Renaud raconte…
…Mon
Alcool !!!
«Je
réponds sans honte aux questions qu’on me pose aujourd’hui, sans aucune
pudeur même. Je raconte un peu ma vie dans ces chansons, ce qui m’est arrivé.
Donc si on m’interroge, je dis l’essentiel, que j’ai été pochtron
pendant quelques années.»
On
l’a cherché longtemps mais il n’était pas bien loin, attablé dans une
brasserie juste en bas de chez lui, au coin du boulevard. Pendant cinq ans,
Renaud a vécu à l’enseigne de la Closerie des lilas, vissé à un verre
d’alcool. Perdu pour lui, ses amis impuissants devant l’attraction désastre,
foutu pour la musique.
La «chetron sauvage», comme il était écrit sur les affiches des jours de
gloire, ne fait plus le malin: en quittant sa «gonzesse/celle que j’vis avec»,
la «tronche» a perdu pied, et toutes ses illusions. «Je n’avais plus goût,
ni envie à rien. J’étais juste triste et malheureux de me retrouver d’un
coup seul alors que je vivais en couple depuis vingt-deux ans.» Il a sombré
dans les ténèbres, il commence à peine entrevoir la lumière en
s’accrochant à un disque miraculeux, le premier depuis sept ans, Boucan
d’enfer.
Miraculé, cet album ne cache rien du désastre personnel, humain sachant que
son quotidien ne fut que — il énumère très cliniquement — «dépression
chronique, anxiolytique, antidépresseurs et alcool à forte dose». Avant de détailler
la posologie: «1 litre de pastis par jour, sans compter les bières. Vers midi,
j’attaquais à l’anisette au saut du lit, puis je rejoignais le café,
descendais 2 ou 3 petits noirs que j’allais vomir. Je remontais alors à ma
table et me remettais au pastis jusqu’à très très tard dans la nuit.»
Cercle vicieux
Il cherche les mots pour dire la douleur: «C’est affreux à gérer. On est
mal physiquement, et plus on l’est, plus on est mal dans sa tête, et plus on
est mal dans sa tête, plus on a envie de s’évader de cette souffrance, alors
on picole. Et plus on picole, plus on est mal physiquement. Ainsi de suite».
On se fait face dans son stemm. Les serveurs voltigent entre les tables mais
n’oublient jamais de lui glisser un mot bienveillant. Le très sénateur et
ex-ministre mitterrandien Charasse passe en coup de vent, lui sert la louche («Prends
bien soin de toi surtout!») et s’évanouit dans les volutes de son cigare. «Lui,
c’est un copain de bistrot».
Dans ce lieu qui lui tient à la fois de bureau («je n’ai pas d’attaché de
presse») et de salon, Renaud fait partie du décor. «Pourquoi j’éviterais
de venir ici?», demande-t-il. «Non, je ne suis pas masochiste. Bon, je
n’irai pas jusqu’à dire que j’ai arrêté de boire; depuis le mois de
janvier, je m’autorise juste 2 ou 3 bières une fois par semaine, ce qui est
raisonnable. Je sais que si je replonge, ce sera fini: j’ai eu des problèmes
hépatiques, mes copains médecins m’ont averti que j’étais à la porte de
la cirrhose. Là, ce serait irréversible.»
Renard le noir
Il dit: «Moi qui étais la joie de vivre personnifiée, je n’ai rien vu
venir. A partir de 45 ans, j’ai commencé à souffrir de la vieillesse,
d’une méforme physique quand la dépression m’est tombée dessus.»
Sa part d’ombre, il la connaissait pourtant, il l’avait même surnommée
Renard par bravade: «J’étais jeune, je me voulais justicier comme Zorro et,
de fil en aiguille, Renard a fini par personnifier mon côté noir,
autodestructeur. Pour moi comme pour mes proches, Renaud était le chanteur, le
poète brillant dans la lumière des projecteurs et sous le feu des médias, et
Renard son côté diabolique.»
Aujourd’hui, il réalise: «Je ne suis pas nombriliste, je ne me regarde pas
dans la glace mais c’est comme si d’un coup je prenais conscience du temps
qui passe. J’ai vu grandir ma fille Lolita, sortir de l’enfance pour entrer
dans l’adolescence, puis dans l’âge adulte. Brusquement, j’ai éprouvé
le sentiment de perdre quelque chose, de voir ma propre enfance s’éloigner.
Alors j’ai flippé, et je viens de passer mes 50 ans. Je me dis qu’il ne me
reste plus que le tiers du chemin à parcourir, voilà mon angoisse. Parce que
je suis malgré tout amoureux de la vie.»
Ses amis n’ont pas ménagé leurs efforts pour qu’il raccroche à la vie
justement, à son métier. «Ils m’ont infiniment plus aidé que tous les psys
que j’ai pu voir. Ils m’ont soutenu, essayé de me pousser à écrire pour
que j’arrête de picoler. Sans grands résultats, sinon cette tournée que
j’ai pu faire il y a deux ans à travers la francophonie.» En évoquant ces
concerts donnés «entièrement sous l’emprise de sa drogue légale», ses 200
000 spectateurs croisés sur la route, sa voix s’adoucit: «Paléo reste mon
plus beau souvenir, les gens étaient si fabuleux alors que j’étais là avec
deux guitares en bois, mes chansons squelettiques... Tous ces gens, ce public
retrouvait, ça me montrait que j’existais encore mais à la limite, j’étais
tellement heureux en sortant de scène qu’au lieu d’aller boire pour me
consoler, j’allais arroser la victoire...» Avant de lire les comptes rendus
dans les journaux.
«Les journalistes ne m’ont pas raté: Chanteur bouffi, quadragénaire
bedonnant... Oui j’ai souffert de ces qualificatifs. A tout prendre,
j’aurais sans doute préféré qu’on dise «alcoolique». J’étais plutôt
habitué à lire gringalet mais là, gras du bide et des joues, c’est désagréable,
même s’il est vrai que j’avais pris quelques kilos. Mais je peux citer des
artistes français qui sont beaucoup plus gras que moi et à qui on ne le
reproche pas. (Il rit.) Prenez Carlos, Dominique Farrugia (n.d.l.r. l’ex-Nul
devenu patron de Canal +) ou Juliette. On dit que ce sont de bons vivants.»
Renaud était «fini, futile, dérisoire, terrassé par un manque total
d’inspiration. Écrire des chansons, c’est avoir envie de raconter des
histoires aux gens et moi je ne savais plus quoi leur dire». Quand
miraculeusement, le don lui est revenu «un jour d’octobre dernier, ici, à la
Closerie. J’ai commencé à écrire une chanson (Petit pédé, chronique réaliste
dédiée à un fan homo) puis le lendemain une deuxième et ainsi de suite... Le
processus s’est ré enclenché, je pouvais à nouveau envisager de faire mon
boulot en arrêtant de me regarder le nombril, de flipper sur mes angoisses, mes
chagrins, et voilà.» L’exercice se double ici d’une forme de thérapie,
d’exorcisme, à l’instar de Docteur Renaud, Mister Renard: «Il y a beaucoup
de chansons où je parle de moi en espérant que ça touchera les autres. Qui,
je ne sais pas. Des désabusés comme moi, les désenchantés qui ne croient
plus en rien, à l’amour mais plus au couple, qui pensent que des gens peuvent
peut-être encore changer le monde mais plus la politique...»
Alors évidemment, l’album n’est pas gai. Au détour cependant de textes à
la noirceur consommée (Cœur perdu; Mal barré), d’un désabusement effrayant
(«J’ai été prétentieux de croire que mes honnêtes chansons pouvaient
changer le monde mais j’en suis revenu»), il retrouve sa verve venimeuse et
flanque quelques roustes jouissives aux nouvelles stars de l’académie de la
chanson hexagonale et à leurs mentors les faiseurs de mode (Je vis caché —
«Me foutre de leur gueule, c’est salutaire!»), à BHL (in L’entarté —
«je suis blessant mais il l’a cherché»)......