Quand mes élèves sont bourrés en cours d'histoire-géo

 

Courte réaction de Nicolas, prof trentenaire dans un lycée près de Marseille. Il a accepté de rédiger un témoignage à ce sujet, constatant être régulièrement confronté au problème dans l'enceinte de son établissement scolaire.

"Laissez-le m’sieur, il est bourré"

"Laissez-le m’sieur, il est bourré". La phrase m’est à peine destinée, elle est lancée du fond de la classe. J’entends des murmures et des rires d’élèves entre eux. Qu’est-ce qu’il a? Il est bourré.

Effectivement, malgré une engueulade sur mesure, l’élève assoupi dans ses bras croisés, peine à relever la tête. On est en cours et il est dix heures du matin. Je ne sais pas trop quoi faire. D’abord parce que je ne suis même pas sûr qu’il a bu et que je vais avoir du mal à le vérifier: je tente de renifler, je crois percevoir une odeur d’alcool.

"Qu’est-ce qu’il a?
- Il est fatigué m’sieur, me répondent des élèves hilares.
- Emmenez-le à l’infirmerie." Un copain l’emporte et je ne le reverrai pas de la journée. Il reviendra le lendemain comme si de rien n’était. Pas de nouvelle de l’infirmière ni de l’administration. Fin de l’histoire.

La population n’y est ni pauvre ni riche, nous ne sommes pas en ZEP...

Je suis prof d’histoire géo dans un lycée de la région marseillaise. J’ai 36 ans et cela fait sept ans que j’y enseigne. La population n’y est ni pauvre ni riche, nous ne sommes pas en ZEP, mais elle reflète les difficultés quotidiennes d’une classe un peu moins que moyenne. Un niveau scolaire assez faible, un peu de violence, un peu de racisme, pas mal d’absentéisme. Mais des élèves globalement gentils. Et parfois, de l’alcool.

Quand j’étais élève, j’ai moi-même été un peu cancre, c’est assez rare chez les profs, et oserais-je l’avouer, je me suis déjà présenté au lycée en état d’ébriété, voire même, crime odieux, en ayant fumé du cannabis. Je devrais donc avoir une certaine compréhension du phénomène. Ce n’est pas le cas.

Chaque nouvelle confrontation me laisse perplexe mais surtout démuni. J’ai l’impression, peut-être à tort, que les pratiques actuelles diffèrent de ce que j’ai pu connaître à la fin des années 80. Et j’éprouve les pires difficultés à trouver la réponse appropriée entre la sanction, forcément lourde, et l’omission, forcément coupable.

Bonne élève et puant l'alcool

L’an dernier c’est deux filles, qui n’étaient, je crois, même pas copines avant ce jour-là, et dont l'une était plutôt une bonne élève, qui se sont présentées hoquetant de rire, bras dessus bras dessous. Elles puaient l’alcool. Avant les vacances de Noël, des dizaines d’élèves se sont promenés dans les couloirs le vendredi après midi, visiblement bourrés.

Parfois un collègue évoque un cas: un élève qui s’endort, un autre qui vomit, seul ou à plusieurs… Ce n’est pas tout le temps, ce n’est même pas fréquent, mais c’est régulier. Et puis il y a ceux que l’on ne voit pas mais dont on attrape l’évocation dans un couloir.

Des filles, des garçons, bons ou mauvais élèves, de toute origine sociale, de toute origine culturelle, qui se saoulent vite et mal, à n’importe quelle heure de la journée, sans avoir toujours de motif ou d’occasion. Et qui ensuite vont en cours. Vodka-Red Bull à la récré. Plus rapide et plus fort qu’un pétard. C’est pas festif, c’est utilitaire.

Dialogue au point mort

Il est très compliqué d’établir un dialogue sur ce sujet avec les élèves. A une classe à qui je demandais, dans le cadre de l’éducation civique, s’ils consommaient de l’alcool, je me suis entendu répondre un unanime et magnifique non. Dix-huit élèves de première et aucun consommateur d’alcool. "L’alcool, c’est pas bon, le coca c’est meilleur, l’alcool c’est mal."

Leur rapport à l’alcool est moderne: dénigré et considéré, sans doute à raison, comme une drogue, ils l’appréhendent comme une drogue: illégal mais pratique pour ses effets psychotropes. Il ne s’agit plus d’aller s’en jeter un au bistrot après la classe, pas de plaisir dans l’alcool, mais bien de se défoncer le plus vite possible, pour aller en cours, pour aller en boite, pour rien.

Je ne suis pas sociologue, mes connaissances sur le sujet ne sont que le produit d’une faible expérience et j’aurais beaucoup de mal à expliquer cela, hors poncifs sur la désespérance d’une génération. Aucun élève n’est venu me voir pour me dire "voilà, je vais vous expliquer comment et pourquoi on se défonce". J’entends des phrases, je reconstitue en pointillé. Mais l’impression que cela laisse est amère. Ces comportements ne semblent pas potaches, mais tristes. Ce n’est même pas de la révolte. C’est de la défonce.

Et ça fait un peu peur.

Par nimenoii | Nicolas Prof | 29/01/2009  Rue 89

 

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