La transplantation hépatique est aujourd'hui l'unique traitement pouvant guérir les malades atteints d'une maladie chronique grave d du foie , et particulièrement les cirrhoses du foie. Elles ont deux principales causes: l'alcoolisme et les hépatites, hépatique B et aujourd'hui surtout héparique C.
Actuellement la cirrhose alcoolique est le premier indicateur des transplantations hépatiques en France: un peu moins de la moitié des transplantations hépatiques sont faites pour une cirrhose alcoolique, deux fois plus que pour une cirrhose due à l'hépatite C.
Le problème essentiel soulevé par la transplantation hépatique chez un malade ayant une cirrhose alcoolique est: va-t-il recommencer à boire et récidiver sa cirrhose? En effet, en raison de la pénurie de donneurs, qui limite fortement le nombre de transplantations effectuées pour tous les patients qui pourraient en bénéficier, on doit peser l'indication de la transplantation chez tout malade pour donner le maximum de chance à celui qui en profitera le plus. Autrement dit, est-il logique de choisir de greffer un patient lorsque le bénéfice de transplantation va disparaître s'il reprend son alcoolisme et développe à nouveau sa maladie initiale? D'autant plus que le retour à l'alcoolisme après la transplantation dépend du patient, contrairement à la récidive d'une maladie non contrôlée (comme l'hépatite).
Risques de récivide
Depuis plusieurs années, on essaie d'évaluer le risque de la récidive de l'alcoolisme après la transplantation. Plusieurs conditions favorisantes ressortent: l'âge jeune, le sexe féminin, un état psychiatrique, un environnement familial d'alcoolisme. L'absence de soutien social est certainement un facteur favorisant. On admet également que l'usage d'autres drogues, le tabac tout particulièrement, associées à l'alcool favorise le risque de dépendance à l'alcool.
Tous ces facteurs doivent donc être étudiés dans le bilan qui précède la transplantation et il est toujours nécessaire de recourir à l'assistance d'un psychiatre. Celui-ci va évaluer le risque de dépendance à l'alcool ; autrement dit, le malade va-t-il s'arrêter de boire après l'opération? Un score est utilisé prenant en compte la quantité d'alcool prise par jour, la durée de la prise importante de ces boissons (on entend par alcool toutes boissons alcooliques, de celles au plus faible degré comme la bière aux boissons alcooliques fortes comme le whisky, le cognac, etc.) et le nombre de traitements antialcooliques avec échec.
Une autre question importante, si l'indication à la transplantation est jugée valable, est la durée que l'on doit exiger du patient pour l'arrêt de toute prise d'alcool avant la transplantation. Il est évident qu'on ne peut transplanter un patient qui continue de boire. Mais le jour où il s'arrête, combien de temps doit-on attendre pour être sûr de son abstinence future? Il est habituel de fixer cette durée à 6 mois. Mais cela est débattu. La raison essentielle est la gravité de la maladie hépatique. En effet, la cirrhose peut être déjà avancée avec des complications d'insuffisance hépatique telles qu'une jaunisse ou une ascite (présence de liquide dans l'abdomen) et/ou une importante perte de poids. Et le malade peut mourir avant de pouvoir être transplanté, en liste d'attente, si l'on attend trop longtemps.
Motivation du malade
C'est là que l'évaluation du risque de récidive va jouer et pouvoir faire raccourcir la durée d'attente. En sachant toutefois que la longueur de la durée d'abstinence totale avant la transplantation est le meilleur garant du succès de celle-ci.
Ces interrogations sur les critères de l'indication sont d'autant plus importantes que la transplantation hépatique est une bonne indication dans la cirrhose alcoolique si l'on considère ses résultats: 70% des malades sont vivants cinq ans après la transplantation, et ce chiffre est identique et même meilleur que pour les cirrhoses dues à l'hépatite C. De plus, le risque de récidive de la maladie initiale est moins fréquent qu'après une hépatite virale C ou certaines autres maladies hépatiques. Ce qui est très motivant pour transplanter ces malades.
Dans la qualité des résultats intervient la prise en charge après la transplantation hépatique, en particulier un suivi psychiatrique et psychologique. On doit mettre l'accent sur l'importance de ce soutien lors du suivi par le médecin traitant, le médecin spécialiste qui suit la transplantation, le psychologue. La famille et l'entourage doivent également participer activement à ce soutien. Ce suivi sera également facilité par le malade lui-même qui montre ainsi sa motivation pour la transplantation.
Le meilleur résultat est évidemment acquis chez le malade qui voit après la transplantation sa condition transformée et qui met en balance le risque de revenir à sa maladie initiale avec son risque d'évolution mortelle, et l'astreinte du suivi et de son abstinence. À quel degré d'abstinence: le médecin ne doit pas être un censeur absolu et le malade est autorisé à de petites prises de boissons alcooliques lors de certains événements sociaux et familiaux. Ce qu'il faut combattre, c'est la reprise de l'habitude de l'alcool.
Enfin à l'adresse des médecins, à condition que l'indication soit bien pesée, la cirrhose alcoolique est une bonne indication à la transplantation hépatique et le médecin traitant ne doit pas avoir une vue pessimiste au départ considérant que son patient ne sera pas accepté pour une transplantation. Dans tous les cas, il convient de l'envoyer dans un centre de transplantation où hépatologue, chirurgien, interniste, psychiatre, psychologue évalueront le bénéfice de la transplantation hépatique.
Sans préjugé
La transplantation hépatique dans la cirrhose alcoolique doit être abordée sans préjugé. En France, contrairement aux pays anglo-saxons tels que la Grande-Bretagne, il n'y a pas de condamnation de l'opinion publique envers l'alcoolisme. En effet, en Grande-Bretagne par exemple, un frein à la transplantation hépatique est que l'alcoolisme est une maladie que le malade s'est infligée lui-même (self inflicted), avec la question: doit-on «gaspiller» l'argent de la santé pour un individu qui s'est rendu lui-même malade par ses choix personnels? Dans notre pays, la société civile est heureusement plus tolérante.