L'alcool est-il un plaisir ?
OUI, au début
l’alcool est un plaisir.
Lorsque l’ on est enfant ce breuvage est réservé aux grands et il intrigue;
La première gorgée d’alcool tout comme la première bouffée de cigarette
font partie de ces interdits que l’on rêve de braver. Plus tard, on
s’habitue au goût de l’alcool et insidieusement à ses effets, tout comme
au tabac. Ce n’est certes pas l’itinéraire de tout le monde, mais un grand
nombre de Français suivent ce cheminement qui fait partie de notre culture.
Le vin, la bière, le cidre, puis le champagne, les whisky, cognac, pastis et
autres jalonnent notre adolescence. Pour certains, ce sont les repas de famille
bien arrosés. Pour d’autres, les bouteilles partagées avec les copains ou
les copines qui font découvrir des instants chaleureux, euphoriques, où
l’amour, l’amitié, la fraternité se conjuguent avec la convivialité. Des
moments où l’on se sent bien parce que l’on partage quelque chose qui fait
voir la vie en rose!
Petit à petit, le recours à cette boisson joyeuse s’installe.
Un soir de solitude, de cafard, de déception, d’angoisse, on prend un verre
et hop! On se sent mieux…Un jour de fête, on boit beaucoup, trop, on découvre
les effets de l’ivresse, on rit, on se laisse aller, on se déchaîne, on s’éclate…Alors,
on recommence un peu, beaucoup, trop pour certains!
Les lendemains deviennent de plus en plus pénibles, et si l’on ne réagit pas
les relations avec l’alcool deviennent de plus en plus dangereuses. Mais
le
cafard n’est pas soluble dans l’alcool; le mal-être demeure, et les fiestas
trop arrosées laissent un goût amer face aux regards moqueurs des autres, témoins
de nos extravagances…Alors, s’insinue progressivement le besoin de fuir la réalité,
et l’alcool revient pour anesthésier la confrontation avec la vie.
Au début, on parvient à gérer ce besoin, à boire, à boire «discrètement»
un peu trop; on s’organise, on négocie, on arrive à conserver un rythme de
vie civilisée, on peut même connaître des périodes d’accalmie, de
stabilisation, voire boire comme tout le monde.
Mais, dès que le fragile équilibre est ébranlé, le recours excessif à
l’alcool revient. On n’arrive pas à oublier qu’un jour on s’est senti
bien après avoir bu, qu’on a réussi à faire quelque chose de difficile,
qu’on a surmonté ses appréhensions, qu’on a pu communiquer avec les
autres…On croit que l’alcool peut nous aider, quelle tromperie! Mais on ne
le sais pas encore. Le produit est facile à trouver. Il devient un médicament
sans ordonnance dont on se prescrit des doses de plus en plus fortes et dont on
ne peut plus se passer.
Alors la dépendance prend racine.
Inéluctable le besoin quotidien qui devient vital, tentaculaire, aussi bien
physiquement que psychologiquement, avec son cortège de mensonges envers les
autres et envers soi-même, de honte, de faiblesse, d’isolement, de repli sur
soi. C’est tout une tranche de non-vie cette période si douloureuse où seul
l’alcool apporte un néfaste moment de répit, où la peur du manque devient
l’unique préoccupation, où tous les moyens sont bons pour se procurer de
quoi boire, et parfois, n’importe quoi d’alcoolisé.
On s’isole de plus en plus, on s’enroule dans sa bulle d’alcool.
Les conséquences physiques ne se font pas attendre: on n’a plus d’hygiène
de vie, on mange peu ou pas, le sommeil n’est plus réparateur, on s’assomme
pour oublier.
L’entourage se révolte, la famille s’épuise, les amis s’éloignent, des
ruptures se produisent. Les problèmes matériels s’amoncellent; on perd son
travail, parfois son toit. On s’isole de plus en plus, on s’enroule dans sa
bulle d’alcool, surtout ne pas réfléchir. On plonge dans le néant. On
n’est plus dans la vie…
Mais heureusement on est encore en vie et, un jour, on se remet en route et on
se reconstruit. L’abstinence est l’une des armes de ce combat plus ou moins
long mais toujours difficile; on peut le gagner, on le veut, on le gagne et,
plus tard, on peut rédiger ces quelques lignes pour décrire les étapes
d’une dépendance. C’est une dépendance aux multiples pièges dont le déroulement
est propre à chacun, elle peut s’installer rapidement ou très lentement.
Qu’importe les quantités d’alcool, le milieu social, la situation
familiale, le niveau intellectuel: il n’existe ni règle, ni personne plus à
risque qu’une autre, ni vaccin…Mais s’arrêter de boire est toujours
possible.
Pour rejoindre le préambule, «l’alcool, pas besoin d’être ivre pour en
mourir», je voudrais ajouter «l’alcool, pas besoin de beaucoup pour devenir
dépendant» L.AURENCE LEDAY