Élodie soulève la manche de son sweat-shirt et regarde ses avant-bras. « Les traces ont disparu désormais... Il y a cinq ans, c'était pas pareil ! » Elle hausse les épaules, l'air de dire : « C'était ça, ma vie... »
Il y a cinq ans, Élodie se plantait huit fois par jour une seringue dans les veines. « À l'intérieur, je mettais de la vodka, du whisky ou du pastis et ça partait directement dans le sang avant de monter au cerveau. La première fois que je l'ai fait, je devais avoir 13 ans. Je suis tombée à la renverse. Après, c'est comme tout, on s'habitue, ça fait moins d'effet ! »
Ses « années picole », Élodie en parle facilement, sans fausse pudeur, ni victimisation outrancière. « J'ai fait n'importe quoi, je me suis détruite, mais j'ai aussi bien rigolé. » Des souvenirs de beuveries où elle tutoyait la déchéance la font sourire aujourd'hui encore. « Un soir, pour échapper aux flics, je me suis planquée dans une poubelle. Le problème, c'est que je me suis endormie dedans. Je me suis réveillée quand le camion-benne commençait à la soulever. J'ai hurlé pour descendre ! » Ellel ève les yeux au ciel et puis sourit.
À la terrasse d'un bistrot parisien où elle boit un coca, Élodie joue le jeu de la promo de son livre. Un témoignage fraîchement sorti en librairie, écrit avec la collaboration d'un écrivain. « L'éditeur Michel Lafon m'a contactée après un reportage sur moi diffusé sur TF1. » Elle qui vit anonyme dans sa petite ville de Châteaudun (Eure-et-Loir), la voilà exposée aux lumières des médias. « Mon livre s'appelle Le premier verre, mais c'est le sous-titre, Alcoolique à 12 ans, qui a alerté les journalistes. Ça leur semblait spectaculaire. Pas moi. Des gamins qui picolent dans les quartiers populaires, j'en connais un paquet. Ils font même pire que moi. Aujourd'hui, ils mélangent de l'essence, du pastis et de la cocaïne ! »
Élodie a commencé à la bière. « Mes ennuis ont débuté à mon entrée en sixième. Je ne me sentais pas à l'aise au collège. Un jour, des garçons plus âgés que moi m'ont proposé de boire à la sortie des cours, je les ai suivis. » Avec eux, elle va prendre sa première cuite. « À la maison, j'ai vomi. J'ai fait croire que j'avais une gastro. » Premier mensonge d'une longue série...
Rapidement, la bière n'a plus suffi. « Je suis passée à la vodka, diluée dans du jus d'orange, puis pure. Une bouteille par jour. Pour m'en acheter, je piquais de l'argent à mes parents. »
Le père, ouvrier couvreur, et la mère, femme de ménage, n'ont rien vu. Ni les billets qui disparaissaient, ni la lente déchéance de leur fille qui commençait. « Tous les deux travaillaient beaucoup et j'arrivais plus ou moins à dissimuler mon état. Surtout au début... »
Gendarme à Châteaudun, Élisabeth Forestier se souvient parfaitement de ses premières rencontres avec Élodie, qu'elle a su aider. « Elle est venue déposer plainte pour une agression sexuelle dont elle a été victime. Je me suis rapidement rendu compte de son état. Elle empestait l'alcool, elle était sale, très agressive. Elle parlait de se détruire. C'était ce qu'elle faisait, d'ailleurs... »
Au fil des cuites, de l'errance, des renvois des établissements scolaires et des foyers, Élodie plonge. Ses parents finissent par prendre conscience de ce qu'est devenue leur fille : un déchet, un zombie. Entourée par sa famille, des membres de l'association Vie libre, des médecins... Élodie va, non sans mal, réussir à s'en sortir, à 16 ans.
« Aujourd'hui, je ne bois plus une goutte. Je n'ai pas le choix. Je sais que si je replonge, ça sera encore pire. » Elle a un petit copain, va entamer une formation de conseillère d'orientation et multiplie les interventions auprès des jeunes pour les alerter sur les dangers de l'alcool. « Il y a du boulot ! Un jour dans un lycée, cinq des élèves avaient fait exprès de boire avant mon arrivée... De toute façon, j'ai l'impression que tout est fait pour qu'ils picolent. Dans les quartiers, ils s'ennuient, ils sont livrés à eux-mêmes... »
Une situation qui inquiète la gendarme Élisabeth Forestier. « Je m'occupe de prévention et ce que je vois m'affole. On découvre fréquemment des cas d'enfants de 10 ans qui boivent régulièrement, jusque dans les cours de récré. »
Cette tendance, le professeur William Lowenstein la voit monter au sein de la clinique Montevideo, à Boulogne-Billancourt. Spécialiste des dépendances, il s'inquiète des ravages provoqués par l'alcool chez les plus jeunes. « La drogue qui fait peur, c'est toujours celle de l'étranger. On s'inquiète du cannabis ou de l'héroïne, on oublie les ravages que peut faire l'alcool. Pour les jeunes de tous milieux, c'est de la défonce à pas cher. Tant qu'aux premières communions, on trempera les lèvres des enfants dans le champagne, on aura des soucis à se faire. »
Source Ouest-France du Samedi30 mai 2009Philippe LEMOINE.Photo : Daniel FOURAY.
Édit.: Michel Lafon (05/2009), 14x22.5 cm, 205 pages, broché EUR 17,05 chez Amazon