Les médias 

Les médias ? Le chanteur a eu vis-à-vis d’eux des attitudes trop équivoques pour pouvoir être totalement crédible lorsqu’il les critique vertement, ainsi qu’il le fait une énième fois dans son dernier album. Renaud voue aux gémonies le support médiatique mais il sait qu’il faut passer par lui si on veut, comme il l’a fait abondamment – et parfois lourdement – ces dix-huit derniers mois (par Grosses têtes, NRJ Music Awards et autres Paris-Match interposés), attirer un public des plus larges – avec le risque, réel, pour le chanteur hier autoproclamé « énervant », de devenir un produit consensuel. En 1988, lors de la sortie de son album Putain de camion, Renaud avait souhaité, après une très large promotion de son opus précédent, Mistral gagnant, brûler tous les ponts avec les médias. Sur la porte de sa maison de disque, la multinationale Virgin, on pouvait lire un mot écrit de la main même du chanteur : « Pour son prochain disque, Renaud ne fera AUCUNE promo. Ni presse pourrie, ni radio nulle, ni télé craignos ». Résultat : une chute de moitié des ventes de l’album dédié à Coluche. Le chanteur a alors essayé de promouvoir son nouveau disque sans passer par le biais médiatique, sans se vendre à l’encan. Il a échoué. Il se sait, comme tout artiste aspirant à la popularité, dépendant des médias, de leurs pressions, de leurs obligations, de leurs travers. Alors il se résigne, en évitant de s’exposer au plus trivial. Pas toujours facile.

En 1975, la question se posait déjà pour le chanteur alors âgé de vingt-trois ans s’en allant glapir son pamphlet Camarade bourgeois à la consensuelle émission de variétés de Danièle Gilbert Midi Première. Renaud estime, depuis lors, qu’il peut être aussi du rôle d’un artiste dit engagé de participer exceptionnellement à ce genre d’émission afin de « mettre le loup dans la bergerie ». « Je me servais de cette émission comme d’une tribune, affirme-t-il ainsi dans  le Rouge et le Noir , comme je l’ai fait par la suite avec d’autres. C’était bien d’aller mettre le loup dans la bergerie, d’aller bousculer un peu les conventions dans une émission un peu conventionnelle, ringardos, un peu trop variétoche. Venir chanter Camarade bourgeois, ça me paraissait une démarche intéressante ». Cette thèse ne convainc guère dès lors qu’est donnée l’impression que la présence du chanteur est moins liée à une volonté farouche d’apporter un souffle, un message, un décryptage nouveaux dans le monde endormi de la chanson aseptisée qu’au choix de se plier aux règles promotionnelles imposées par cette société médiatique   hier  honnie et à la volonté de conquérir de nouveaux publics, l’œil fixé sur le classement des ventes de disques.

Laurent Berthet-Le Banquet, janvier 2004, n°19/20 (Renaud ou l’humanité meurtrie ) -Auteur de "Renaud, le Spartacus de la chanson "

Renaud