Le
premier votera blanc. Le second
n’hésite pas : ce sera Chirac.
« Je
suis effondré et je me sens responsable, car si on m’avait dit que Jospin
arriverait derrière Le Pen, j’aurais voté pour lui. Meme si je trouve que
Jospin manque de charisme et qu’il a mené une politique sans ambition . »Le
chanteur Renaud reste un nostalgique de Mitterrand « Je suis un
incorrigible tonton maniaque, précise t-il, tout en ayant la fibre écolo
depuis plus de 15 ans. Au premier tour, j’ai voté Mamere » Et au
second que fera t-il ? « Je voterai blanc. Je vais laisser la
droite républicaine se battre contre l’extrême droite… »
Les
temps ont changé. Renaud, chanteur énervé et anar engagé des années 80, a
mis de l’eau dans son vin » je suis devenu plus désillusionné et désabusé »
Il chantera à sa manière sur son prochain album Boucan d’enfer,
qui
sortira le 28 mai : « Bouger mon cul, m’engager c’est pas
d’main que vous m’y reprendrez
…Les
pétitions c’est plutôt bien mais vous n’y verrez plus mon blaze. »
Cependant,
lui qui est né et a grandi dans une famille de gauche, dit avoir vécu,
dimanche soir, » comme un tremblement de terre. C’est la honte pour la
France … »Le vote pour Le Pen le trouble. Il pressent que les
artistes devraient peut être se bouger : »Je vais téléphoner à
Bruel pour lui demander s’il pense organiser quelque chose. ».
Dimanche
dernier, 20 heures, devant la télévision, Renaud
est, comme des millions de Français, `effondré, effondré pour la gauche,
pour la France, pour l'Europe, pour la démocratie´. Lui qui, à 16 ans en
1968, a fait les barricades, n'en revient pas encore du séisme. Sans renier son
choix - Noël Mamère -, le chanteur estime faire partie des gens qui ont
dispersé leurs votes au premier tour: `Si les sondages avaient marqué plus
précisément le danger en montrant Le Pen et Jospin au coude à coude, j'aurais
évidemment voté pour faire barrage à l'extrême droite. Tout le monde pensait
que Le Pen plafonnerait à 10-12 pc comme d'habitude...´ Pointant du doigt
l'abstention, il invoque aussi la malchance, le fait que les vacances scolaires
ont tenu beaucoup de gens éloignés de leurs bureaux de vote. Mais une chose
est sûre: `Les électeurs de Le Pen, eux, ne s'abstiennent pas, jamais!´ Plus
généralement, Renaud voit dans le désintérêt pour la politique le signe de
la désillusion: `Les gens ne voient rien changer dans leur vie quotidienne,
ils sont perdus, ne croient plus à la gauche ni à toutes ces promesses; ils
ont été trop souvent trahis et déçus.´ Des déçus dont il fait partie,
et un plébiscite pour Chirac au second tour ne l'amuse pas non plus: `Je
laisserai la droite et l'extrême droite se battre entre elles, mais je ne pense
pas que j'irai voter pour Chirac. C'est au-dessus de mes forces.´ Sauf s'il
y avait un réel danger... Même déçu, il se rejouit des jeunes qui
manifestent leur mécontentement dans la rue, eux qui, pour la plupart, ne se
sont jamais intéressés à la politique. Sa fille de 20 ans y était, et lui? `C'est
plus de mon âge. Je suis bien trop désillusionné pour aller gueuler sous des
banderoles
Il n'avait pas sorti de disque d'auteur depuis
"A la belle de Mai" en 94. Les deux derniers : "Renaud chante
Brassens" (96) et "Renaud cante el'nord" (92) étaient plus des
hommages filiaux. L'un à la pensée anarchiste et individualiste du bourru
moustachu et l'autre à ses racines familiales chtimis.
Cossard? Non pas du tout !
Nous tous qui avions assisté à sa dernière tournée, nous savions l'écorché
vif de Montrouge en souffrance. Cette tournée "Un piano, une guitare et
Renaud", marathon de près de deux ans (99-2001) et de plus de deux cents
dates prenait des allures de psychothérapie. Avec la scène pour divan et des
milliers d'oreilles à l'écoute bienveillante dans la salle. A force de le
confier chaque soir, c'était devenu en secret de Polichinelle : Dominique, sa
gonzesse, ou plutôt sa muse car que de chansons lui auront été dédiées,
s'était barrée. L e cœur en lambeaux, la voix pétée de trop de clopes, la
chair bouffie de trop de 51 voire de 5100, au bord de l'effondrement éthylique,
il reprenait du bout des lèvres ses meilleures chansons. Soutenu avec une indéfectible
affection par deux vieux potes musiciens dont Titi, le guitariste Jean Pierre
'Titi' Buccollo ("La mère à Titi").
Chaque soir, il entendait le public tenter de boucher ce gouffre à l'âme
en lui criant "On t'aime!!".
Après temps de tendresse et d'émotions dites et partagées, le trou est
sans doute un peu comblé. En tout cas, Renaud a retrouvé la force de tenir
la plume pour, comme à chaque fois, sublimer sa peine, ses colères, sa gêne
et ses contradictions en de magnifiques textes.
Lors du spectacle, il introduisait sa chanson sur le départ de Dominique
avec cet aphorisme "Le bonheur se reconnaît au bruit qu'il fait en s'en
allant" ….. "et cela fait un boucan d'enfer" ajoutait-il avec
cet humour grinçant qu'il peut avoir parfois. C'est le titre de son nouvel
album qui sortira normalement le 28 mai prochain.
Une autre chanson, "Elle a vu le loup", entendue en concert et
plus drôle, fait partie du disque. Elle raconte une confession de Lolita à
son père au sujet de la "première fois" d'une copine. Parmi ses
proches, on donne gagnantes deux chansons au potentiel digne d'un "Laisse
béton", ou "Mistral gagnant". Ce sont "P'tit pédé"
ou la vie d' un homosexuel de province arrivant à Paris, "Docteur Renaud
et Mister Renard" en forme d'autocritique (le fameux effet thérapeutique
de la tournée?). Une sorte de d'autre "Me jette pas". Et enfin
"Entre Manhattan et Kaboul". Devinez sur quel sujet! Un nouveau
disque entre intimité, sensibilité aux autres et implication politique. Du
Renaud comme avant.
A-t-il retrouvé une forme de bonheur silencieux? Pas sûr. Mais en tout
cas, ceux qui l'aiment sont redevenus heureux à l'annonce de cette nouvelle.
Merci
Albi Bop
ARTICLE TELE 7 Jours
Renaud,
sept ans de réflexion
Le spleen ne l’a pas
vaincu. Une « grosse fatigue » l’avait conduit à déserter la
chanson française. « Mister Renard is back ».
Le Renaud nouveau est
arrive. Après sept années passées à bouder, à tourner en rond, le Gavroche
de la chanson re-pointe le bout de son insolence. Victoire sur le silence,
Boucan d’enfer (Virgin), son nouvel album, sort le 27 mai, comme une résurrection.
Son complice de tous les jours, le compositeur-guitariste-arrangeur Jean-Pierre
Bucolo, son « Titi » à lui – celui pour qui il écrivit la mère
à Titi - a su comment manœuvrer cette forte tête.. et dire que ce petit-fils
d’anarcho-syndicaliste, pourfendeur du monde bourgeois, ne voulait plus sortir
de sa tanière.
« Mes amis m’appellent Renard »
Même le vent de la révolte
ne le faisait plus frissonner. Le blues avait eu raison de sa gouaille, de son
inimitable phrasé et de ses bons mots. « Cinq ans sans écrire une ligne »,
s’excuse-t-il. Histoire de lui faire oublier le spleen, Bucolo, l’ami
musicien, réussit à l’entraîner dans une tournée acoustique de 350 dates où
250 000 personnes sont venues redécouvrir une œuvre brute. L’envie est
revenue. Et, avec elle, cette inspiration volatile qui lui a soufflé parfois
des morceaux d’anthologie comme Laisse Béton, En cloque, I love You Because
You Are. En ouverture de son nouvel opus, à la façon de Gainsbourg, il se dédouble,
jouant sur les facettes de son personnage : « Docteur Renaud, Mister
Renard ». « Renaud ne m’appartient plus. Mes amis m’appellent
Renard. C’est un personnage que j’aime bien. Comme Zorro. » Avec
certains de ses textes jetés en un quart d’heure sur un paquet de cigarettes,
le garçon à la « chetron sauvage » a presque troublé les
relations diplomatiques avec le Royaume-Uni à cause de Madame Tatcher. « Il
m’est arrivé d’être touché par la grâce. Ma main est guidée par une
puissance supérieure. Les mots coulent comme de l’eau. »
Georges Brassens, sa
bonne étoile
Cette fois, c’est un
pari, au détour d’un bistrot, qui parvient à le faire sortir du tunnel.
Boucan d’enfer se trame en dix jours. Les chansons se sont succédé comme par
enchantement. « J’ai toujours aimé, dit-il, faire des portraits des
petites gens. Je suis touché par leurs problèmes. » Après Dédé,
Pierrot, La Teigne, Mon Beauf, le premier de la nouvelle galerie de personnage
est Petit pédé. C’est lui qui entraînera la suite joyeuse avec, notamment,
Manhattan-Kaboul, en duo avec Axelle Red. C’est à lui qu’il confie, sans
ironie, « Seul l’amour guérit de tous les maux ». L’artiste,
qui attaque sur tous les fronts, même celui du 7ième art, est parti
à Toronto pour jouer dans la Spirale du Crime, une comédie policière. Et
rejoindra Gérard Depardieu, Johnny Hallyday et Harvey Keitel sur le tournage de
Brad Mirman. Pendant toute cette traversée périlleuse, il n’a pas oublié
son maître, Georges Brassens, qui fut toujours sa bonne étoile. « J’ai
eu le privilège de le rencontrer. Il m’a dit que mes textes étaient bien
construits », se souvient-il. Et il ne peut s’empêcher de l’imaginer,
au-dessus de son épaule, relisant sa copie.
Catherine Delmas