|
|
Elle s'est installée devant la clinique pour prendre un peu de soleil.
Un sourire pâle aux lèvres, de longs cheveux châtains qui encadrent un
visage encore adolescent. Anaïs a un faux air de la chanteuse Janis
Joplin, mais sa voix est plus mince qu'un filet : « J'essaie de
me retrouver. De retrouver une envie de vivre. Jusqu'à présent, il n'y
avait que la défonce. »
Elle a commencé, depuis quelques jours, une cure de sevrage à la
clinique d'addictologie du Trégor Goelo, à Bégard. Anaïs a tout juste 20
ans et, derrière elle, l'expérience d'une déchéance violente. Alcools,
substances stupéfiantes de toutes sortes, misères sociales et
affectives...
L'enfer lui a ouvert les bras lors de l'anniversaire d'une copine. Les
deux amies ont 12 ans. Elles vont vider chacune une bouteille de
mousseux. « On était euphoriques. On s'est bien amusées. »
Le pli est pris. L'habitude des fêtes avec les copains
s'installe. « Certains ne buvaient que le week-end. D'autres,
comme moi, se sont mis à boire dans la semaine. Au début, c'est un
plaisir qu'on partage avec des amis. Et puis, ça devient un besoin. Je
me suis mise à boire toute seule. Dès le matin. Du vin en cubi, de la
bière. Tout ce qu'il y avait de moins cher. »
Elle associe parfois l'alcool à l'ecstasy, la cocaïne, le LSD.À 17 ans,
Anaïs est dans l'étau d'une dépendance psychique qui, très vite, devient
physique. Les tremblements, les sueurs, le repli pathologique sur soi...
Ses parents sont séparés, elle fréquentent les squatts et les abris de
fortune. Elle murmure : « Je ne pensais pas que ça pouvait mener
si loin, si vite ! » Elle parle d'enfance
difficile, de fuite, d'oubli...
Ils ont copié sur Internet
Ces dernières années, René Le Guern, le médecin-chef de l'hôpital de
Bégard, a vu le nombre de jeunes alcooliques augmenter. « Sur
500 personnes qui passent chez nous chaque année, on relève une dizaine
de jeunes d'à peine 18 ans. Avant, on commençait à boire à la fin de
l'adolescence, au service militaire et, à 35-40 ans, on pouvait se
retrouver dépendant. C'était surtout des garçons. Aujourd'hui, le
parcours est accéléré et touche les deux sexes. »
L'apprentissage se fait par le radical « binje drinking » («biture
express»). Le médecin tire la sonnette d'alarme : « En
consommant précocement du tabac, de l'alcool, du cannabis, le jeune se
prépare un avenir difficile, joue avec la qualité et l'espérance de vie.
»
Il y a un an et demi, au Guilvinec (Finistère), un jeune de 12 ans a
sombré dans le coma éthylique après avoir englouti des alcools forts
avec des copains de classe. « C'est un
phénomène récent que les jeunes ont copié sur Internet »,
explique Jean-Jacques Bargain, le directeur adjoint du collège
Saint-Joseph. Après l'incident, il a voulu sensibiliser les parents. Une
grosse centaine de lettres expédiées. Pas un retour. « Je ne
suis pas très étonné, déplore-t-il. Et c'est là le
problème. Si les parents ne réagissent pas, on est coincé. »
« On met le mouchoir dessus »
Briser l'omerta, c'est le combat de Véronique, 46 ans, du pays Bigouden.
Elle élève seule son fils de 19 ans, accro aux drogues et à l'alcool.
« Il passe son temps à dormir, dormir, sans boire, sans manger,
avec un teint vert de gris. Ça ne fait pas jeune homme. J'appelle le 15.
On me répond : ce n'est pas une urgence. Toutes les portes se claquent.
On va crever tous les deux ! Le début de la
maltraitance, c'est l'indifférence. »
Secouer le silence, encore : « Si vous saviez le nombre de gens,
la quarantaine, qui sont enterrés ici pour des overdoses ou des
hépatites C. On met le mouchoir dessus. Tant qu'on sera dans cet état
d'esprit, comment voulez-vous qu'on aide nos jeunes ? »
À la clinique de Bégard, Anaïs fait ses premiers pas sans l'alcool. Il y
a si longtemps... Elle dit : « Physiquement, c'est dur. Je reste
psychologiquement fragile. Ça remonte pas mal en moi. »
Bientôt, elle sortira. Elle rêve d'une grande balade au bord de la mer.
« M'occuper. Ne pas rester seule. »
Marc PENNEC./Béatrice Le Grand