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Renaud ...

ou l’alcoolisme vendu en photos.

 

Longtemps ce fut un alcoolisme entre les lignes. Désormais c’est un alcoolique en photo. Affiché en devanture des kiosques. dans Paris-Match début juillet. Aujourd’hui dans VSD. « Ce sont, écrit Le Point, des photos qu’on ne voudrait plus voir. »

Souffrance, possible déchéance

Ce sont aussi des photos que l’on veut voir et donc des photos qui se vendent. Pour autant ce ne sont pas des photographies volées. Chacun peut les prendre. Il suffit pour cela de se rendre à la Closerie des Lilas, entre l’Observatoire et la Sénat. Une Closerie où Renaud fume et boit (pastis) depuis longtemps et depuis longtemps nettement plus que de raison. Une Closerie « où on est au petits soins pour lui » (VSD).

Ce sont des photos qui parlent. Des photos qui pleurent. La bouffissure. Elles disent la maladie, la souffrance et la possible déchéance. Les mots tournent autour du mal : la dépression, l’alcoolisme. Signes évidents, diagnostic probable, rechutes récurrentes, situation d’impasses thérapeutiques. Et puis le déni, à commencer par celui des amis : « ne pas se fier à son apparence ». « Il va bien, confirme Stéphane Loisy, avocat et ami du chanteur, dans VSD.  Je suis sincèrement scandalisé qu’il soit présenté comme un ‘’clochard’’ ! ». Un proche, sous le couvert de l’anonymat : « Bon, il boit, c’est un alcoolique, personne ne peut dire le contraire. Mais attention, ne vous fiez pas à son aspect extérieur. Dans sa tête, tout fonctionne parfaitement bien. »

Pluies de royalties

 Et l’incompréhension de celui qui ne veut pas comprendre : « Depuis 1977 et le tube ‘’laisse béton’’ les royalties n’ont jamais cessé de pleuvoir ». Comme si l’argent protégeait des plaies de l’âme.

Et encore les guillemets utilisés comme un clin d’oeil entre adultes. Ainsi VSD : « Renaud a ‘’supervisé’’ la sortie de ce CD sur lequel Jean-Louis Aubert, Bénabar, Grand Corps Malade  … reprennent ses plus grands succès (Universal). » « Déjà plus de 100 000 albums vendus, l’un des meilleurs démarrages de cette année. De quoi redonner un peu de baume au cœur au chanteur abattu. » Qui dira ce qu’est le baume au cœur d’un malade de l’alcool ?

Perdu par une femme

Et toujours ces mises en abyme médiatiques. Le Point : « Et toujours cette même inquiétude, ce lancinant mal de vivre pointé par la presse: comment va Renaud, l’un de nos plus grands chanteurs, ce compositeur et poète écorché vif, si prompt à se laisser envahir par un spleen plus destructeur que créatif ? ». RTL, station au micro de laquelle l’éternel ami Hugues Aufray dit « souffrir beaucoup de le voir souffrir comme cela ».

Sans oublier l’exposé des antécédents, ces plongées dans ses néants d’où il fut sauvé par une femme. Avant que Romane choisisse de « ne plus tenir la barre ». Tout nous est dit de ses errances entre L’Isle-sur-la-Sorgue et le boulevard du Montparnasse.

Voracité médiatique

Ne pas omettre de citer le malade qui dit « sa vérité ». « Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final » (Paris Match, février 2012). « J’en ai marre qu’on dise en permanence que je vais mal, explique le chanteur dans Match. Ceux qui prétendent m’aider en disant le pauvre Renaud, il est malade, il est dépressif, il est alcoolique ne me font aucun bien. C’est tout l’inverse ! » Mais quand faut-il prendre le malade alcoolique au pied de la lettre ?  Et comment soustraire les artistes alcooliques à la voracité journalistique et médiatique ? Le fan est un monstre comme les autres.

Et quelques uns tout aussi célèbres !

Ray Charles (douze enfants de neuf femmes) souffrit durablement d’une dépendance à l’héroïne dont on dit qu’il parvint à guérir sans produit de substitution. Edvard Munch (Le Cri) vit les alcools, la dépression et leurs enfers d’assez près. (Dominique Dussidour, Si c’est l’enfer qu’il voit : dans l’atelier d’Edvard Munch, Paris, Gallimard). Puis il revint parmi nous et continua à créer.

Et Georges Simenon (1) : « C’est vers cette époque, et au retour, à Morsang, toujours à bord de l’Ostrogoth, qu’écrivant les premiers Maigret j’ai pris l’habitude de travailler au vin. Eh oui ! Dès six heures du matin. Et comme j’écrivais matin et après-midi, c’est-à-dire trois chapitres par jour … A Morsang, il y avait une barrique dans une fourche d’arbre à côté du bateau. Le pli était pris. J’ai continué jusqu’en 1945. Du vin, blanc à Concarneau (cidre l’après-midi), rouge à Paris ou ailleurs, grogs lorsque j’avais un rhume. Encore une fois j’étais rarement ivre mais j’avais besoin, dès le matin, surtout pour écrire, d’un coup de fouet. J’étais persuadé de bonne foi qu’il était impossible d’écrire autrement. Et en dehors du travail, je prenais n’importe quoi, apéritif, cognac, calvados, marc, champagne …

Je voyageais beaucoup et, en voyage,  je buvais davantage (…) En 1945 je suis parti pour les Etats-Unis, et j’avoue que je me suis mis à boire alors à l’américaine, non plus du vin aux repas, mais avant, Manhattan après Manhattan, puis Martini Dry après Dry Martini (avec oignon, ce qu’on appelle un Gibson). J’ai commencé à connaître les réveils pénibles, la gueule de bois, les crises d’aérophagies pendant lesquelles je pensais chaque fois mourir d’angine de poitrine. (…) Le premier roman écrit au thé est Trois chambres à Manhattan 1946. Ecrit  dans un log cabin sur le lac Masson dans les Laurentides, en plein hiver. J’étais sûr de ne pas venir à bout de ce livre (…) Si l’expérience avait raté je ne l’aurais sans doute pas renouvelée et je serais mort à l’heure qu’il est. »

Simenon raconte ensuite (Quand j’étais vieux, 10 janvier 1961) comment il a, avec sa femme d’alors, décidé de se « mettre sur le wagon » (abstinence complète).  Pas par vertu. Par instinct de survie. Puis il est véritablement entré en abstinence en 1949. « Cela ne m’empêche pas de me considérer comme un alcoolique » écrit-il onze ans plus tard.

En 1963 il déclare à Roger Stéphane : « Je ne vois aucune honte à être ivrogne, pas plus qu’à avoir une maladie de cœur ou un cor au pied. »

(1) Citations tirée de « Autodictionnaire Simenon » de Pierre Assouline (Editions Omnibus) 2009

MAAH

 Renaud