C.A.L en bourse
Crève salope
Éthiopie
Fanny de la Sorgue
Miss Maggie (version anglaise)
P'tit dej' blues
Ravachol
Toute seule à une table
Viens chez moi j'habite chez une copine
Welcome Gorby
Zénobe
La petite vague qui avait le mal de mer
LES PAROLES LES PAROLES LES PAROLES
La grenade qu'un CRS m'a envoyée L'autre soir au Quartier m'a beaucoup fait pleurer, J'ai rejoint en courant la place Edmond-Rostand, Y'avait des flics partout et pourtant j'en rosse tant Dans la semaine ils mettent leurs petits PV Et le vendredi soir relancent nos pavés Ces bourreaux ces SS qui nous filent des mornifles Et qu'on attaque sans peur à coups de canif Les flics ne cognent jamais de la même façon, Tout dépend de la fille tout dépend du garçon, Moi je suis le polisson du centre Beaujon. Là j'ai connu un flic que l'on appelle Eugène Car sa spécialité c'est la lacrymogène Je lui ai dit cent fois "Arrête les crimes Eugène"
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Ils n'ont jamais vu la pluie Ils ne savent même plus sourire Ils n'y a même plus de larmes Dans leurs yeux si grands Les enfants d'Éthiopie Embarqués sur un navire Qui n'a plus ni voiles ni rames Attendent le vent Loin du cœur et loin des yeux De nos villes, de nos banlieues L'Éthiopie meurt peu à peu Peu à peu Rien qu'une chanson pour eux Pour ne plus fermer les yeux C'est beaucoup et c'est bien peu C'est bien peu Mais à chaque enfants qui tombe Qui meurt loin des yeux de l'occident Notre ciel devient plus sombre Et notre avenir moins grand Sur cette terre de sécheresse Ne fleurissent que les tombes Malgré nos richesses Leur soleil nous fait de l'ombre Donnons-leur des lendemains En échange de rien Donnons-leur la vie Seulement la vie Chez nous la forêt succombe La-bas, le désert avance Plus vite que la colombe Dans un ciel d'indifférence Les enfants du tiers monde N'ont que l'ombre d'une chance Chaque jour, chaque seconde Faisons taire le silence Rien qu'une chanson pour eux Pour ne plus fermer les yeux C'est beaucoup et c'est bien peu C'est bien peu
A l'origine, Renaud avait écrit ce couplet (qui fut corrigé à la demande de Jean-Jacques Goldman) :
Sur cette terre de sécheresse Ne fleurissent que les tombes Des victimes de nos richesses De nos usines et de nos bombes
Fanny de la Sorgue
Dans l'eau de la Sorgue Fanny Ne se baignera plus jamais La rivière pleure dans son lit Sa Fanny toute rhabillée La belle n'ira plus dans l'eau Depuis cent ans elle se cache A l'ombre d'un joli tableau Qu'un amant fit d'elle à la gouache Et c'est un bistrot désormais Qu'on peur voir dans l'angle d'un mur Le cul de Fanny dévoilé Promettant la bonne aventure Au bord de la Sorgue où Fanny S'en allait se baigner jadis Sous les platanes du midi Les boules de pétanque glissent Que je pointe où bien que je tire Les miennes finissent dans l'herbe Je pourrais mieux faire mais faut dire Je triche un petit peu pour perdre Pour pouvoir un jour dans ma vie Honorer ces divines fesses Un genou en terre pardi Ainsi qu'on célèbre une messe Quel est le crétin misogyne Qui décréta punition Honteuse ridicule indigne Cette noble communion Cette intimité que je souhaite De mes lèvres avec ce cul Qui récompense la défaite Qui ne brille que pour les vaincus M'est avis que ce pauvre naze Dut passer sa vie à prier A genoux pour que sa bourgeoise Lui offre pareil bienfait Au Pays des Sorgues, Fanny Peut se vanter d'avoir fait mettre Un genou à terre à celui Qui pour aucun dieu ou maître Nulle loi nulle discipline Qui devant nulle autorité N'aurait jamais courbé l'échine Jamais n'aurait capitulé Je me prosternerai encore Bien plus et sans honte jamais Pour un autre bout de ton corps J'irai Fanny jusqu'à ramper...
Women of the world or street So very often just the same I love every one I meet Have they fame or be they plain Down to the last stupid crow I praise with every word I utter I'm disgusted by men now With their morals from the gutter 'Cause there's no woman in this land Quite so stupid as her brother Nor so vain or underhand Except maybe Madame Thatcher Lady I love you now I do 'Cause when a sport becomes a war There's no girls or very few Amongst those fans who yell for more Those with no marbles left to lose Up to here with hate and beer Deifying fools in blue Insulting bastards with a sneer There is no female hooligan Imbecilic filled with murder No not even in Britain Except for sure Madame Thatcher I love woman just because When she's sitting at the wheel There's no man-like sense of loss No urge to kill is yours to feel For a slightly damaged headlight Or for two fingers in the air There are those who wish to fight To the death if they but dare An "up yours" their favourite sign There's no woman so vulgar To use this symbol all the time Except perhaps Madame Thatcher How I love you dear woman You don't go to war to die Because the vision of a gun Does not make you pant and sigh Amongst those hunters of the night Who jump on creatures that are frail And occasionnally an Arabite I've yet to see a female There is no woman low enough To spit and polish a revolver Just to feel so bloody tough Except for sure Madame Thatcher The atom bomb was never made By a human female brain And no female hand has slayed Those US peoples of the plain Palestinians or Armenians Bear their witness form the grave That a genocide is masculine Like a SS or a Green Beret In this bloody mass of man Each assassin is a brother There's no woman to rival them Except of course Madame Thatcher And lastly Woman above all I love hour gentleness so mild A man draws strength from his own balles Wich like his gun he shoots from wild And when the final curtain draws He'll join the cretins in the harvest Playing football playing wars Or who can piss the farthest I would join the doggic host And love my days on earth As my day to day lampost I would use Madame Thatcher
P'tit dej' blues (Renaud Séchan)
Ben voilà la galère c'est r'parti pour un tour Carrément comme hier j'suis encore à la bourre Pendant c'temps ma gonzesse doit sortir de la douche Se fringuer en vitesse et se peindre la bouche Et oublier peut-être que les yeux pleins de neige Ce matin c'est son mec qui a fait son p'tit dej' Son p'tit dej' Ben voilà la galère j'enfile ma camionnette J'vais bouffer d'la poussière j'en ai déjà plein les guêtres Je suis mal dans mes grolles et mal sur ma banquette Et ces putains d'bagnoles qui me ruinent la tête Pendant c'temps ma gonzesse baptise le plumard Et regarde ses fesses dans la glac de l'armoire De l'armoire Ben voilà la galère marné pendant huit plombes J'irai bien m'jeter une bière t't'à l'heure à la Rotonde J'appellerai ma gonzesse pour lui dire que tout baigne Mais non j'suis pas chez une maîtresse j'suis au bistrot et j't'aime J'lui dirai n'oublie pas ce soir d'acheter du vin Sinon y'en aura pas pour son p'tit dej' demain Demain
Il s'app'lait Ravachol c'était un anarchiste qu'avait des idées folles des idées terroristes Il fabriquait des bombes et les faisait sauter pour emmerder le monde les bourgeois, les curés A la porte des banques dans les commissariats ça f'sait un double-bang j'aurais aimé voir ça Mais un jour il fut trahi par sa meilleure amie livré à la police la prétendue justice. Au cours de son procès il déclara notamment n'avoir tué aucun innocent vu qu'il n'avait frappé que la bourgeoisie que les flics les curés les fonctionnaires pourris Mais le juge dit Ravachol on a trop discuté tu n'as plus la parole maint'nant on va trancher Devant la guillotine il cita ben voyons le camarade Bakounine et l'camarade Proudhon Si tu veux être heureux pends ton propriétaire coupe les curés en deux tue les p'tits fonctionnaires Son exemple fut suivi quelques années plus tard par Émile Henry autre ennemi du pouvoir Camarade qui veux lutter autour du drapeau noir drapeau d'la liberté drapeau d'l'espoir rejoins le combat du Groupe Ravachol et n'oublie surtout pas qu'la propriété c'est l'vol Il s'app'lait Ravachol c'était un anarchiste qu'avait des idées pas si folles des idées terroristes
Toute seule à une table Si c'est pas gâché T'es encore mettable Pas du tout fanée T'as quoi ? Quarante-cinq ? Allez cinquante balais Tu fais beaucoup moins qu' Ta montre ton collier Ça fait bien une plombe Que j'te mate en douce Dans c'resto plein d'monde Que tu éclabousses De ce charme obscur Qui parfois nous pousse Vers les femmes mûres Et aussi les rousses Toute seule à une table Si c'est pas gâché T'as les yeux du diable Pi t'as l'air gaulée Comme un château d'sable Avant la marée Comme un dirigeable Avant les pompiers C'est pas un lapin Qu'on t'aurait posé Tu r'gard'rais tes mains Et la porte fermée Tu boirais du vin Tu s'rais maquillée T'attends p't'être un chien Pas un fiancé Toute seule à une table Si c'est pas gâché Belle et misérable Quel est ton secret Derrière le rideau De tes yeux baissés Quel est le salaud Qui te fait pleurer A la façon qu't'as D'jamais m'regarder 'Mon avis c'est moi Qui t'fais chavirer Ou alors c't'un drame Trop dur à percer Comme la cellophane Autour d'un CD Toute seule à une table Si c'est pas gâché Et ce mec minable C'est lui qu't'attendais ? Ma parole je rêve Y va t'embarquer Sans finir ton chèvre Sans boire ton café Y doit être chausseur Et toi sa vendeuse Tu regardes l'heure Et t'as l'air heureuse Si un jour j'te chope J'te l'dis dans les yeux Le malheur salope Te va beaucoup mieux
Viens chez moi j'habite chez une copine (Renaud Séchan)
Musique originale du film "Viens chez moi j'habite chez une copine" avec Bernard Giraudeau et Michel Blanc réalisé en 1980.
J'ai l'coeur comme une éponge Spéciale pour fille en pleurs Heureus'ment pa'c'que ma tronche C'est pas vraiment une fleur J'emballe tout c'qui s'présente Les cousines les belles-soeurs J'ai l'démon du bas ventre Mon métier c'est dragueur Dés que j'rencontre une frangine J'lui dis salut toi ça va Viens chez moi j'habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu Je glande un peu partout Avec mon sac de couchage Je suis dans tous les coups foireux Tous les naufrages J'ai des potes qu'ont d'l'argent Ben y travaillent c'est normal Moi mon métier c'est feignant Hé mec t'as pas cent balles J'ai des plans des combines Pour vivre comme un pacha Viens chez moi j'habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu J'ai même été étudiant Chômeur baby-sitter Quand j'pense que mes parents Voulaient qu'je sois docteur Parfois quand j'ai du blé Je flambe comme un malade L'pognon j'l'ai pas gagné Mais mon métier c'est minable Ouah super la rouquine Hé salut toi ça va Viens chez moi j'habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu Hé viens chez moi j'habite chez une copine J'ai mon mat'las dans la cuisine Alors tu viens si tu veux tranquille Allez viens Viens chez moi j'habite chez une copine Allez viens la frangine Allez viens Non ah bon d'accord
Welcome Gorby
Il est pas né le mec qui m'f'ra Dire qu'j'ai d'la tendresse pour les rois Ou pour les chefs Z'ont tous mérité dans l'histoire Les foudres de mon encre noire Mais Gorbatchev Est un p'tit bonhomme épatant Contre qui je n'ai pour l'instant Aucun grief Personne méritait plus que lui L'prix Nobel de la pénurie Et de la dèche Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pis moi A espérer Qu'tu vas v'nir avec tes blindés Nous délivrer T'as fait tomber le mur de Berlin Si tu sais pas quoi faire des parpaings Pour ta gouverne Y'a d'la place ici, mon pépère Autour de tous les ministères Toutes les casernes ça évit'ra qu'le populo Un jour nous pende tous ces barjots A la lanterne Quoiqu' pour une fois ça s'rait justice De contempler ces pauvres sinistres La gueule en berne Ici y'a des chaînes à briser Commence par les chaînes de la télé Ca serait Byzance Que tu nous débarrasses un peu De ce "Big Brother" de mes deux J'te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qui nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l'indigence Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns je crois Un copain à moi et pi moi A espérer Qu'tu vas v'nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire si tu t'amènes Quelques goulags au bord de la Seine De toute urgence Ici y'a un paquet d'nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l'philosophe non l'autre idiot Des Dorothées Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés Welcome Gorby bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pis moi A espérer Qu'tu vas v'nir claquer l'beignet A tous ces tarés On a ici c'est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu'tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés les journalistes Et les Musclés Ca va te faire un sacré boulot Mais si tu veux des collabos Faut pas t'miner Tu sais à part dans mon public En chaque français sommeille un flic T'as qu'à piocher Si t'en as marre du communisme J'te raconte pas l'capitalisme Comme c'est l'panard Comment on est manipulés, Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus Rock and Roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair 'Vec ça tu comprends qu'notr'misère Soit légitime Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pis moi A espérer Qu'tu vas v'nir éliminer Nos enfoirés Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pis moi A supposer Qu'si tu v'nais avec tes blindés Y voudraient sûr'ment pas rester
Zénobe
Zénobe attend Il a quinze ans Il se pique et il se came Pique et pique et colle gram Il sent qu'il dose Sa dose I' s'dit souvent Qu'c'est qu'un passe-temps Au milieu de cette vie Où tout n'est que pacotille Rien qu'du cinoche C'est moche Il prend sa neige Prend sa blanche neige Et tant pis si le temps s'enfuit Zénobe attend Il a vingt ans Et pour s'envoyer en l'air Cette aiguille, ce bout de fer Qui l'ankylose Il ose I' s'dit parfois Qu'ça lui pass'ra Mais c'est une sacrée belle fête Tous ces arbres à came en tête Qui font qu'la vie Dévie Il prend sa neige Prend sa blanche neige Et tant pis si le temps s'enfuit Zénobe attend Il a trente ans Souvent dans sa veine bleue Il enfonce tout ce qu'il peut Il continue Sa mue I' s'dit qu'la vie Elle est pourrie Quand il regarde devant Il voit des sables émouvants Et d'la poussière Derrière Alors il prend sa neige Sa dernière neige Et tant pis si la vie s'enfuit Et tant pis si la vie s'enfuit
Regardez,
bourgeois !
(Renaud Séchan)
C'était à prévoir,
Je l'avais prédit .
...Encore l'abattoir,
Encore la tuerie.
Les flics rouillés
Depuis Mai dernier
Ressortent des cars
Avec leurs pétards.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
Comble de malheur,
Nos petits pavés
Ne sont pas en fleur.
On les a noyés.
Sous le macadam
Ils sont engloutis,
Nous prendrons d'autr's armes,
Couteaux ou fusils.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
Dans les bidonvilles
D'Aubervilliers,
Dans ceux de Belleville,
On en a assez.
De tous les cachots
Monte la colère,
Montent les impôts,
Baissent les salaires.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
Les casernes dégueulent
Leurs soldats de bois,
Leurs soldats de plomb
Ou de je n'sais quoi.
Le sol est jonché
D'un sang rouge et noir
Qui vient arroser
Les pieds du pouvoir.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
Le pays entier
Est paralysé,
Usines occupées,
Grève illimitée.
Les facs ne sont
Plus que des bastions
Où sont éduqués
Tous les enragés.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
La révolte éclate,
Les grenades aussi.
Drapeaux écarlates
Partout sont brandis.
Guérilla urbaine,
On tire des toits.
Les lacrymogènes
Pètent çà et là.
Regardez, bourgeois,
Et la prochaine fois
Vous ne voterez pas !
Regardez, bourgeois,
Regarde, papa,
Pompidou est là !
La petite vague qui avait le mal de mer
Paroles et Musique: Renaud Séchan 1995 "Les introuvables"
Il était une fois une petite vague perdue au milieu de l'océan, une petite vague de rien du tout, quelques centimètres de haut, à peine plus large, une petite vague insignifiante et anonyme, ressemblant comme une goutte d'eau aux millions de petites vagues voyageant sur les mers depuis des millions d'années au gré des vents et des marées.
Mais, vous vous en doutez, si je vous raconte ici son histoire, c'est qu'elle était différente de ses petites sœurs. Pas physiquement, non, mais dans son petit cœur de petite vague, cette petite vague avait bien du vague à l'âme. Son papa et sa maman étaient deux grosses vagues énormes et rugissantes, deux magnifiques déferlantes qui s'étaient croisées une nuit de tempête, l'abandonnant aussitôt née à son destin de vaguelette, orpheline et désemparée. Son père avait été plus tard emporté dans un ouragan, s'était accroché à un cyclone et, dans un tonnerre d'écume et de vent, était parti ravager les terres les plus proches d'où il n'était jamais revenu. Sa mère, poussée par un vent du nord, connut une fin tout aussi aventureuse mais bien plus sympathique. Les courants marins la portèrent jusqu'aux côtes d'un pays si chaud qu'elle s'évapora, monta au ciel en millions de gouttes d'eau et, après avoir voyagé dans un gros nuage lourd, retomba en pluie sur des terres arides où, la vie, absente par manque d'eau, revint bientôt. Depuis des siècles qu'elle ondoyait à la surface de l'eau, avec pour seule compagnie l'écume et le vent, avec pour seul horizon l'horizon, pour seul spectacle celui du jour se levant et du soleil couchant, la petite vague s'ennuyait à mourir et ne supportait plus de vivre au milieu de l'océan.
Bref, la petite vague avait le mal de mer. Elle avait bien eu parfois, des années auparavant, la visite de quelques baleines venues percer la surface de l'eau, dans un grand geyser d'écume et des milliards de gouttes d'eau s'éparpillant dans le ciel comme une pluie de diamants, mais les baleines chassées par les hommes avaient bientôt disparu elles aussi. Sa vie s'écoulait monotone. Au fil des jours de calme plat ou des nuits de tempête, la petite vague attendait vaguement, sans trop y croire, un miracle météorologique qui l'emporterait vers d'autres cieux. Elle redoutait par-dessus tout ces nuits de pleine lune où l'océan devient lisse comme un miroir, où même le vent ne chante plus, où les vagues petites et grosses s'aplatissent jusqu'à se confondre en une immense étendue d'eau infinie, immobile et sans vie. Elle n'aimait pas non plus la houle qui la faisait rouler, craignait les ouragans qui la malmenaient et se méfiait des mers démontées ou hachées qui risquaient de la séparer de ses amies, les petites vagues insouciantes qui l'accompagnaient, insensibles, elles, au vague à l'âme et au mal de mer.
La petite vague n'avait jamais vu un bateau. La petite vague n'avait jamais vu un baigneur, ni le moindre pédalo, jamais vu le bord de l'eau. La petite vague en avait par-dessus la crête de passer sa vie à faire des vagues, la petite vague écumait de rage de n'avoir jamais vu la plage. Elle rêvait qu'un vent malin viendrait un jour la conduire sur le sable doré d'une plage ensoleillée. Ah, enfin pouvoir rouler, chanter, rebondir et me briser sur les galets, songeait-elle, venir chatouiller les doigts de pieds des enfants, entendre leurs cris à mon approche, aller, venir, descendre et remonter, m'éparpiller au milieu des coquillages, des algues et des petits poissons argentés, me reformer en grondant pour de rire, en faisant semblant d'attaquer, et repartir en emportant un ballon oublié, et puis le ramener dans un tourbillon de mousse et d'eau salée.
La petite vague pensait aux vacances qu'elle ne connaîtrait jamais. Lorsqu'une grosse vague, à quelques brasses d'elle, cria "Terre à l'horizon !".La petite vague n'en crut pas ses oreilles. Elle se précipita vers sa grande sœur, se hissa sur son dos et distingua vaguement à l'horizon la ligne sombre d'une terre inconnue. Elle recommença l'opération une deuxième fois, puis une troisième. À chaque fois, un élément nouveau lui apparut. Une ville, un port, une plage. Les courants maintenant la tiraient vers la côte, la charriaient comme un fétu de paille poussé par le vent. Elle sentit bientôt son eau se réchauffer et l'air marin se charger des odeurs de la terre.
Pour la première fois de sa vie la petite vague respira le parfum des forêts, des villes et des campagnes, des animaux et des hommes. Elle en fut d'abord émerveillée, puis l'émerveillement fit place à l'étonnement, enfin à la déception. Les odeurs nauséabondes de gaz carbonique qu'elle découvrait lui rappelaient étrangement celles des nappes de pétrole qu'elle avait parfois croisées dans sa longue vie de petite vague au milieu de l'océan. Et comme elle pensait à cela, déterminée malgré tout à atteindre cette plage dont elle rêvait depuis si longtemps, elle rencontra une de ces nappes de pétrole dérivant au fil de l'eau, au gré des courants, et s'y englua. Elle réussit à s'en échapper après bien des efforts, aidée par un courant ami qui l'emmena bientôt presque au bord de la plage. Des enfants s'y amusaient. Des adultes allongés, immobiles, semblaient y dormir, insouciants du soleil qui leur brûlait la peau. Des chiens couraient, des mères criaient après leurs enfants, des papas après maman, des adolescents faisaient hurler leurs transistors et des baraques à frites enfumaient le tout d'une odeur d'huile chaude qui se mêlait à celle dont les corps étaient enduits. La petite vague ralentit son avance. Elle rencontra bientôt une eau saumâtre, mais personne ne lui dit qu'il s'agissait des égouts de la ville qui se déversaient là. Elle croisa quelques bouteilles en plastique, des sacs poubelle, des détritus de toutes sortes, fut presque coupée en deux par un gros monsieur rougeaud hissé sur une planche à voile, avant de s'échouer enfin au bout de son voyage, au bout de son rêve, sur le sable grisâtre de la plage au milieu des tessons de bouteille, des capsules de bière et des châteaux écroulés des enfants agités.
Jamais le vague à l'âme de la petite vague n'avait été si grand. Elle ne s'attarda guère sous les pieds palmés. Quelques aller retour à brasser les ordures et elle s'en fut dans le sillage d'un bateau à moteur qui frôlait les baigneurs, rejoindre le grand large qu'elle regrettait déjà d'avoir quitté. Alors qu'elle longeait la côte, suivie de près par quelques amies vaguelettes aussi déçues qu'elle par la fréquentation des humains, elle entendit, venant de la terre, des petits cris stridents, à peine perceptibles, presque des sifflements. Ils n'avaient rien de commun avec les cris des enfants braillards de la plage. La petite vague avait déjà entendu ces cris quelques années auparavant, peut-être quelques siècles. Un jour que des dauphins étaient venus la frôler, courir sous elle, jouant dans son écume, brisant sa crête de leurs ailerons pointus. Comment les cris d'un dauphin pouvaient-ils venir de terre ? la petite vague se dirigea de nouveau vers la côte, guidée par les sifflements, comme un navire perdu dans la nuit est guidé par la lueur du phare. Derrière une digue se dressaient les hauts murs d'un Marine-land. La petite vague ignorait qu'on enfermait des orques et des dauphins dans des bassins pour le plaisir des petits terriens. Mais il ne fut pas nécessaire de lui faire un dessin: elle comprit vite que des créatures marines étaient prisonnières ici. A l'instant où, provenant distinctement de derrière ces murs, les sifflements reprirent, elle vit bondir en l'air un magnifique dauphin gris argenté qui, après avoir semblé s'immobiliser une fraction de seconde dans le ciel, retomba dans un grand "splatch" dans son bassin-prison. Un tonnerre d'applaudissements accompagna la pirouette.