L’alcool et le tabac tuent.
Je viens d’en avoir la preuve formelle.
Mon ex beau frère est décédé samedi. Il n’avait que cinquante-neuf ans. Sa vie
depuis deux ans était partagée entre séjours à l’hôpital et retours chez lui
assisté par un respirateur artificiel.
(...) je n’ai eu que peu
d’informations sur les conditions dans lesquelles il est décédé mais il semble
qu’il ait souffert. Son corps entier était gonflé d’œdème et sa respiration
était extrêmement pénible.
Ses difficultés respiratoires étaient déjà présentes lorsque je l’ai connu il
y’a dix-sept ans. Il fumait trois paquets de gitanes maïs par jour et pas moins
d’un litre de pastis par jour. Vers la fin, pour que celui-ci lui revienne moins
cher il le fabriquait lui-même et le résultat sur le plan gustatif était en
dessous de tout. C’était infect mais j’avoue qu’on s’y habituait très bien.
Parce que quand j’y allais, comme tous ceux qui passaient chez lui il était hors
de question de repartir sans avoir bu l’apéro….pas un ou deux verres mais sept
ou huit. Les premiers temps après que je l’ai connu c’était pour me tester.
Quelques années plus tard, j’avais besoin de ma dose moi aussi. Je ne me faisais
plus prier même pour boire son mélange bizarre, au goût à mi-distance entre la
boisson anisée, le parfum et le produit pharmaceutique. En plus, c’était un peu
la maison du bon Dieu chez lui. Malgré son air bourru les gens aimaient venir
chez lui se faire offrir à boire. Il y’avait toujours trois ou quatre personnes
présentes, des pauvres types pour la plupart, la misère financière entrainant la
misère psychique. Ca faisait toujours drôle d’entrer dans cette cuisine où tout
le monde piquait plus ou moins du nez. Quand quelqu’un parlait à mon beau frère,
le plus souvent il répondait par un grognement mais même lorsqu’il réussissait à
faire des phrases complètes son ivresse était évidente.
Les dernières années on ne prenait plus l’apéro dans la cuisine mais à la cave.
Il ne s’asseyait jamais. Il restait debout, bien planté sur ses deux jambes un
peu écartées, sa gitane maïs dans une main, le verre à Ricard dans l’autre. De
temps en temps il se raclait la gorge un bon coup puis crachait dehors, histoire
de se purger un peu les bronches. Il m’impressionnait avec ses cent-trente à
cent-quarante kilos. D’un abord pas avenant du tout, (je me rappellerai toujours
la première fois où je suis descendu chez lui quand il m’a chassé de SA PLACE en
arrivant) il avait pourtant le c,,cœur sur la main et était prêt à rendre service
à tout ceux qui le lui demandaient et à tout moment. Surtout, une profonde
souffrance se dégageait de lui. Il paraît qu’il avait perdu son jumeau, mort né.
Tous ceux qui l’ont connu enfant disaient de lui qu’il n’avait jamais semblé
heureux, probablement à cause de ça.
C’était presque inévitable qu’il tombe dans l’alcool. Un individu aussi
malheureux que lui, aussi introverti et n’ayant aucun autre centre d’intérêt que
son travail au milieu des vignes de la société Ricard, sans doute était-ce une
prédisposition de plus…la maison offrait une bouteille par mois à ses salariés.
Vous allez me prendre pour un fou parce que je parle des vignes de la société
Ricard……..mais cette entreprise de produit pas que du pastis. Comme toutes les
multinationales elle s’est diversifiée et produit aussi du Cognac entre autres.
D’où les vignes.
Pendant des années j’ai entendu mon beauf’ se vanter de n’avoir jamais manqué un
jour de travail. C’était sa grande fierté. Etre reconnu comme l’un des meilleurs
employés de sa société, avoir le droit de conduire les nouvelles machines avant
les autres,…suffisait à son bonheur. Il n’avait rien d’autre pour s’en procurer.
Une première femme partie alors qu’il avait une trentaine d’années, une fille
issue de se premier mariage qui lui parlait à peine parce qu’elle avait honte
d’avoir un père alcoolique,….dans cette famille les gens n’étaient pas très
psychologues. Ils ne cherchaient pas midi à quatorze heures. L’alcoolisme comme
presque partout y était honteux et on ne jugeait que les faits sans jamais
chercher à connaître les causes.
Je me dis souvent que mes propres malheurs (...) sont aussi une chance parce qu’il m’ont permis d’avoir une vision
différente de ces gens là. Je n’ai jamais eu envie de mal juger mon beauf. Je me
sentais plutôt malheureux pour lui. J’aurais aimé pouvoir le comprendre mais
pour ça il m’aurait fallu oser lui parler. Mais dans ces familles campagnardes
de toutes façons, on ne se livre pas comme ça. Tout est secret. On se contente
de quelques phrases lâchées à droite et à gauche puis on essaie de reconstituer
un puzzle avec des morceaux manquants.
Le père, toujours vivant mais dont les jours sont comptés buvait beaucoup trop
lui aussi et se comportait de manière assez tyrannique avec tout le monde et en
particulier sa femme, surtout lorsqu’il était ivre. Même moi j’ai eu à subir ses
foudres, juste pour avoir eu un chien dont la tête ne lui revenait pas (...)
Tous ses fils sont eux aussi tombés dans l’alcoolisme, ses gendres aussi
d’ailleurs, moi compris. Je ne dis pas que je suis tombé dedans à cause d’eux
mais ils m’ont probablement bien aidé. Je m’en suis sorti il y’a bientôt deux
ans, entre autre grâce au site de
SVPat
J’ai eu d’autres déclics encore plus fort en particulier l’amour que je
ressentais pour quelqu’un à ce moment là et aussi une scène dont ma fille se
souvient probablement encore.Un autre de mes beau frères s’en est sorti lui aussi quelques années avant moi.
J’avoue que depuis que je ne bois plus j’éprouve souvent les pires difficultés à
aller vers les autres, moi qui suis très réservé et même complexé. Quand je
buvais, l’alcool m’aidait à être plus sociable mais uniquement lorsque j’étais
sous son emprise.
Mais quel bonheur aujourd'hui de me sentir libéré de cette drogue et de toujours
agir avec la plénitude de mes moyens intellectuels, ce qui n'était pas souvent
le cas sous l'emprise de l'alcool.
De la même manière mon beau frère aimait l’alcool parce que c’était un moyen
d’avoir toujours de la compagnie. Les conversations ne volaient pas bien haut
mais au moins il était entouré. C’était sa façon à lui d’exister. Il lui est
arrivé d’arrêter de boire mais même là il continuait à inviter les autres à
venir boire chez lui pendant qu’il se servait du « Pacific ». Il avait besoin de
ce lien créé par l’alcool. Sans ça il n’était rien.
Mais à cause de ça, aujourd’hui, il n’est plus. Merci Ricard !
Quant à la clope, j’ai un peu trop oublié d’en parler. C’est qu’elle influe
moins sur le comportement des individus. Pourtant la respiration courte et
sifflante de mon beauf dès quarante ans, les bronchites qui traînent trois mois
tous les hivers et même toute l’année les cinq dernières, c’était bien le tabac.
Ce salarié modèle si fier de n’avoir jamais manqué un jour de travail, a passé
les deux dernières années de sa carrière en arrêt de travail et n’aura profité
que d’un peu plus de deux ans de retraite. Profité mais à l’hôpital. Encore
merci Ricard mais aussi la Seita !