Les
données issues de cette expérience viendront
alimenter le «portail de suivi des traitements pour
la RTU Baclofène», le registre qu'a autorisé la Cnil
jeudi. Le besoin d'informations plus complètes est
vif chez les addictologue qui craignent par
exemple que l'on se soit jusqu'ici focalisés sur les
succès. La situation actuelle est spéculative, avec
un risque d'ignorer les échecs et de sous-estimer
les effets indésirables.
DEUX "BACLOFINÉS"
LIVRENT LEURS EXPÉRIENCES
Bruno : raisonnablement confiant
et mise
sur le sport pour s’en sortir.
Ce 11 avril 2013, Bruno vient voir le docteur Philippe Batel,
à l’Utama, l’Unité de traitement des maladies addictives de
l’hôpital Beaujon, à Clichy-la-Garenne, dans le but de
participer à l’essai
clinique Alpadir : une prescription de Baclofène de 180 mg
par jour pour la moitié des 316 patients, un placebo pour
l’autre.
Cela fait plus de trois ans qu’il est suivi par ce psychiatre
diplômé en neurobiologie et auteur de
« Pour en finir avec l’alcoolisme ». Malmené par ceux qu’il
appelle les « baclomaniaques » parce qu’il n’est pas convaincu
de l’effet miraculeux du médicament, le docteur Batel le
prescrit néanmoins à certains de ses patients, et en recrute
pour cet essai clinique.
Bruno espère ce jour-là entrer dans
le protocole.
Il vient
de passer trois semaines d’abstinence et a pour
objectif d’arriver à six mois de sevrage, afin d’un
jour, peut-être, « reboire en société ». A son médecin qui
l’interroge sur sa motivation, il dit :
« Je veux diminuer mon appétence, avoir moins envie et
mieux contrôler mon envie. »
Le
protocole de l’essai clinique stipule qu’il faut
être abstinent depuis deux semaines, mais Bruno a
arrêté de boire une semaine trop tôt et ne peut être
inclus dans l’étude.
Il devra
du coup payer lui-même ses boîtes de Baclofène,
jusqu’à 30 euros par mois. Peu lui importe, au moins
est-il certain d’avoir le médicament, car s’il avait
participé à l’essai clinique en double aveugle, il
aurait eu une chance sur deux d’être, sans le
savoir, sous placebo.
Evaluation de l’envie de boire
Le médecin lui fait évaluer sa motivation sur une échelle
qu’il traduit de un à dix :
- - importance de maintenir l’abstinence : 7 ;
- - confiance dans le traitement pour maintenir
l’abstinence : 6 ;
- - disposition à changer : 7.
« Quel est le moment le plus chaud de la journée ? », demande
le médecin. « Après le déjeuner », répond Bruno.
Il devra donc prendre le premier comprimé de la journée à
11h30, pour obtenir un effet deux heures plus tard. La première
semaine, ce sera trois comprimés par jour, la deuxième six et à
partir de la troisième, neuf. Puis, il devra revenir faire le
point. Le traitement est prévu pour durer six mois.
Les doses devront s’adapter à ses réactions, et il est
possible de monter jusqu’à 300 ou 400 mg par jour selon les
besoins.
Déjà de nombreuses tentatives de sevrage
et une longue expérience des médicaments
Le lendemain de notre entrevue dans le cabinet du psychiatre,
Bruno partage avec moi les albums photo de sa cure dans les
Pyrénées.
Pendant la cure de Bruno dans les Pyrénées (DR)
C’est visiblement le meilleur souvenir de toutes ses
tentatives pour se sortir de l’alcool. Depuis qu’il a décidé de
se prendre en charge, ses résultats ont été en dents de scie. Il
a commencé par une classique cure de sevrage : trois semaines
d’hospitalisation à l’hôpital Goüin avec du
Valium pour calmer le manque.
Cette première cure avait été suivie de huit mois
d’abstinence, puis il a rechuté pendant trois à quatre mois. Il
en a ensuite fait une nouvelle cure dans les mêmes conditions,
qui l’a fait tenir six mois sans alcool, avant une nouvelle
rechute.
La cure suivante fut accompagnée de sport, six semaines dans
les Pyrénées. Cette fois, il y croit plus que jamais et pour se
donner toutes les chances de maintenir l’abstinence, a décidé de
se faire aider par le Baclofène.
A l’occasion d’une autre cure, il teste le
Revia, qui agit un peu mieux sur lui mais ne l’empêche pas
de déraper. « Je n’ai pas réussi à passer à une consommation
contrôlée », dit-il.
Au début : les effets secondaires connus
Bruno a peut-être mal lu l’ordonnance, est trop impatient de
se soigner, il double la dose dès le troisième jour (au lieu
d’attendre une semaine), la triple le cinquième (au lieu
d’attendre deux semaines), et se retrouve à la dose finale de
90 mg beaucoup plus vite que prévu.
Une montée trop rapide, liée à des problèmes de mémoire ? Les
médecins ne préconisent pas de monter si vite les doses.
Certains jours, il passe même à 120 mg, ce qui n’est pas en soi
si élevé.
La première semaine, il ressent des vertiges, qui font partie
des effets secondaires connus et mentionnés dans la notice. Mais
chez lui, cela prend une tournure plus dramatique, car il a été
opéré de la hanche et sous l’effet du Baclofène, il n’arrive
plus à descendre les escaliers sans s’accrocher à la rampe, ni à
monter sur un escabeau sans penser que ses jambes vont le
lâcher.
Il faut dire que Bruno est un ancien parachutiste, ceinture
noire de judo, il a fait les championnats de France de gym, et
depuis que sa hanche s’est détraquée, il n’est plus tout à fait
le même. En septembre dernier, il s’est fait poser une prothèse,
et c’est depuis cette date qu’il est en arrêt maladie.
Les deux semaines suivantes : la chute
« Le Baclofène est très, très myorelaxant », résume-t-il :
ses muscles sont si détendus qu’il n’a plus de forces, doit
reprendre la canne anglaise qu’il avait utilisée après son
opération de la hanche.
La consommation d’alcool ne retombe pas à zéro :
« Comme sous Aotal ou Revia, si j’avais envie de boire,
je buvais, quelques bières et du pastis le soir. C’est
surtout la volonté plus que le Baclofène qui m’aidait à
tenir. Si ça coupait l’envie de boire, je l’aurais vu. »
Un mois et une semaine après le début du traitement, « comme
si on m’avait coupé les jambes, je suis tombé assis de tout mon
poids ». Il a toujours eu des problèmes d’équilibre, ce qui
explique qu’il chute plus facilement qu’un autre, mais il est
loin d’être le seul patient à avoir ressenti cet effet.
« A mon avis, il faut le prescrire à des gens sportifs et
musclés », préconise Bruno.
A ce moment-là de son traitement, Bruno boit un peu, a moins
d’appétit, toujours autant d’angoisses et commence à douter de
l’intérêt du médicament. Surtout, il sent son corps le lâcher,
et pour cet ancien sportif c’est très déroutant.
Après un mois et demi : la rechute
Le 31 mai, son assistante sociale dépêchée par son employeur
pour l’aider dans ses papiers lui avait « cassé le moral » :
« Elle m’a dit : “Si ça continue, je vous fais mettre
sous curatelle.” J’ai trouvé que c’était exagéré. A 37 ans,
je ne me vois pas sous curatelle parce que j’ai pris du
retard dans mon administratif. J’avais fait mon ménage, je
venais de me réinscrire à la salle de sport..."
Après avoir raccroché, vers 10h15, j’ai commencé l’apéro.
A la bière et au pastis, jusqu’à me retrouver à
3,4 grammes. »
Ce jour-là, il avait rendez-vous avec son psychologue à
l’hôpital. Il y est arrivé, il ne sait pas comment, en bus, mais
dans un sale état, après être tombé porte de Clignancourt.
Le psy l’a expédié aux urgences, on l’a emmené en ambulance à
l’hôpital Fernand Widal pour une hospitalisation d’office. Là,
les médecins ont arrêté le Baclofène et l’ont mis sous Valium,
pendant dix jours, avant d’abaisser les doses pour éviter
l’accoutumance.
Le statut de ce séjour n’est pas très clair : « Pour les
médecins, c’était un sevrage, mais pour moi non. » Cela se
vérifie le jour de sa première permission de sortie.
Libéré
quelques heures seulement, il va replonger :
« J’étais stressé par mes impôts qui n’étaient pas
arrivés, j’ai apporté mon linge à la laverie et je me suis
assis en terrasse au soleil. »
En une heure, il avale « deux barons [50 cl, ndlr] de
Leffe », remonte chez lui et s’enfile de quoi se mettre dans un
état assez second. Il parvient à retourner à l’hôpital, mais
avec 1,24 mg d’alcool dans le sang. Malaise avec l’équipe, qui
convient que « c’était un accident de parcours et que je
sortirais quand j’aurais repris des forces ».
La suite : s’en sortir par le sport
Ce 13 juin, quand je le revois dans le cabinet du docteur
Batel, Bruno a radicalement revu ses plans : sur l’échelle
motivationnelle que lui retend son médecin, son envie de boire
est estimée à 62%, et il n’imagine plus devenir abstinent. Mais,
encouragé par son employeur, il entrevoit la guérison comme un
horizon « envisageable ».
Face à son médecin, il rédige quasiment tout seul son
ordonnance :
« Je vais garder le Xanax pour les angoisses, le Seroplex
comme antidépresseur, le Revia pour diminuer l’appétence, et
le Baclofène dans un tiroir. J’en prendrai un par jour en
sortant de la salle de sport, comme si c’était du
Décontractyl. »
Car tout l’espoir de Bruno réside désormais dans la reprise
en main de son corps : il s’est fait prolonger son arrêt de
travail jusqu’au 5 septembre et sait que son employeur, une
grande société d’informatique, veut le reprendre.
« J’ai tout l’été pour me refaire, il fera beau, je vais
aller voir ma famille, refaire la peinture de mon
appartement, continuer la kiné et reprendre le sport. »
Un avis qui fera hurler les membres du forum Baclofène.
source
Frédéric : L’indifférence à l’alcool
et le plaisir du bon vin retrouvé
Frédéric
a 39 ans et boit depuis ses 14 ans. témoigne
des effets « spectaculaires » du Baclophène, qu’il
prend depuis six mois.
L’alcool
l’aide d’abord à s’affirmer en soirée, puis il ne
parvient plus à limiter sa consommation. Une
dépression aidant, il se met à boire seul, deux à
trois fois par semaine, un apéro suivi d’« une
bouteille de blanc, puis une bouteille de rouge ».
Un jour, il réalise que « l’alcool décide à [sa]
place », et après avoir lu le livre d’Olivier
Ameisen, il se dit qu’il « ne risque rien à essayer,
sauf de guérir ».
En
décembre 2012, il démarre avec un dosage de 80 mg
par jour. Depuis, il est resté à cette posologie et
connaît tous les bienfaits décrits par Olivier
Ameisen, qui a pris de bien plus fortes doses.
« Au bout
de trois ou quatre jours, lorsque l’ivresse nuisible
arrivait, je la repoussais. Je n’ai plus pris de
cuite depuis le début de ce traitement. Les effets
pour moi ont été spectaculaires, mon cerveau s’est
remis en marche, ma peur de l’autre à disparu. J’ai
retrouvé le goût de l’échange, de la parole, le
bonheur du vivre ensemble. A partir de là, l’alcool,
que j’avais à tort utilisé comme remède à mes
angoisses, est devenu inutile. Je ne ressens plus
l’envie de me perdre.
Je ne
suis pas encore prêt à baisser le dosage, de peur
que l’enfer revienne. Mais maintenant, le vin
retrouve sa fonction première, celle du goût. Vers
midi, quand je pense à des crevettes au gingembre
accompagnées d’un Vouvray, c’est au vin en tant que
gourmandise mais plus comme ivresse.
J’ai
conscience de l’aspect un peu magique que peut avoir
cette histoire, mais par chance pour moi, elle est
bien réelle.
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