Jeudi 29 octobre 1981, 23 h 14
Georges Brassens s’éteignait à Saint-Gély-du-Fesc, au nord de Montpellier.
Trente ans après, les Français restent orphelins de ce monument de la chanson.
Maurice Bousquet, chirurgien, et son épouse Monique, infirmière, étaient à son chevet lorsque Brassens rend son dernier soupir. C’est dans leur demeure que le poète, 60 ans, a choisi de finir ses jours. Pas auprès de sa sœur ou de ses “copains”. Pas à Sète, sa ville natale, ni à Lézardrieux, son amarre bretonne. L’épisode reste pour beaucoup mystérieux.
Une amitié brève mais intense
C’est seulement dix ans après que Maurice Bousquet lève le voile sur ce dernier huis clos à travers un livre : Monsieur Brassens, dernière escale à Saint-Gély-du-Fesc. Il raconte, avec une économie de mots, l’histoire de cette amitié brève mais intense, empreinte de pudeur et de respect mutuel. Son fils Jacques, qui avait 15 ans lorsque Brassens arrive à Saint-Gély, a pré- et postfacé la réédition de cet ouvrage aux éditions Équinoxe.
Cette parenthèse, nul ne s’en étonne, a marqué sa vie. "Quand on a la chance de croiser des gens brillants et simples, on s’en nourrit. Il m’a ouvert à la culture et m’a apporté une certaine idée de la tolérance. On ne rentre pas dans la beauté comme dans un moulin, disait-il..." Sentences gravées dans l’esprit de Jacques Bousquet, chirurgien viscéral, comme son père Maurice, lui aussi disparu à 60 ans.
La première rencontre se déroule en octobre 1980, sous le ciel parisien. Eric Battista, intime de Brassens, demande à Maurice Bousquet de bien vouloir l’ausculter. "A la courtoisie de l’accueil vont succéder une amitié, une complicité...". Pas un jour ne se passe sans que Brassens, opéré d’un cancer du côlon en novembre à Paris, ne téléphone à Bousquet.
Séduit par son intelligence et le tempérament méditerranéen de Monique, il débarque "un jour d’avril avec armes et bagages : la guitare, la célébrissime valise bleue, Pierre et Püppchen". Hormis de brefs allers-retours à Sète, en Bretagne et à Paris, il ne quittera quasiment plus son dernier foyer. Brassens se glisse "naturellement" dans l’intimité de cette famille de quatre enfants. Lui qui n’en a jamais eu. "Nous n’avions pas une idole à la maison. Il a fait sa part et nous a tout de suite adoptés." Il aide aux devoirs, et va même chercher les enfants à l’école.
La guitare à portée de main, il chante souvent. Griffonne quelques vers. Le vrai Brassens se révèle. "On le prenait pour un ours, sans femme ni enfant. Mais on ne meurt pas seul dans sa caverne", résume Jacques Bousquet.
"L’incongruence entre le sujet et le cadre où beaucoup l’avaient enfermé était flagrante", écrivait son père. A deux reprises, ce dernier l’opère à la clinique Saint-Jean, de nuit, dans la plus grande discrétion. L’artiste convalescent trouve réconfort dans sa famille d’adoption. "Il était le cinquième enfant de ma mère et comme un frère pour mon père." La fin approchant, l’humour devient parfois grinçant. Les silences pesants. "Tout le monde savait, personne ne disait rien. S’il avait clairement énoncé avoir choisi sa dernière demeure, le quotidien n’aurait plus été vivable", confie Jacques Bousquet.
Puis une nuit d’automne, Brassens, chaleureusement entouré, s’en est allé
"vers la fosse commune du temps".dernière escale Saint-Gély-du-Fesc