Quand le lobby de l’alcool force la porte de l’école
Par Bernard Girard
La décision prise par les parlementaires d’interdire la vente d’alcool aux mineurs -tout en autorisant la publicité sur Internet et la vente dans les stations-services- apporte un éclairage singulier sur la duplicité d’une politique censée combattre les conduites addictives des jeunes. S'y rejoignent en effet, sous couvert de santé publique, des préoccupations d’ordre moral et une complaisance sans faille pour le lobby de l’alcool.
Alors que l’alcoolisation des jeunes atteint des proportions alarmantes, il n’est pas inutile de s’interroger sur la responsabilité dans ce phénomène de groupes de pression liés à la viticulture, comme l’Association Nationale des Elus de la Vigne et du Vin (Anev), créée en 1999 dans le but de « favoriser la concertation, l’échange, le dialogue, d’animer le réseau des élus du vin en vue de mieux faire connaître les réalités vitivinicoles ».
Pour l’Anev, tous les moyens sont bons pour éduquer les jeunes à la « culture du vin », en réalité pour les inciter à boire le plus tôt possible : il faut parler du vin aux jeunes adultes (...), informer sur les lieux de vente (...), organiser des manifestations festives.
C’est dès le plus jeune âge qu’il faut aller chercher le futur consommateur de vin
En septembre 2007, au cours d’un débat organisé à la Sorbonne par le syndicat viticole des AOC Bordeaux sur le vin, les jeunes et la santé, le député Jean-Paul Garraud s’emportait : « Arrêtons les procès en diabolisation du vin, et arrêtons de dire qu’une politique de sécurité routière et la valorisation du vin sont incompatibles. »
Pour relancer la consommation du vin, selon le souhait des participants, c’est dès le plus jeune âge qu’il faut aller chercher le futur consommateur, à l’école primaire et même en maternelle. Il faut saisir toutes les opportunités de rentrer dans les écoles, et elles existent : pourquoi ne pas former les élèves au goût, à la culture, à la gastronomie, à l’histoire de la vigne et du vin, puis à la consommation, à différencier usage et abus ?
Différencier usage et abus ? Louable précaution, que l’Anev ne prend pas toujours, puisqu'avec son projet Vigne-Ecole, elle se fixe pour objectif de promouvoir une source de plaisir par la dégustation, et non un produit dont on abuse et qui fait du mal.
Un peu partout dans les régions viticoles, les écoles se voient proposées, avec la bénédiction des autorités académiques, diverses activités dont la visée pédagogique affichée ne parvient pas à masquer d’autres objectifs moins avouables.
Bien sûr, affirme-t-on la main sur le cœur, nous ne parlons pas de vin... On ne boit pas du vin à l’école, il s’agit juste, avec les enfants du primaire, de préparer le terrain.
Le conseil des élus : trois verres de vin quotidiens à partir de 15 ans
Car ces scrupules de façade n’ont plus cours pour les plus grands. En juillet 2004, l’Anev remet au Premier ministre un Livre blanc, visant à intégrer et institutionnaliser l’enseignement de la vigne et du vin par son intégration au sein des programmes du secondaire.
Et cette fois, l’Anev ne manifeste ni scrupules ni hésitation. Au lycée, il s’agit d’ éduquer à la consommation sur la base des seuils de risque élaborés par l’OMS : deux verres de vin par jour pour les femmes, trois verres de vin par jour pour les hommes, pas moins. Ce que nos élus appellent une consommation modérée .
Trois verres de vin quotidiens à partir de 15 ans, donc. Il est vrai que pour les élus du vin, l’alcool n’est pas le vrai problème. C’est la façon de boire de l’alcool qui est en cause .
On rapprochera cette saine maxime sur les vertus de l’alcool de l’étude publiée en février 2009 par l’Institut national du cancer (Inca) : pour son président, Dominique Maraninchi, les petites doses répétées sont les plus nocives et Paul Martel, directrice de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), précise : toute consommation quotidienne de vin est déconseillée.
Avec les élus du vin, l’espérance de vie de nos lycéens paraît donc dangereusement menacée...
Alors que le vin est loué, le cannabis sert d'épouvantail
Si l’on en croit la récente enquête menée pour le compte de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), les efforts du lobby de l’alcool ont été couronnés de succès : entre 1999 et 2007, alors que, chez les jeunes de 16 ans, l’usage du cannabis ne progresse pas, la consommation régulière d’alcool est en nette augmentation (8).
Dans certaines villes –Rennes est, de ce point de vue, l’une des plus réputées...– la beuverie est devenue un rituel de convivialité avec des dérives, des débordements et des conséquences sur le long terme bien plus redoutables que ceux que l’on attribue couramment au cannabis.
En général, l’usage du cannabis ne résiste pas à l’entrée dans la vie active, devient rapidement marginal chez les jeunes adultes alors que l’accoutumance à l’alcool, au contraire, se renforce au fil des ans. Dans les établissements scolaires et pour une large fraction de l’opinion publique, c’est pourtant le cannabis qui fait figure d’épouvantail mais aussi l’objet d’une répression brutale et souvent ridicule.
Au Parlement, le clientélisme fait des ravages
De spectaculaires descentes gendarmesques dans les collèges, avec de tout jeunes enfants plaqués au mur comme des délinquants et flairés par des chiens, montrent à quel point la rhétorique anti-cannabique vise bien davantage à la stigmatisation d’une classe d’âge, à développer un sentiment d’insécurité, plutôt que de travailler à la santé publique.
Au vu des chiffres fournis par l’OFDT, on en viendrait presque à se demander si la focalisation sur le cannabis ne serait pas comme un moyen détourné de favoriser l’alcoolisme chez les jeunes, une drogue, le cannabis, sortant par la porte pour rentrer par la fenêtre sous une forme liquide, celle dont le lobby de l’alcool se fait le fervent apôtre.
A l’issue du débat parlementaire sur l’hôpital et la santé au cours duquel le clientélisme a fait des ravages, les élus multipliant les concessions, l’un d’entre eux, Robert Lecou (UMP, Hérault) s’est écrié : « Les vignerons nous seront reconnaissants ». Il aurait pu ajouter : les cancérologues et les psychiatres également.
Par Bernard Girard | Enseignant blogueur | 16/03/2009 Publié dans Rue89
Mais aussi une opinion à prendre en compte si on veut vraiment s'attaquer à l'alcoolisation des Jeunes .
Je me permets de rappeler à M. Girard que les enfants, adolescents et étudiants ne consomment que de façon exceptionnelle du vin mais sont de très gros consommateurs de bière et d'alcools forts (vodka, ricard etc.). Parler du lobby de l'alcool en ne citant que les viticulteurs me paraît détourner le problème et doit bien amuser les alcooliers dont on ne parle finalement que très peu dans les medias. Pointer la faute de l'alcoolisation des jeunes sur les viticulteurs est un signe d'une profonde méconnaissance de la question. Cet article fait plus le jeu des alcooliers qu'il n'aide à résoudre la question. En ce qui me concerne, de tous les comas éthyliques dont j'ai entendu parler chez les ados aucun n'était lié à la consommation de vin et je vis pourtant dans une région viticole ! Par contre tous les jeunes qui parlent de boissons alcoolisées sont consommateurs de bière, vodka, whisky, gin. (de mipo )