L'alcoolisme et ses maux

Par le Dr Bertrand Yersin

Interniste au CHUV, le Dr Yersin est responsable de l'unité d'alcoologie et des urgences. Son exposé sur l'alcool, qui se limite au plan strictement médical, s'articule autour des questions  suivantes,plus ou moins controversées: Quelle est la différence entre consommateur normal et alcoolique? Peut-on guérir de l'alcoolisme?Est-ce que tout un chacun risque de devenir alcoolique?

Quelle est la différence entre un consommateur normal et un alcoolique?

L'alcoolisme ne revêt pas la même forme suivant les pays : aux USA, l'alcool est surtout consommé le week-end sous forme d'alcool fort, en Europe la consommation est quotidienne sous forme de vin ou de bière. La façon de consommer l'alcool distingue les buveurs:

 

Quelques critères de dépendance:
­ la dépendance physique avec des tremblements à jeun, comme ces personnes qui ont besoin du «café chauffeur» pour commencer la journée (café + alcool);
­ la perte du contrôle de sa consommation: le produit entraîne l'envie du produit.

Ajoutons à ces critères diagnostiques le fait que la personne alcoolique émet le désir persistant d'arrêter de boire, sans y parvenir. Mais les échecs ne sont pas dus à un manque de volonté, car ce sont des modifications chimiques du cerveau qui entravent le contrôle de la consommation.

Peut-on guérir de l'alcoolisme?

A cette question, il faut répondre non, on ne peut pas guérir de l'alcoolisme, un alcoolique ne peut pratiquement jamais redevenir un petit buveur. Il doit renoncer complètement à l'alcool. Tout contact avec le produit est dangereux, car il est susceptible de réveiller le système d'accoutumance acquis par le cerveau lors de la consommation d'alcool, même après des années d'abstinence.

Mais s'il n'y pas de guérison possible, une rémission peut être envisagée. Un alcoolique qui veut être abstinent a 30% de chances de réussir. Actuellement, dans le canton de Vaud, on compte 60'000 gros buveurs, dont 30'000 sont alcooliques et 3000 se soignent. Le traitement se fait en trois phases.

Entrée en soins
Cette étape était complètement escamotée auparavant, alors qu'elle augure grandement de la réussite du traitement. C'est une longue phase qui dure jusqu'à la décision d'arrêter la consommation d'alcool, pendant laquelle on évalue la motivation et les ressources de la personne.

Sevrage
Le sevrage physique est rapide, il dure à peu près une semaine. Il faut accompagner la personne pour gérer l'arrêt brutal d'alcool, le temps que son cerveau se régule. A petites doses, l'alcool est un excitant, mais il devient vite un sédatif quand la consommation augmente. Par un mécanisme de tolérance, le cerveau compense la sédation en sécrétant des substances stimulantes. Quand on enlève brutalement le sédatif ­ l'alcool ­ le cerveau est très excité pendant huit jours. Pour un sevrage de cocaïne, le mécanisme est inverse, la cocaïne ayant un effet stimulant.

Prévenir les rechutes
Beaucoup de solutions sont proposées, c'est dire que la solution miracle n'existe pas. Il s'agit de changer de vie, d'être soutenu, d'acquérir des compétences pour dire non à l'alcool. L'appui qui convient le mieux à la personne peut être familial, médical, psychiatrique, institutionnel (type Les Oliviers), associatif (AA, la Croix-Bleu , Vie Libre), les Forums sur le Net,social, etc.

Est-ce que tout un chacun risque de devenir alcoolique?

A cette question que beaucoup de gens se posent, on peut répondre par la négative. Le risque de devenir alcoolique diffère d'une personne à l'autre. Il n'y a pas de cause unique, mais plutôt des facteurs de risque, au nombre desquels figurent notamment:
­ des fragilités génétiques ou poly-génétiques;
­ l'environnement: exposition très jeune à l'alcool; pertes affectives, surtout pendant l'enfance; la maltraitance;
­ des maladies psychiques: dépression, phobies sociales, TOC.

En conclusion, d'un point de vue purement médical, l'alcool est toxique. Mais notre culture lui reconnaît des vertus gastronomiques et conviviales; il joue même un rôle clé dans les relations sociales, la consommation d'alcool, au même titre que la cigarette, faisant office de rite de passage à l'âge adulte dans nos sociétés. Sans oublier que l'alcool a une valeur symbolique, voire religieuse, comme l'atteste le rôle qu'il joue dans la communion pour les chrétiens. On mesure ainsi toute la différence entre la valeur réelle d'un objet et la valeur conférée à cet objet. Et avant d'être une maladie, objet d'observation et de soins médicaux, l'alcoolisme est un phénomène social.


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