce soir… »
Boucan d’enfer dans ma tête ! Je dis oui sans réfléchir, il me répond laconique : « 19 h, à ce soir… ». J’ai raccroché et soudain, la panique. Je suis à Lyon, il va falloir prendre un train plus tôt que prévu, raccourcir le weekend familial, et puis une autre angoisse surgit. Le film ne peut être regardé qu’en salle de montage. Elles sont fermées le dimanche. Les archives ont encore le Time Code, mon commentaire est une maquette enregistrée à l’IPhone, pas d’habillage. Bref, c’est un document de travail. Mais qu’importe, quand Renaud débarque, on s’adapte… Désormais, on le sait tous, Renaud n’a presque plus qu’un seul pote : le silence. Alors quand le renard sort de sa tanière, c’est 14 juillet !! En une heure, tout est organisé pour que cette projection privée, sur notre lieu de travail, puisse avoir lieu. Nicolas Maupied, le réalisateur rapplique avec Cécile et Virginie, nos deux monteuses qui ont bossé d’arrache-pied... Elles ont vécu plus de deux mois avec Renaud, avec ses archives, ses chansons, ses photos, mais sans l’avoir jamais rencontré. Elles ne l’ont pas connu et pourtant au fur et à mesure du montage du film, elles l’ont reconnu.
La France lui dit son amour
Portrait de Renaud Marc Large
La chaîne, les producteurs, notre équipe au complet… le film que nous allons avoir la chance de montrer à Renaud, nous le revendiquons de A à Z. Mais pourquoi un autre film sur lui ? Encore un ? Durant le trajet en train pour Paris et durant les deux heures du voyage ce dimanche, je me refais l’histoire à l’envers. Il y a 12 ans, j’avais réalisé avec Eric Guéret, « Le Rouge et le Noir ». Une longue confession avec Renaud. Avec lui, dedans de la première à la dernière image… Un film qui restera avec les chansons comme le symbole de sa résurrection d’alors. Une sorte de repère, le film dont il était si fier qu’il avait fini par vouloir le commercialiser pour en faire son film à lui et qu’il avait alors rebaptisé avec sa verve renaldienne « Mon film sur moi et mes chansons préférées de moi ». Oui, Il m’avait alors tout dit.
Une décennie plus tard, avec un Renaud à nouveau terré dans sa tanière, j’ai pensé que c’était à nous de tout lui dire. Parce qu’il est de notoriété médiatique, quasi publique, que l’homme n’est pas au meilleur de sa forme. Donc pas question d’aller le chercher sur le terrain glissant de la confidence. Pas question non plus de faire un film qui lèverait enfin totalement le voile sur ses démons et qui raconterait en détail son mal-être. Tirer sur l’ambulance n’est pas le genre de la maison. Non… Simplement lui dire à quel point je, tu, ils, nous, l’aimons au point que son absence nous rend chaque jour un peu plus chagrin. Alors j’ai décidé. Pour son anniversaire à lui, on va faire un film à nous. Nous avons donc imaginé un décor géant, rien que pour lui. A la Plaine Saint Denis, un décor de cinéma, avec des arbres, mais aussi un peu de son Paname, et puis une guitare, un piano, des vinyles, un Revox avec des bandes d’interviews de lui qui tournent comme au bon vieux temps de la radio… Et puis des artistes de tous horizons ; et à m’assoir plus de 5 minutes avec eux, ils m’ont raconté leur Renaud. De Patrick Bruel à Oxmo Puccino, de Nicola Sirkis à Louane, de Grand Corps Malade à Élodie Frégé, de Raphaël à Disiz en passant par Vincent Delerm, Alex Beaupain, Nolween Leroy ou Mazarine Pingeot… Ce n’est plus une France contre l’autre. C’est la France avec tous ses paradoxes et ses différences qui lui dit son amour. « Les amoureux de Renaud n’ont plus de panoplie depuis longtemps » me confiait mon complice réalisateur Nicolas Maupied. C’est aussi pour cela que nous avons convié Marc Large, le pote dessinateur de Renaud.
Dessin réalisé à l'occasion du tournage du documentaire ©Marc Large
Tu t'assoies sur le banc, enfin je veux dire ,tu cliques sur la photo du banc
...et t'attends même pas 5 minutes !
...mais pas avant le 11 mai vers les 23H
Il est venu avec ses planches et ses crayons, avec ses dessins, ses portraits et son plaisir de la caricature, histoire d’offrir une troisième dimension au film. Cet apport du dessin, nous l’avions décidé spontanément avant les attentats de Charlie Hebdo…
Il y a soudain des concours de circonstances dont on se passerait allègrement. Notre tournage se déroula la semaine du 20 janvier. Nous aurions pu renoncer, reporter, et puis non. Comme si parler de Renaud nous aidait tous à nous soigner, à atténuer les douleurs. Renaud est la seule star de l’hexagone qui ne s’est pas exprimée sur cette terreur hivernale. Le seul absent dont la présence fut tatouée au cœur de cet élan citoyen avec l’une de ses chansons « Hexagone », la plus teigneuse de son répertoire, revisitée par un jeune artiste J.B Bullett et vue plus de 5 millions de fois sur « YouTube ». C’est ça la France de Renaud. Toujours debout et digne. En ce moment si singulier, j’ai alors bien conscience que ce film doit être à la hauteur de son héros.
Et soudain, Renaud applaudit
Et là… arrive le moment où le film vit tout seul. Et où il appartient à ceux qui vont le regarder. Nous revoilà au début de l’histoire. Le renard sort de sa tanière et hop, saute dans un train et vient voir le film. Il est 19 heures et Renaud est toujours aussi ponctuel. Accompagné de deux de ses proches, il est là devant moi. Nous ne nous sommes pas vus depuis 3 ans. On s’embrasse, timides, un peu gênés, comme toujours. Il est là et je n’en reviens pas. Il est debout. Comme un arbre qui résiste au temps et au vent. Il s’installe illico dans le canapé de la salle de montage, dans lequel on s’est assis pendant six semaines. Face à l’écran. La scène est surréaliste, Cécile et Virginie, nos deux monteuses, Christine notre productrice, Nicolas et moi nous regardons sans trop y croire. Moment de flottement. Il est bien là, et chausse ses lunettes, sans dire un mot. Je me regroupe et tente un léger préambule d’usage :
« Ce que nous allons vous montrer est une maquette, le film n’est pas terminé, etceteri, etcetera… »
Il regarde les murs de la salle avec des dessins, des photos de lui, et même des bandanas accrochés au porte manteau. Oui, je sais, c’est un peu dérisoire, et ça ressemble un peu trop à un mausolée. Mais quand on doit s’immerger pendant des semaines avec son sujet, il est essentiel de chercher la connexion jusque dans une forme de fétichisme affectif. Il regarde, impassible. Il ne dit rien et on comprend qu’il attend de voir le film. On appuie sur Play. C’est parti (si tout va bien) pour une heure quarante. C’est long une heure quarante. Putain, c’est une vie… C’est sa vie en plus. Mais pourvu qu’il ressente bien que c’est aussi la nôtre. Il est là sur le canapé. Il ne bouge pas. Ne manifeste aucun sentiment visible à l’œil nu. Le seul truc c’est qu’il fume 6 clopes en 94 minutes. On a fait le compte, ça fait une tous les quarts d’heures. Bref, je suis un mec flippé à moi tout seul. Et le Renard est toujours et encore… impassible. J’essaye de faire diversion dans ma tête :
« Dès que la lumière reviendra, nous nous en aillerons (de requin) tin tin tin… »
Et on finit par l’allumer la lumière. A partir de cet instant tout est flou, mais tout est vrai. Il applaudit et il se met à parler. La voix déraille, c’est l’émotion. Il reconnait qu’il a eu envie de pleurer à plusieurs reprises, que c’est du beau travail. C’est un enfant qui nous remercie du cadeau qu’on lui a fait. La voix se réchauffe. Il parle de JB Bullet et de sa chanson « Je suis Charlie » qu’il n’a pas encore téléchargée. Trop de douleurs sûrement. Silence. Il esquisse un sourire perceptible. Il est surpris par la sincérité de Bruel. Il est touché par son témoignage sans posture.
C’est un peu ce qu’il semble nous dire à propos de tous les invités dans le film, qu’il les connaisse ou non. Ils ont tous parlé sans surjouer l’exercice du témoignage. Il nous dit qu’il est impressionné par les paroles des combattants de la rime que sont les rappeurs. Soudain, sa voix porte, pour nous dire heureux :
« Ah Mazarine, quelle émotion de l’écouter parler… ».
Il est fier qu’elle soit là… Ensuite on ne voit plus rien. J’ai du mal à ne pas retenir mes larmes. Parce que je sens confusément que le Renaud qui est là devant moi, est bien vivant. Ses grands yeux bleus, délavés par la vie, s’animent, se mettent à briller. Et soudain, on devine l’âme qui bouge, vive et alerte.
Il dit qu’il va passer un bon anniversaire avec ce film. Et puis…
Et puis, alors que nous avions déjà notre compte d’émotions, il a sorti la phrase que nous n’attendions plus :
« Ce film, ça me redonne envie d’écrire. ».
Prendre sur soi pour ne pas s’effondrer de bonheur ! Mais au final on en fait quoi d’une phrase comme ça ? On la garde à grande hauteur d’homme, accrochée aux principes d’une pudeur huguenote. On la partage et on en reste là. Simplement. En se disant que si modestement l’énergie de ce film a pu lui donner juste envie de dire ça… on peut être déjà fier de notre cadeau. Le reste, c’est un genre de truc qui me dépasse, et surtout qui ne m’appartient pas.
"Je t'aime, moi aussi"
Renaud et Didier Varrod lors du tournage du précédent documentaire, "Rouge et le noir". Didier Varrod
Retour à ce dimanche de mars. Renaud se lève. Il serre la main à tous et toutes, et l’ange aux pieds d’argile est un enfant qui n’a pas dit son dernier mot. Je le raccompagne. Dans l’ascenseur, nous sommes serrés comme des sardines et cette soudaine proximité, après une telle émotion, devient presque insoutenable. Et là, Renaud, il me regarde droit dans les yeux. Son visage s’anime et c’est l’œil qui frise soudainement. Il me rappelle un souvenir qui lui revient. C’est lui qui en 1982 a appelé sa maison de disques Polydor pour leur conseiller avec l’autorité indiscutable du chanteur qui est le plus gros vendeur de disques de l’époque, de contacter un jeune journaliste épris de chansons, et de chansons, et encore de chansons… Il avait lu un papier que j’avais écrit sur sa discographie. Un truc de fan énervé et énervant. Ça lui avait plu. Il avait eu envie de me rencontrer… Et c’est lui qui m’avait mis le pied à l’étrier. Et les mots de l’ambassadeur Renaud, croyez-moi, sont toujours un succès ! Renaud me remémorait cette anecdote avec la précision de celui qui se souvient. Avec la grandeur de celui qui n’oublie pas, et qui est surtout encore capable de recevoir. Et c’est sur un bout de trottoir, pas loin d’un boulevard des bouleversés, que je lui ai dit ce qui ne dit jamais : « je t’aime » et qu’il m’a répondu dans une pudeur presque adolescente :
« Moi aussi ! ».
Puis il s’en est allé. A cet instant, je repensais à la chanson de son héros Brassens « Embrasse les tous » :
«Les fill's quand ça dit "je t'aime", c'est comme un second baptême, ça leur donne un cœur tout neuf, comme au sortir de son œuf».
Cette nuit-là, je vous jure que j’y ai cru. Renaud avait un cœur tout neuf.
Suite....
DE CAUSE à EFFET ?1
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C'est déjà ça: il parle encore !