J'ai essayé de m'intéresser à la vision et  au vécu du milieu hospitalier face aux problèmes soulevés par nous autres , Malades Alcooliques.

J'ai trouvé cette étude, concernant les infirmiers(ères), malheureusement non signée !

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 En France, à l'heure où le Ministère de la santé organise de nombreuses campagnes de prévention de la toxicomanie, on s'aperçoit que paradoxalement la consommation d'alcool fait toujours partie intégrante de notre culture. Pourtant, un rapport de l'INSERM sur les problèmes posés par la toxicité des drogues mettrait en évidence que l'alcool, consommé à fortes doses, entraîne des dépendances (physiques et psychiques) aussi importantes que l'héroïne et qu'il est très dangereux socialement.

Cette banalisation de l'alcool m'a ensuite posée question, quand, au cours de mes stages de psychiatrie j'ai remarqué les difficultés que rencontraient les soignants dans leur prise en charge des patients alcooliques, difficultés caractérisées par un découragement des infirmiers quant au devenir de ces patients.

Je me suis alors questionnée sur la façon dont les infirmiers appréhendaient l'alcoolisme, sur le ressenti des soignants face aux rechutes répétées de ce type de patient, sur leur attitude thérapeutique lorsque les malades rechutes. toutes ces questions à mettre en rapport avec l'éventualité que ces infirmiers sont eux même des buveurs d'alcool modérés.

Au cours de ce travail, je tenterai d'une part, en m'appuyant sur des données théoriques, d'exposer le phénomène de l'alcoolisme, la relation infirmière avec l'alcoolique ; d'autre part avec l'aide d'interview, j'essaierai d'analyser le ressenti des soignants face aux personnes qui souffrent d'alcoolisme.

 

 L'infirmière et le patient alcoolique

 Quel comportement adopté avec un patient alcoolique?

L’infirmière doit savoir que le traitement de l'alcoolique demande du temps, de la patience et de la compréhension.

Le soignant devra instaurer une relation d'adulte avec l'alcoolique pour ne pas renforcer une dépendance affective substitut de la dépendance à l'objet alcool. Cette relation devra favoriser le discours intimiste, la communication sur les problématiques internes.

Il est important d'adopter une attitude rassurante par rapport aux suites de soins sans pour autant injecter de fausses illusions au patient et à ses proches.

En situations de rechutes, le soignant doit résister au désespoir affiché par le malade et son entourage Il est nécessaire d'éviter tout jugement de valeur induisant le rejet, le mépris ou des attitudes moralisatrices.

Au cours d'une thérapie avec un patient alcoolique le soignant doit régulièrement se poser un certain nombre de questions:

- Quelles sont mes propres dépendances (alcool, tabac, alimentation)?

- quel est mon ressenti face au déni du patient alcoolique?

- quelle image me renvoie l'alcoolique?

- quel rôle jouent, dans ma vie quotidienne, les échecs ou les réussites thérapeutiques?

 La souffrance psychologique du soignant face au patient alcoolique

Comme cela a déjà été évoqué précédemment, l'alcool représente, en France, le compagnon le plus fidèle de la fête qui lui donne un caractère convivial. Hormis quelques rares exceptions, chacun d'entre nous, soignants inclus, consomment de l'alcool modérément.

L’infirmier, face à l'alcoolique dépendant qui évolue, par le biais de l'alcool dans une conduite autodestructrice se trouve confronté à deux images

complètements paradoxales de l'alcool. D'un côté, il symbolise la fête, d'un autre, il témoigne de la souffrance d'une personne.

Cette contradiction est très difficile à admettre pour le soignant qui peut faire un transfert de sa propre consommation sur celle du patient.

D'autre part, chaque soignant possède en lui sa vision utopiste de pouvoir soigner tout le monde:

Vivre la souffrance du patient sans avoir l'impression de la soulager c'est, pour le soignant, se sentir narcissiquement blessé.

De plus, on sait que la thérapie des alcooliques est un suivi de longue haleine; de ce fait, les soignants connaissent personnellement les malades alcooliques, leur relation n'est plus neutre; assister aux nombreuses rechutes des patients signifie pour les soignants, rester spectateurs de leur autodestruction.

Attitude moralisatrice: mécanisme de défense des infirmières

Le ressenti des soignants face aux alcooliques n'est évidemment jamais neutre sur le modèle du concept freudien de contre transfert, on décrit, chez les personnels soignants des contre attitudes qui peuvent être de deux types. 

 Les contre attitudes négatives

Les multiples rechutes du patient, le déni permanent, les hospitalisations répétées, confronté à l'idéal médical que chaque soignant porte en lui peuvent entraîner le dégoût, la colère, l'ennui, la peur; sentiments qui peuvent être à l'origine du rejet ou de l'évitement de l'alcoolique.

De plus, l'alcool est tellement symbolique dans notre société que le soignant, consommateur modéré, peut avoir des difficultés à être confronté à une personne qui souffre d'un mal directement lié à la boisson.

Le contre transfert négatif confirme l'alcoolique et son interlocuteur (le soignant) dans leur sentiment mutuel que la situation est irrémédiable.

Les contre attitudes positives

Certains soignants face à la détresse des patients alcooliques auront un sentiment de pitié et affirmeront leur besoin impétueux de guérir. Cette fascination, ce surinvestissement inadapté risquent souvent d'amener le personnel soignant à de grandes déceptions lors des rechutes.

Ces contre attitudes, positives ou négatives, sont des mécanismes de défense du personnel soignant. A ce moment là ce dernier ne s'inscrit plus dans une démarche thérapeutique, il introduit au contraire le patient dans un processus pervers; le traitement est irrémédiablement voué à l'échec Si chacun ne redéfinit pas son rôle.

MÉTHODOLOGIE

 

Le terrain:

c'est au cours de mes stages de psychiatrie en service d'entrée adulte que j'ai élaboré mon questionnement concernant la souffrance du soignant face à l'alcoolique qui rechute ainsi que les contre attitudes qui sont engendrées. Il m'a donc semblé logique d'effectuer mon travail de recherche dans ce même type de service.

J'ai donc pris contact par téléphone avec les deux services d'entrées dans lesquels j'avais poursuivi des stages J'ai aussi fait appel à un service dans lequel je côtoie des membres du personnel.

Je me suis adressée aux surveillantes des services qui, après avoir consulté leur équipe de soin, ont accepté que je questionne les infirmiers(es).J'ai ensuite directement pris rendez vous avec chaque infirmier(re)

Choix de la population:

Je n'ai d'abord posé aucun critère concernant les infirmiers interrogés; puis j'ai du rechercher spécifiquement un infirmier diplômé d'état pour comparer avec les opinions des infirmiers spécialisés en psychiatrie. J'ai donc questionné sept personnes sans compter les deux infirmiers avec lesquels j'ai testé mon interview.

Outil de recherche:

J'ai choisi l'interview car cet outil permet un contact direct avec l'interlocuteur. Ainsi, je m'assure de la spontanéité de la réponse. De plus la méthode de l'interview permet à la personne qui questionne de repérer les différentes réactions de son interlocuteur, peut être même de les analyser. Enfin, l'interview apporte la certitude que les réponses sont individuelles, que les questionnés ne s'influencent pas en communiquant entre eux. L’interview appelle des réponses ouvertes ce qui laisse une plus grande autonomie des réponses.

But des différentes questions:

J'ai axé mes questions autour de trois thèmes:

L'alcoolisme: notion des infirmiers

Dans cette partie, toutes mes questions tournent autour de la façon dont les soignants définissent l'alcoolisme en relation avec le fait qu'ils aient suivis ou non une session de formation continue sur le sujet.

La rechute

Ici, je m'intéresse à la représentation que se font les infirmiers de la rechute, à leur vécu et réactions face à ces patients.

La notion d'échec thérapeutique:

Toutes ces questions visent à savoir quelle place occupe l'échec thérapeutique dans le travail quotidien de ces infirmiers, l'attitude qu'ils adoptent quand ils se sentent en situation d'échec.

Une dernière question sur les solutions proposées par les soignants pour améliorer leur vécu me permet d'élaborer des propositions d'actions.

Limites de l'outil:

J'ai rencontré un certain nombre de difficultés que je n'avais d'abord pas envisagées en choisissant l'interview comme méthode de recherche. En effet, chaque interview prend au moins vingt minutes; il ne m'a donc pas été possible d'interroger beaucoup de soignants; de ce fait, il difficile de tirer des conclusions très fiables sur seulement sept personnes interviewées. De plus, l'intérêt pour moi était d'obtenir des réponse ouvertes de la part des soignants; ce qui finalement m'a posé de grosses difficultés lors de l'analyse; Il est en effet très difficiles de trouver des idées communes lorsque les réponses ne sont pas cadrées (questions fermées).

Autocritique:

J'ai d'abord élaboré mon interview avant de rédiger le cadre conceptuel. Effectivement, craignant de manquer de temps pour faire suffisamment d'interview, j'ai pensé important de commencer par cette étape. Je m'aperçois

maintenant avec du recul qu'il est impératif de monter d'abord le cadre conceptuel qui définit l'objet d'étude; les questions en découlent ensuite. D'autre part, mes questions ne devaient pas être suffisamment explicites ou elles devaient être à double sens car il m'a souvent fallu les reformuler pour obtenir des réponses adéquates.

Enfin, j'ai interrogé les équipes à des périodes difficiles durant lesquelles beaucoup d'alcooliques étaient hospitalisés, les infirmiers étaient alors dépassés; de ce fait je pense que les réponses obtenues sont influencées par la difficulté dans laquelle était plongée les soignants. Part la suite, je n'ai pas disposé de suffisamment de temps pour interroger un nouveau panel de soignants et comparer les différences d'idée à deux moments éloignés.

ANALYSE

De ma recherche auprès de 7 soignants, j'ai sorti trois points d'analyse:

- la vision du soignant face aux phénomènes de l'alcoolisme, la notion de rechute vue par les infirmiers,

- le vécu du soignant vis à vis de l'échec thérapeutique,

1. Le vécu du soignant face à l'alcoolisme

 

Tout d'abord, il me semble important de préciser que sur les sept soignants interrogés, un seul a participé à une session de formation continue sur la prise en charge des patients alcooliques. Cet infirmier m'a aussi avoué ne pas avoir élargi ses connaissances concernant l'alcoolisme lors de cette formation. Les six autres infirmiers interrogés m'ont déclaré ne pas être intéressé par ce thème.

Suite à la question concernant la définition de l'alcoolisme, l'état dépressif du patient a été fortement évoqué (cinq infirmiers sur sept). Cependant, on note deux nuances:

- sur les cinq soignants, quatre d'entre eux ont expliqué qu'ils considéraient l'attitude dépressive comme antérieure aux problèmes d'alcoolisme.

- Une infirmière seulement évoquait la dépression comme une conséquence de l'alcoolisme

On sait effectivement que la conduite alcoolique est marquée d'un état dépressif grave de la personne. C'est alors l'alcool qui apporte assurance et réconfort. Cependant l'alcool induit aussi à long terme des conduites dépressives, car il ne procure plus la même sensation de plaisir qu'initialement. Or, ces patients en service de psychiatrie ont souvent un long parcours alcoolique derrière eux. Il est donc important d'avoir conscience de la détresse psychologique dans laquelle ils se trouvent durant leur hospitalisation. Ici les soignants on bien à l'esprit les facteurs déclenchant de l'alcoolisme, mais peut être ne réalisent-ils pas suffisamment ce dernier point.

Pour cette même question, l'addiction et la dépendance ont été fortement évoquée: cinq soignants sur sept. Parmi ces cinq, trois infirmiers avaient déjà cité l'aspect dépressif des alcooliques.

En effet, on a vu précédemment que les personnes souffrant d'alcoolisme avaient un besoin impétueux d'alcool pour ne plus souffrir des frustrations qu'elles éprouvent. Prendre conscience que l'alcoolisme est une compulsion (addiction) incontrôlable (dépendance) à boire, c'est accepter la difficulté de l'abstinence, c'est aussi éviter tout jugement de valeur car la notion de dépendance enlève la notion de responsabilité face à l'acte, de culpabilité.

Le fait d'évoquer à la fois la dépression, l'addiction, et la dépendance signifie que les soignants réalisent pleinement la souffrance psychologique des patients alcooliques.

Trois soignants ont aussi parlés de l'influence socioculturelle qui s'exerçait autour de l'alcool. Je pense effectivement qu'il est intéressant d'évoquer ce point car la France est un grand producteur et distributeur d'alcool. Il est coutumier "d'arroser" un événement heureux. L’abstinent passe souvent, nous l'avons déjà évoqué, pour une personne trop sérieuse. Or, comme on le sait, l'alcoolique sevré doit passer par une période d'abstinence totale pour éviter toute rechute.

Si les soignants citent l'aspect socioculturel c'est qu'ils s'aperçoivent de l'influence de l'environnement dans lequel se trouve le patient, qu'ils comprennent les énormes tentations qui se présentent à lui lors de sa période hors alcool. Ainsi, cela permet d'envisager la rechute comme possible, de la dédramatiser, d'avoir un regard moins culpabilisant sur le patient qui rechute.

J'ai noté que sur ces trois derniers soignants, deux d'entre eux sont les seuls hommes que j'ai interrogés. On a vu auparavant que l'alcoolisme touchait plus d'hommes que de femmes. Le fait que ce soit plus précisément les hommes qui évoquent l'aspect culturel de l'alcool signifie peut être qu'ils comprennent mieux le problème dans le sens où ils en sont plus proche (connaissent le phénomène des bars, de l'alcoolisme professionnel...)

Un soignant a aussi parler de l'alcoolisme comme d'un choix de vie. Cette même personne avait pourtant aussi évoquée le fait que l'alcoolisme était le symptôme d'une dépression qui entraînait une conduite addictive. Il évoque donc d'abord une souffrance qui induirait l'alcoolisme puis il parle d'un choix de

vie. Je pense que cet infirmier aborde ici deux conduites totalement différentes. Dans le terme choix de vie, je pense qu'il introduit les consommateurs réguliers mais modérés d'alcool. Pour ma part, j'apporte une nuance importante entre le buveur qui contrôle sa consommation et l'alcoolique dépendant. Même Si je conçois que le consommateur modéré a de nombreuses frustrations et qu'il consomme de l'alcool pour se désinhiber, je pense qu'il n'y a rien de comparable avec la souffrance quotidienne que vit l'alcoolique qui dépend de sa consommation pour ne plus souffrir. Dans la première situation, les frustrations de la personne sont de type névrotiques alors que dans le second cas, la souffrance insupportable de l'alcoolique relève du registre des états limites.

 

Dans mes questions concernant les difficultés rencontrées avec les patients alcooliques dans les services, cinq infirmiers ont parler de

l'approvisionnement en alcool au sein des locaux. Parmi ces cinq soignants, trois d'entre eux avaient évoqué la notion d'addiction, de dépendance; ils ont donc bien conscience du besoin impétueux de s'alcooliser, de la souffrance ressentie par les alcooliques. D'ailleurs on remarque que ces trois infirmiers pensent que dans de telles situations il faut revoir le contrat de soins avec le patient c'est à dire resituer le cadre. Cette attitude ne condamne pas les patients qui se ré alcoolisent mais leur permet de faire le point sur leur comportement. Cette attitude de dialogue permet de démarrer une relation basée sur la franchise. En effet, l'alcoolique se place souvent dans le déni resituer le contrat de soin c'est expliquer au patient que l'on est courant de ses actes, c'est lui faire comprendre que l'on entend bien sa souffrance et que dans le service il peut en parler, mais que des règles sont établies et qu'il faut les respecter. Ce type de discours responsabilise le patient, il lui fait comprendre que l'on s'intéresse à lui et que l'on est prêt à le soutenir.

Un autre soignant (sur les cinq) avoue baisser les bras face à ce "trafic", alors que le dernier est convaincu qu'on ne sait "pas les soigner". Un tel comportement est pourtant amené par des soignants qui avaient initialement défini l'alcoolisme par un comportement addictif, une dépression induite par l'alcool. Ces personnes ont donc quand même une idée de la souffrance vécue par les alcooliques et des pulsions incontrôlables qu'ils ont a boire. Je pense

que malgré cette prise de conscience, ces deux infirmières ne savent pas comment répondre aux difficultés qu'elles rencontres pendant le sevrage des alcooliques.

A cette même question un soignant a répondu que sa principale difficulté rencontrée avec les patients alcooliques est de leur faire admettre que leur attitude est pathologique. Ce soignant avait d'abord évoqué l'influence culturelle dans le phénomène alcoolisme. Le fait que les malades ne se reconnaissent pas en tant que personnes qui souffrent et que l'infirmier lui-même éprouve de la difficulté à les faire réagir dans ce sens, renforce l’idée que l’imprégnation culturelle de l'alcool est importante et qu'elle complique la vision du soignant face à l’alcoolique. Cet infirmier répond à sa difficulté en Instaurent un cadre très hospitalier: port de blouse blanche pour les soignants, de pyjama pour les patients. Cette attitude renforce l'idée du malade hospitalisé.

Un dernier infirmier estime que n principale difficulté est de trouver n position en tant que soignant. Ce même soignant avait d'abord évoqué le contacte socioculturel, il avait aussi parié de choix de vie des alcooliques. Effectivement, j’en avait déduit qu'il ne distinguait pas les consommateurs d'alcool réguliers mais modérés des alcooliques dépendants. Cette confusion peut expliquer Sa difficulté à ce positionner en tant que soignant puisqu'il n'a pas toujours l'impression d'être face à des personnes qui souffrent. Son attitude est donc essentiellement basée sur la mise en place d'une relation de confiance.

2. La rechute vue par les infirmiers

 

Dans la question sur la définition de la rechute des patients alcooliques, les notions sont très partagées:

Trois soignants ont parié d'une étape dans le traitement. En effet, on a vu que la rechute est très fréquente chez les patients alcooliques compte tenu de leur difficulté à envisager une abstinence totale. De plus, on connaît le jeu pervers auquel s'adonne souvent l'alcoolique (voir cadre conceptuel - 1.7) qui nous permet de prévoir un certain nombre de rechutes donc le patient alcoolique n'est jamais considéré comme guéri, on parie plutôt de rétablissement. Le fait d'envisager la rechute comme une étape dans le traitement évite au personnel soignant de vivre d'importantes désillusions

Trois autres soignants ont parlé d'échec, je remarque que parmi ces trois soignants ont retrouve l'infirmière qui "baissait les bras face au trafic des patients" ainsi que celle qui était convaincue qu'ont ne sait pas soigner les alcooliques. On comprend aisément que ces deux soignants vivent la rechute comme un échec puisqu'ils sont très négatifs face aux difficultés rencontrées. On sait pourtant que les alcooliques jouent parfois avec leur rechute pour tester la persévérance et le soutien de leur entourage (soignants compris). Il est donc important de ne pas rentrer dans son jeu et de lui montrer qu'il est soutenu dans sa démarche de sevrage. Un soignant qui ni croit pas d'avance va naturellement reconsidérer la rechute comme un échec.

A cette même question un soignant a répondu que Si un patient rechute, c'est qu'il refuse de se soigner Une telle réponse signifie à première vue que le soignant ignore totalement la difficulté que rencontre un patient alcoolique pour rester abstinent. Cependant, c'est le même infirmier qui ressent la difficulté à faire comprendre aux patients qu'ils souffrent d'alcoolisme: sa réponse signifie donc peut être que le patient qui ne se reconnaît pas comme malade ne ressent bien sûr pas l'envie de se soigner.

Face à la rechute quatre soignants ont avoué éprouver un sentiment d'énervement, d'agacement. Pourtant parmi ces quatre soignants, deux pensent que la rechute correspond à une étape du traitement. On remarque donc qu'ils ont conscience que la rechute est fréquente, qu'elle s'explique et qu'elle n'a rien de catastrophique, pourtant ils éprouvent de l'agacement face aux rechutes. Ce sentiment s'explique peut être par l'idéal soignant que chaque infirmier porte en lui et qui est remis en question en permanence. Les deux infirmiers connaissent les réalités de l'alcoolisme mais ils éprouvent des difficultés à les accepter en tant que soignants, ce qui explique leur attitude d'écoute bienveillante avec les patients lors des rechutes. Même s'ils perdent espoir d'un rétablissement, s'ils sont las des rechutes à répétition, ils ne perdent pas de l'esprit toutes les difficultés et la souffrance dans laquelle se trouve l'alcoolique; ils tentent donc de maintenir une attitude d'écoute envers lui. Pour ma part, je pense qu'un soignant qui ne croit pas en une amélioration de l'état de son patient s'investit moins dans le soin et indirectement, peut induire l'échec du traitement. D'ailleurs dans une question traitant de l'influence du soignant sur l'attitude du patient, cinq infirmiers sont convaincus que le comportement du patient reflète directement I'attitude du soignant. Ils adoptent donc une attitude d'écoute tout en sachant que le malade sait qu'ils ont perdus espoir.

Les deux autres infirmiers qui se disent agacés par la rechute expliquent que parfois ils ont recours à une attitude de rejet vis à vis des patients sous alcool, même s'ils ont eux aussi conscience de la difficulté a maintenir un alcoolique abstinent. Ce comportement est signe d'une grande souffrance du soignant face à la détresse du patient.

Deux autres soignants ont répondus qu'ils se trouvaient souvent impuissants face à la ré alcoolisation des patients. L’un d'entre eux expliquait précédemment que la rechute signifiait pour lui que le patient refusait de soigner. Si le soignant par du principe que tout dépend de la volonté du patient alcoolique, il est évident qu'il se sentira impuissant face aux ré alcoolisations. Je crois pourtant qu'il a conscience du rôle qu'il a à jouer puisqu'il dit maintenir une écoute auprès du malade.

Un dernier soignant a tendance à se remettre en question quand ses patients rechutent. Il recherche ce dont le patient a besoin et qu'il ne lui a pas apporté. Contrairement à l'infirmier précédent, ce dernier agit comme s'il avait commis une erreur de comportement. Dans ces deux derniers cas, je pense que les soignants n'envisagent pas le problème alcool dans sa globalité avec tous les facteurs qui entrent en compte dans l'évolution du traitement (voir cadre conceptuel 1.3)

 

3. La notion d'échec thérapeutique des infirmiers

 

Plus de la moitié des soignants interrogés (quatre sur sept) identifient l'échec thérapeutique à la rechute. Cependant deux d'entre eux répondaient plus haut que la rechute fait partie d'une étape dans le traitement, qu'elle est inéluctable.

Peut être que cette contradiction face à la rechute est significative d'une grande ambiguïté des sentiments des soignants. Même Si l'infirmier sait qu'elle est

incontournable il la vie comme un échec thérapeutique ce qui exprime une souffrance soignante. Ils m'expliquent d'ailleurs que bien souvent, ils suivent ces patients depuis plusieurs années et qu'une relation de proximité s'est instaurée entre eux, assister à leurs rechutes c'est pour eux se sentir spectateurs de leur autodestruction sans parvenir à les aider. Pour deux autres soignants, l'échec thérapeutique est présent lorsque le patient n'évolue pas dans Sa relation aux soignants, à l'alcool. Dans cette situation, l'infirmier vit mal la rechute mais ne la considère pas comme un échec en soi. Il travaille essentiellement sur la remise en question du patient, sur l'élaboration d'une relation personnalisée.

 

Quatre soignants sur sept m'indiquent lors d'une nouvelle question qu'ils se sentent souvent en situation d'échec thérapeutique. On remarque d'ailleurs que ces quatre soignants ont tous évoqués la rechute dans leur définition de l'échec thérapeutique. En effet, s'ils considèrent la rechute comme un échec en soi et Si on tient compte que presque tous les patients alcooliques hospitalisés en service de psychiatrie rechutent au moins une fois, on comprend facilement que les infirmiers se trouvent souvent en situation d'échec thérapeutique.

Trois soignants seulement affirment ne jamais se sentir en situation d'échec thérapeutique. On peut d'ailleurs remarquer que parmi ces trois infirmiers, deux d'entre eux sont les deux hommes qui au début de l'interview avaient évoqué les influence socioculturelle. Ils envisagent peut être plus l'alcoolisme dans sa globalité, avec tous les facteurs qui entrent en jeu. Partant du principe qu'ils sont confrontés quotidiennement dans leur thérapie à de nombreux éléments qui influencent le comportement de leur patient, ils se culpabilisent beaucoup moins face aux échecs de celui ci.

Un infirmier sur les trois qui ne se sentent jamais en situation d'échec thérapeutique explique que c'est le malade qui se met tout seul en situation d'échec. Cette personne place donc la responsabilité auprès du patient; C'est comme un jugement de valeur qu'elle effectue auprès du malade. Elle évoque ici la perversité du patient qui met en échec toutes les aides qui lui sont proposées. C'est toujours cette soignante qui avait parlé de son attitude de découragement (" baisser les bras") face aux problèmes rencontrés avec les

malades. Cette soignante semble se détacher complètement de toute responsabilité vis à vis de la réussite du traitement.

Face à l'échec thérapeutique, trois soignants interrogés pensent qu'il

est important de passer la main à un collègue ou à une autre équipe.

Cependant1 ces trois infirmiers avaient tous répondu qu'ils adoptaient une attitude d'écoute bienveillante en cas de rechutes et tous avaient évoqué la rechute comme un échec thérapeutique.

On remarque donc qu'il y a une contradiction car ils préconisent de passer la main alors qu'ils poursuivent une démarche d'écoute bienveillante.

De plus, parmi ces trois infirmiers, deux pensent que le comportement du patient est directement lié aux ressenti du personnel. Donc, d'après leur raisonnement, le malade perçoit le pessimisme du soignant ce qui peut donc altérer l'espoir dans sa dynamique personnelle.

Les quatre autres infirmiers interrogés avouent adopter un comportement de relet vis à vis du patient lorsqu'ils se sentent en situation d'échec. Pourtant trois sur les quatre ont bien conscience que l'attitude du soignant influence le comportement du malade.

Je pense ici que le sentiment d'échec thérapeutique induit chez les sept infirmiers interrogés une souffrance narcissique qu'ils expriment soit par le rejet, soit par l'écoute bienveillante. Même &ils ont conscience que ces deux attitudes peuvent influencer une contre attitude négative du malade, ils n'arrivent pas à contrôler leurs affects face aux multiples obstacles qui se posent dans le traitement des patients alcooliques. 

4. Synthèse

 

Cette recherche m'a permis d'identifier la position des infirmiers travaillant en psychiatrie vis à vis du problème alcool.

Dans la première partie, on a pu aisément remarqué que les soignants ont conscience de la souffrance de l'alcoolique, de sa dépendance face au produit et du caractère incontrôlée de la conduite addictive. Très peu de soignants ont à l'esprit l'aspect culturel de l'alcoolisme et la dépression que l'alcool peut aussi induire.

La principale difficulté qui est sortie des interviews est l'approvisionnement illicite d'alcool dans le service. Les soignants adoptent face à ce problème une attitude très ouverte, placée sous le signe de la communication, de la franchise et dénuée de jugement de valeur: ils proposent de resituer le contrat de soin.

Il y a dans la deuxième partie, de nombreux éléments qui mettent en avant l'idée que la rechute est très mal vécue par le personnel infirmier. Même s'il y a autant de soignants qui considèrent la rechute comme un échec que ceux qui la place comme une étape dans le traitement, tous se sentent soit agacés soit impuissants lorsque leurs patients y sont confrontés. Malgré leur sentiment, la plupart essaient de rester à l'écoute du malade même s'ils ont conscience que ce dernier perçoit leur pessimisme. Je pense que c'est dans un grand désarroi que se trouvent les infirmiers car ils ne savent plus quel comportement adopter face aux rechutes des alcooliques.

Dans la troisième partie de la recherche, on s'aperçoit que globalement les soignants vivent la rechute comme un échec thérapeutique. Cette souffrance s'explique par une remise en question perpétuelle de l'idéal médical que chaque soignant porte en lui. Cette atteinte narcissique de l'infirmier induit des attitudes de qu'il déplore mais qu'il ne peut pas contrôler (rejet, écoute bienveillante). Il a effectivement conscience que ces comportements influent sur la dynamique du patient mais il est désemparé face aux obstacles trop souvent répétés qui le découragent.

Je pense donc qu'il ne s'agit pas d'un manque d'information de la part du personnel soignant mais d'une réelle souffrance face aux thérapies très longues des alcooliques.

L'hypothèse initiale: "la souffrance des infirmiers face aux rechutes répétées des patients alcooliques n'induit-il pas une attitude moralisatrice" est à modérée. Ma recherche a effectivement mis en évidence une souffrance importante des soignants face à la rechute, mais une grande partie des soignants dit ne pas adopter une attitude moralisatrice. Cependant au cours de

mes stages en service de psychiatrie j'avais cru repérer à plusieurs reprises de tels comportements.

L’important n'est pas de porter de jugement sur le comportement des soignants

mais plutôt de proposer des solutions qui les aideraient à mieux tolérer la rechute,

apprendre à se détacher de l'échec thérapeutiques sans non plus &en désintéresser.

Beaucoup m'ont suggéré une supervision par un psychologue neutre,

extérieur au service. Cet intervenant permet ainsi une revalorisation narcissique

du personnel, un travail sur soi concernant son propre rapport face à la dépendance et à l’échec.

La communication dans l'équipe permet aussi de re dynamiser et donc de renforcer le groupe soignant.

 

Conclusion

 

En finissant ce travail de fins d'études, je m'aperçois que pour qu'un tel sujet soit analysable> il m'aurait fallu les témoignages de nombreux autres soignants. De plus, je me suis sentie frustrée par le manque de temps qui nous est imparti pour réaliser cette étude, associé à mon manque d'organisation.

Ce travail m'a tout de même permis de réaliser la difficulté pour un soignant d'exercer consciencieusement sans non plus chercher un responsable aux obstacles du traitement. En effet, il ne s'agit pas là de culpabiliser le patient, ni non plus de se décourager quant à nos propres capacités thérapeutiques. C'est une véritable collaboration soignant/soigné et soignant/soignant qui sera le pilier du traitement.

Après cette étude, je mettrai l'accent sur l'importance pour l'infirmier de travailler sur la notion du soin vulnérable et non pas tout puissant: passer la main à un autre soignant n'est pas une forme d'échec, cela permet au soignant de se protéger et donc de ne pas transférer ses propres désirs sur ceux du patient.

Enfin, je crois qu'en tant que soignant, il est primordial de s'investir dans son travail mais qu'il faut toujours veiller à ne pas complètement absorber la souffrance du patient, tâche difficile car avant d'être soignant, l'infirmier est avant tout humain ; et le propre de l'humain n'est-il pas d'être perméable aux souffrances de ceux qui l'entourent?

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