Renaud
est un miraculé. A force de volonté, et grâce à ses amis qui ne l'ont jamais
lâché, il s'en est sorti. La dépression, l'alcool, c'est fini.
A tous les démons qui venaient le hanter et sclérosaient tout veine créatrice,
il a enfin dit non. Le départ de sa femme, Dominique, après vingt-deux ans de
mariage, il tente aujourd'hui de l'accepter, de le comprendre et de le gérer.
Il nous raconte ses moments de profonde mélancolie, ses angoisses, ses peurs.
Sa descente aux enfers et son retour à la vie. Dans une brasserie chic de
Montparnasse, il se met à table. Entre deux gorgées d'eau minérale.
Elle. Comment
allez-vous ?
Renaud. Ça va … j'ai pris de bonnes résolutions
depuis trois mois. Je marche à la Vittel. IL ne me reste plus qu'à arrêter de
fumer. Ce que j'envisage de faire pour mes 50 ans. Je serai débarrassé de tous
ces poisons. Trente-cinq ans de tabac, franchement, ça va !
Elle. Sept
ans sans nouvelles chansons de Renaud, c'est long…
Renaud. J'avais peur. Il y a cinq ans,
j'ai écrit quatre chansons. Après, plus rien. Le trou noir. Trou que j'ai
comblé par une drogue : l'alcool. Une drogue dure, contrairement à ce qu'on a
l'habitude de dire. J'étais victime du mal du siècle, la dépression. Au
milieu de cette dépression, je me suis séparé de mon épouse. Ça n'a pas
arrangé les choses. J'étaix partagé entre mon litre quotidien de pastis, les
antidépresseurs, les anxiolytiques et les neuroleptiques. Tout ça ne fait pas
très bon ménage. Ni sur le mental, ni sur le physique.
Elle. Quand
avez-vous senti les prémices de cette dépression?
R. Vers 45 ans, j'ai commencé à
ressentir une certaine mélancolie, la nostalgie de mon enfance surtout. Et
puis, la souffrance de voir ma fille grandir, quitter l'adolescence pour l'âge
adulte. Le sentiment qu'elle m'échappait un peu. Sans oublier la vieillesse,
les courbatures. Je ne pratique aucun sport. On ne peut pas dire que je suis l'être
le plus épanoui physiquement du monde !
Elle. Comment
cette angoisse du temps qui passe s'est-elle manifestée chez vous ?
R. J'ai été victime de crises de
paranoïa. J'avais peur d'un complot. J'étais persuadé qu'on me voulait du
mal, qu'on m'espionnai, que mon téléphone était sur écoute. Je comprends
Karen Mulder quand elle évoque les moments difficiles qu'elle a traversés, les
micros espions placés sur ses fenêtres… Se sentir persécuté est horrible.
Elle. Pour
vous sortir de cette dépression, avez-vous reçu une aide psychologique ?
R. J'ai renoncé après avoir épuisé
cinq psys. Je ne suis pas convaincu de l'efficacité de la psychiatrie ni de la
psychanalyse. Peut-être ne suis-je pas tombé sur les meilleurs. La plupart
d'entre eux me laissaient parler et quand ils me donnaient leur sentiment, c'était
pour me dire : "Il faut vous bouger, il faut arrêter de boire, il faut
aller au musée, voir des expositions, faire du sport." Pour ce genre de
conseils, merci, je n'avais pas besoin d'eux. J'avais mes copains. Pour décrocher
de l'alcool, j'ai passé dix jours à la clinique Villa Montsouris. J'ai dit
stop. J'en avais marre de me détruire, de passer pour une épave.
R. Docteur Renaud est le gentil
chanteur qui a du succès. Certains le considèrent comme un poète. Mister
Renard, c'est le côté sombre du personnage. Mon côté tendance à
pochetronner. Aujourd'hui, j'espère que Renard s'est fait la belle et que
Renaud va définitivement reprendre le dessus.
Dans ELLE
LES
VERS ET L'ALCOOL
A ceux qui trouvent l'alcool romantique et source d'inspiration, Renaud apporte ce terrible démenti, effrayant et admirable de sincérité, une sincérité très loin des conventions du show-biz.
"Je
me levais à 11h30 me disant 'Vivement que j'ai terminé ma toilette pour aller
en bas attaquer". Je vomissais tous les matins en me lavant les dents. Je
n'avais même plus de gueule de bois, celle que j'ai toujours connue quand je
faisais des excès. Par contre, j'avais des problèmes neurologiques, des
fourmillements dans les bras et les jambes. A 11h45, j'allais vomir mon premier
Ricard tant j'avais le foie pourri. De midi à minuit, j'en buvais un litre. Je
passais de longues heures seul mais très souvent, j'étais avec des copains ou
mon frère aîné qui habite avec mot. J'ai l'alcool triste, pas agressif mais
parfois, je détonnais dans cet établissement sélect en m'endormant sur mon
verre. Un garçon venait me taper sur l'épaule: "Monsieur Renaud". Je
rentrais en titubant et je m'écroulais dans l'escalier. Je ne m'aimais
tellement plus que je ne comprenais pas qu'on puisse m'applaudir. Je n'avais
plus envie d'être aimé mais au contraire rejeté.
Les
analyses montraient que les cellules du foie étalent détruites. J'étais dans
la zone rouge. Encore deux ans et j'avais une cirrhose, irréversible. J'étais
dans un processus d'autodestruction et je n'en avais rien à foutre. J'étais
bouffi par l'alcool. J'avais pris 10 kg qui se manifestaient essentiellement sur
les joues et sur le ventre. En cinq ans, je suis allé cinq fois dans une
clinique de désintoxication pour décrocher. Quatre fois, j'ai rechuté dans
les huit fours. La dernière a été la bonne. Je n'en pouvais plus d'être mal
physiquement. Tout-Paris disait que je ne passerais pas l'hiver. Je ne pouvais
plus me voir dans la glace, détruit par l'alcool. Ma fille me posait un
ultimatum:'Si tu continues à boire, je veux plus te voir".
Mais
j'ai finalement réussi à écrire des chansons et il fallait que je les
enregistre. Début janvier, je suis parti directement de la clinique au studio
à Bruxelles. Je voulais refaire mon métier sérieusement. L'alcool pourrissait
ma voix. Si je continuais, je savais ne pas pouvoir défendre mon disque sur scène
et je n'aurais pas le courage d'alter dans une émission télé avec 10 kg de
trop. Pendant trois mois, j'ai bu trois litres de flotte par jour. Depuis trois
mois, je m'autorise le soir quelques bières en mangeant. Je pense que je
pourrai m'accrocher à ces résultats."
Votre fille, Lolita, a 22 ans. ans .