BRASSENS & POLITIQUE  


 Éphéméride
anarchiste:  22 octobre

 

Le 22 octobre 1921, naissance de Georges BRASSENS, à Sète. Militant libertaire, poète et chanteur.
A l'âge de 18 ans, il se fixe à Paris, et travaille en usine. Durant la guerre, il est envoyé au S.T.O (travail obligatoire) en Allemagne. Après la libération, il milite à la "Fédération Anarchiste" et devient le gérant de leur librairie. Ses recueils de poésie ainsi que plusieurs romans sont publiés. En 1952, ce grand poète non-conformiste débute dans la chanson. Il enregistre ses premier disques et le succès est au rendez-vous.
Il ne tarde pas à s'imposer sur le devant de la scène (tout en restant en retrait du vedettariat). Son oeuvre poétique est très importante. Ses chansons comme "La mauvaise réputation", "La non-demande en mariage" ou encore "Les copains d'abord", ont fait le tour du monde.
Il soutient de nombreuses fois les anars en donnant des galas au bénéfice de la Fédération Anarchiste. On garde de lui l'image bonhomme d'un poète amoureux de la vie, avec sa pipe et sa guitare. Victime d'un cancer, il meurt à Sète le 29 octobre 1981.

Georges Brassens déclarait: " Je suis anarchiste au point de toujours traverser dans les clous afin de n'avoir pas à discuter avec la maréchaussée."

"Mort aux vaches, mort aux lois, vive l'anarchie"

In : Hécatombe.

Brassens


Le 29 octobre: anniversaire de la mort de Brassens.

Extrait d'une thèse consacrée à quelques aspects méconnus du poète.

    Avec l'accord de l'auteur qui me demande de signaler que l'intégralité de ce (long) texte est disponible sur                                                                http://brassenspolitique.free.fr/  

 

PREMIERS ÉCRITS, PREMIERS COMBATS  

  (Voir la   réponse  est donnée  par  André Tillieu)

Georges Brassens s'est toujours défendu de tout activisme politique. Il s'est soigneusement maintenu à distance des hommes et des partis, et s'il a pu tenir des propos à teneur politique, ceux-ci n'ont jamais visé à soutenir un homme politique. Il faut à cet égard citer un passage de l'Interview de Jacques Chancel :  

Jacques Chancel : "Politiquement, vous auriez pu faire une carrière?" Georges Brassens : "Non, non. Un anarchiste ne se mêle pas de politique."

Brassens s'est seulement permis de critiquer quelques partis, et quelques hommes, à travers sa production écrite et chantée. Il a aussi exprimé de façon plus ou moins complexe son appartenance à la mouvance des idées anarchistes. Pour autant que l'on veuille bien concevoir le mot politique au delà de son sens profane - l'ensemble des hommes et des partis qui comptent dans la démocratie Française -, on doit donc admettre que Georges Brassens a un parcours politique, en tant que sympathisant anarchiste, et en tant qu'homme qui a voulu émettre des opinions à teneur politique. En d'autres termes : non, Brassens n'a pas participé de près ou de loin au jeu politique ; oui, Brassens a réfléchi et s'est exprimé sur des sujets politiques, et il a eu des rapports étroits avec la fédération anarchiste. Il est donc impropre de parler d'apolitisme lorsque l'on cherche à qualifier Georges Brassens. Nous allons par conséquent retracer les grands moments de son parcours politique.

 

LA LIGNE BRISÉE

 

La première trace que l'on ait de l'expression d'opinions politiques par Brassens date de 1943-1944. Cette période correspond à son séjour à Basdorf, dans un camp de travail du STO. Brassens n'est pas particulièrement hostile aux Allemands : il est, et a toujours été pacifiste. Mais de là à apprécier qu'on l'oblige à travailler pour la guerre, qu'on l'oblige à se rendre en Allemagne et à vivre dans un camp, il y a un pas qu'il ne franchira pas. Avec quelques compagnons de chambrée, Brassens fonde un parti subversif, qu'ils baptisent le parti des "briséistes", du nom d'une chanson écrite par Brassens. Il s'agit sans doute de la première chanson de Brassens qui témoigne de la malice et de l'inventivité qui nous vaudront plus tard 'la guerre 14/18', où d'autres chansons d'opinion à la facture sophistiquée. C'est déjà un excellent texte métaphorique, qu'il faut lire avec attention si l'on veut en comprendre la portée.

 

La Ligne Brisée ------ Chanson à tendance géométrique

 

Sur la sécante improvisée

D'une demi-sphère céleste

Une longue ligne brisée

Mais harmonieuse et très leste

Exécute la danse de Saint-Guy

Exécute la danse (Bis)

Exécute la danse de Saint-Guy

Onduleuse leuse, leuse

Onduleuse elle erre sur l'heure

Nébuleuse, leuse, leuse

Astronomiquement fabuleuse

Scandaleuse, scandaleuse

Et zigzague elle zigzague

Et zigzague donc-on-on

Sur l'air vague, vague, vague

 

Que cette ligne est indécen-en-en-en-te

Huons-la... (Quatre fois)

Allons-y, un, deux, trois

À mort la ligne qui n'est pas droite

Allons-y, un deux, trois

De se briser qui lui donna le droit

Dites-le-nous, dites-le-moi

On peut voir dans ce texte le défi d'un homme qui ne veut pas marcher au pas, ou encore plus généralement une forme de rébellion systématique contre toute morale imposée, contre les chemins tracés dont on ne peut pas s'éloigner. Il est très facile de comprendre que la cible de cette chanson est l'ordre martial qui règne dans le camp. On peut prendre cette phrase "A mort la ligne qui n'est pas droite" au sens premier du terme : sous la loi martiale, soit on marche droit, soit on est puni. Parfois par la mort. Mais - à la lumière des textes que Brassens écrira plus tard -, on est tenté d'y voir une forme de refus généralisé de tout système où l'homme ne choisit plus ce qu'il veut et ce qu'il peut faire. On peut rapprocher la métaphore de la ligne brisée de ce vers plus tardif, où Brassens déplore que " non les braves gens n'aiment pas que - l'on suive une autre route qu'eux". En outre, Brassens a écrit sur un coin de cahier : "la ligne qui voulut triompher de la monotonie mais qui n'y parvint pas parce que ses ennemis, la stupidité et le rationalisme, étaient supérieures en nombre et en quantité. Gloire aux Briséistes !".

Toujours est-il que Brassens, qui est un peu le chef coutumier de sa chambrée - si l'on en croit Louis-Jean Calvet - propage avec sa bande le mystère de la ligne brisée. On réalise de petites affichettes sur lesquelles on peut lire "La ligne brisée, qu'est-elle, que veut-elle ? Les briséistes, que veulent-ils ?". On dessine sur tous les murs des lignes brisées - sortes de serpents ondulants. L'administration Allemande est intriguée, mais ne parviendra pas à remonter à la source de la contestation. Irritée par cet épisode, elle prendra sa revanche en interdisant le port de la barbe aux français. Mais les Briséistes n'en restent pas là, et ils créent un sigle : PAF - paix au Français. Et Brassens écrit en quelques heures l'hymne des PAFS.

 

Les P.A.F.S.

 

C'est nous les P.A.F.S.,

Les jeunes philanthropes (Bis)

Qui sommes venus ici

Faire la nouvelle Europe

C'est nous les P.A.F.S. (Bis)

 

On nous a dit

Que c'était pour la France, (Bis)

Et le plus rigolo,

C'est qu'y a des cons qui l'pensent.

C'est nous les P.A.F.S. (Bis)

 

On nous a dit

Qu'on s'remplirait le bide, (Bis)

Et le plus rigolo,

C'est qu'au contraire y s'vide

C'est nous les P.A.F.S. (Bis)

 

On nous a dit

Qu'on gagnerait des fortunes (Bis)

Et le plus rigolo,

C'est qu'on gagne pas une thune

C'est nous les P.A.F.S. (Bis)

 

Et pour ne pas

Qu'on nous passe à la meule, (Bis)

Sachons fermer à temps,

Sachons fermer nos gueules.

C'est nous les P.A.F.S. (Bis)

 

Quelques prisonniers français chantent cet air tous les matins en se rendant à la prison. Le texte de cette chanson est dirigé contre le régime de Vichy (on nous a dit que c'était pour la France), et contre le pangermanisme (la nouvelle Europe). Mais la politique est très vite mise de côté - pour des considération plus quotidiennes, comme la nourriture, l'argent, ou la liberté d'expression. Il  laisse à d'autres les débats sur les motifs des guerres justes, et se contente de souligner l'absurdité et l'inconfort de la situation. Brassens laisse aussi de côté la fierté nationale, puisqu'il ne réclame pas la victoire aux Français - VAF -, mais la paix aux Français - PAF.

Ces deux chansons, qui ne sont pas proprement politiques, mais qui auraient maille à partir avec la philosophie politique, sont un indice avant-coureur des convictions anarchistes et pacifistes de Brassens. On peut noter que - pour une fois -, Brassens s'est prêté au jeu de la contestation en groupe. On ne l'y reprendra plus, puisque lorsque l'on est plus de deux, on est "une bande de cons" - comme il le chantera. Pour l'heure, Brassens est le 'roi' des pafs, le médiateur et le correcteur orthographique de sa chambrée, et il s'en accommode très bien. Le sigle PAF a été peint en grand sur le mur du fond de la chambrée, et l'administration du camp ne fait rien pour se renseigner sur eux.

 

LE CRI DES GUEUX

 

On retrouve Brassens en juin 1945. Il fonde à 24 ans, avec deux amis - Émile Miramont et André Larue - un parti ! Mais il ne s'agit pas d'un parti ordinaire : son nom résume à lui seul la prétention des trois hommes, tourner en dérision les partis, et faire l'apologie d'une vie plus simple. Miramont, Larue et Brassens le baptiseront "parti préhistorique". Les trois hommes ont la conviction que "le seul retour à la vie primitive doit pouvoir empêcher le monde de tomber dans la décadence" (biographie de Brassens par Jean-Michel Brial). Dans le même esprit, ils fondent un journal, qu'ils appellent "le cri des gueux". Peu à peu, l'équipe est rejointe par quatre autres hommes. Le projet semble sérieux, puisque l'un d'entre eux s'occupe de l'administratif, et qu'un autre est en charge de la maquette. Les articles et les maquettes affluent bien vite. Brassens écrit des articles, contrôle l'orthographe, et définit la ligne éditoriale. Nous avons la chance d'avoir eu accès à un document très précieux, où Brassens détaille le ton à adopter pour chaque article, et sur plusieurs thèmes. C'est encore Jean-Michel Brial qui l'a mis a jour :

La politique: Deux politiques, la bonne et la mauvaise. Si le gouvernement en fait de la bonne, la suivre (ou faire semblant), s'il en fait de la mauvaise, lutter contre lui en éclairant les citoyens mal renseignés à son sujet. Comme le mariage, la politique est une nécessité économique. Une forme unique de politique serait idéale, mais théoriquement impossible (pratiquement, c'est la dictature), car les hommes n'arrivent jamais à s'entendre parfaitement. On ne pourrait supprimer la politique que si tous les hommes étaient vertueux.  

La religion: Respecter avec fidélité et conviction les lois de Dieu et de son Église mènerait les peuples vers la vertu, mais aussi vers l'affaiblissement, vers l'abâtardissement, attendu que l'individu qui tend la joue gauche à celui qui vient de lui flanquer une gifle sur la droite est un être faible prêt à toutes les concessions et aussi fatalement à toutes les lâchetés.  Et le point de vue du poète:  Si tous les êtres étaient également bons et vertueux, la terre deviendrait un paradis, mais un paradis d'où seraient exclus tous les rêves, toutes les conceptions de la pensée. Peu à peu, la vie ne serait plus possible pour les êtres supérieurs, seuls les imbéciles, s'accommoderaient de cela. Plus de luttes, plus d'efforts, puisque tout s'inclinerait devant tous.

Le mariage: Combattre l'idée de propriété que fait naître l'acte marital dans le cerveau des époux. Insister sur les devoirs réciproques devant lesquels, pour une union idéale, doivent s'effacer les droits. L'homme et la femme qui, étant mariés, n'accorderaient chacun de l'importance qu'aux devoirs de l'un à l'égard de l'autre, formeraient le couple le plus heureux du monde, le couple idéal. Ne pas considérer son conjoint comme un meuble, comme un complément, mais comme un être moralement indépendant auquel il faut, malgré le degré d'intimité que provoque le mariage, toujours respecter la personnalité et l'humeur.  (On comprend mieux pourquoi Brassens a toujours repoussé, en ce qui le concerne, l'idée du mariage.)  

L'éducation : Combattre les aberrations des parents et les contraintes qu'ils font subir à leurs enfants. Éducation physique, parallèle à l'éducation morale et sentimentale.

L'argent : Sans intérêt.

La guerre: Le prestige d'un peuple ne devrait pas être proportionnel à sa puissance militaire mais, puisqu'il en est ainsi de par le monde, il est nécessaire d'avoir une armée solide, malgré le nombre incalculable de brutes que cela fait naître.

La France - La Patrie: C'est en France, et par les Français, qu'ont été découvertes toutes sortes d'inventions. On peut sans ostentation être fier d'avoir la nationalité française. N'oublions pas pourtant que politiquement la France a toujours été devancée par l'Angleterre, et artistiquement par l'Italie. Le Français travaille à bâtons rompus mais manque de persévérance. De ce fait, la France est sociable et admire aveuglément tout ce qui est neuf, tout ce qui vient du dehors, pour en faire ensuite la réplique exacte chez elle. Ce qui a fait naître la triste réputation qui n'est pas près de s'éteindre: les Français sont des veaux. "

 

Nous n'allons pas analyser dés maintenant ce texte. Nous voulons seulement retenir que Brassens a déjà une conception très arrêtée de tout ce qui touche à la politique et au social. Nous voulons aussi retenir qu'il est prêt à porter un jugement sur la politique, et à avoir un rôle dans ce qu'il est convenu d'appeler le IVe pouvoir - dans le discours des politistes. Brassens ne pourra pas utiliser le journalisme comme forme d'expression : en dépit des multiples prises de contact avec divers mécènes, le 'cri des gueux' ne trouvera aucun financement. L'équipe du journal parle en terme d'idéal - de justice, de fraternité -, alors que les éditeurs qu'ils rencontrent ne connaissent que le mot rentabilité. Brassens débordant d'idées et d'opinions, Brassens voulant donner son avis sur la politique, ne pourra donc pas s'exprimer dans les colonnes du 'cri des gueux'.

 

LE LIBERTAIRE

 

Mais une autre occasion se présentera bientôt. Quelques mois plus tard - en 1946 -, Brassens est introduit par une connaissance à la fédération anarchiste du XVe arrondissement. Brassens ne tarde pas à se faire reconnaître par les militants anarchistes de la FA, si bien que Henri Bouye propose à Brassens un poste de correcteur au marbre - bénévole - dans le libertaire.

Le libertaire est l'organe central de la Fédération Anarchiste, il est aussi la publication la plus tirée dans la masse des journaux anarchistes. A l'époque où Brassens y rentre, c'est un hebdomadaire. En 1946, Le libertaire, tout comme la fédération anarchiste, sont en plein déclin. Rongée de l'intérieur par plusieurs tendances antagonistes, et n'ayant pas su tirer profit du climat insurrectionnel de l'immédiat après guerre, la fédération n'a pas beaucoup d'adhérents. Le libertaire, qui reparaît depuis 1944, redevient public en 1945. Après moultes palabres, il retrouve enfin son efficacité en 1946, et parvient à profiter des événements sociaux. Le libertaire tire alors à 70.000 exemplaires, et est vendu à 33.000 en moyenne. On vise la politique anti-sociale du gouvernement Blum, on s'oppose au rapprochement avec la puissance impérialiste américaine, on soutient les mouvements sociaux...

La FA adopte en 1947 une résolution qui rend bien compte de ses objectifs : "La FA doit viser à la généralisation, à la simultanéité et à l'internationalisation des grèves et des mouvements sociaux. Elle doit conduire à la grève générale expropriatrice [...]" Gaston Leval publie en 1948 un ouvrage qui fait état des solutions proposées par une partie des militants de la FA. Brassens y a nécessairement été confronté. La société future repose selon lui sur trois piliers : les coopératives, les syndicats et les municipalités. Très vite, cependant, le climat d'agitation sociale se tasse, et la FA voit ses adhérents diminuer. Le libertaire se vend lui aussi de moins en moins : il ne tire plus qu'à 47.000 exemplaires, et se vend à 27000 exemplaires.

Brassens aura donc connu l'apogée du Libertaire de l'après-guerre, ainsi que le début de son déclin. Il a vécu dans l'atmosphère et les idées de la fédération anarchiste, tout en se situant plutôt dans le courant individualiste-pacifiste, c'est à dire l'aile la plus libertaire des anarchistes. Les deux autres tendances sont favorables à un renforcement de l'autorité centrale, et à une meilleure organisation. L'aile la moins libertaire est d'inspiration ouvrière et anarcho-syndicaliste. Après y avoir officié en tant que correcteur, Brassens publie une série d'articles dans le libertaire, dont 15 sont attestés par son pseudonyme - les convictions des anarchistes leur interdisant de signer par leur nom. Certaines sources tendraient à indiquer que c'est l'intégralité du journal que Brassens aurait rédigé pendant quelques mois. Mais il est impossible de vérifier de telles allégations. On peut cependant retenir que peu d'articles font la chronique de problèmes de fond, et que ces articles semblent plutôt être un exutoire aux passions anarchistes de Brassens. Brassens s'en prend à la police, aux Staliniens, aux bellicistes et aux revanchards en tous genres. Le ton de ses articles est extrêmement agressif, et dégradant pour ses cibles. Ce journal, Brassens ira jusqu'à le vendre à la sortie du métro, avec Pierre Onteniente. Brassens passe beaucoup de temps dans les locaux de la fédération anarchiste, et dans ceux du Libertaire. Mais sa collaboration cesse assez vite.

Il est impossible de savoir avec précision pourquoi Brassens a quitté le Libertaire, un an après y être entré (septembre 46 - juin 47). André Larue pense qu'un désaccord typographique aurait irrité Brassens au point qu'il aurait claqué la porte. Le correcteur aurait pris "trop de libertés", en changeant notamment la police du titre du journal. Marc Wilmet, qui réfléchit à cette question des années plus tard, en vient à la conclusion qu'il est possible que Brassens n'ait pas apprécié qu'on lui fasse des reproches. Brassens a en effet écrit des articles particulièrement haineux, à l'égard de la police notamment. De cette époque, Brassens gardera quelques amis, et aussi un certain scepticisme, alimenté par les incohérences et les luttes qui déchirent les anarchistes de la FA. C'est d'ailleurs la dernière fois que l'on voit Brassens militer pour une cause.

 

LA PÉRIODE SCEPTIQUE : AUCUNE COMPROMISSION

 

A une exception près - à notre connaissance -, Brassens ne défendra plus ses opinions politiques que par le truchement de ses chansons. Brassens ne soutiendra plus la FA qu'une fois, au cours de l'un des galas de la fédération anarchiste où on l'avait prié de venir chanter, quelques années plus tard. Brassens évite prudemment de se mêler à Mai 68, alors que d'autres paroliers célèbres prennent le train en marche :

Brassens : "[...] je pense qu'en mai 68, j'aurais été ... je me serais mêlé de ces problèmes, mais en ma qualité d'anarchiste, je pense que c'était pas mes affaires. C'était les affaires des étudiants. Ce sont aux étudiants de régler leurs problèmes".

Jacques Chancel : "On vous l'a reproché".

Brassens : "Oui mais on reproche tellement de choses à tout le monde. C'est une vue un peu courte de me reprocher d'être silencieux. Que voulez vous que je fisse ? Que j'allasse - comme diraient certains speakers de la télévision - sur les barricades ? On m'aurait reproché aussi d'essayer - je suis tout de même un homme public - on m'aurait reproché d'essayer de me mettre en avant. Je pense que les étudiants doivent régler eux même leur problèmes [...]"

Georges Brassens continuera de parler de politique et de philosophie à travers son œuvre, mais sous une forme beaucoup plus subtile, beaucoup plus atemporelle, et surtout beaucoup plus raffinée: la chanson. Ce mode d'expression se passe - et il faut le souligner - de toute hiérarchie. Brassens écrit directement à son public. Les seules contraintes qu'il doit affronter sont celles qu'il s'impose. La contrainte de la rentabilité est très tôt écartée par la personnalité du chanteur, et par son succès foudroyant. Cet indépendance financière le préservera de la compromission. Lorsqu'il écrit ses chansons, Brassens n'a plus de compte à rendre à un rédacteur en chef, à un mécène ou même à une fédération. Brassens veut échapper à toute compromission, et la haute idée qu'il se fait de la chanson le conduit à ne publier que des chansons profondes, réfléchies et formellement très avancées. On ne retrouvera que rarement dans ses chansons les plaisanteries faciles et légères qui émaillaient ses articles dans le Libertaire. En somme, plus de groupe car quand on est plus de deux, on est "une bande de cons"; et plus de coups de plume à l'emporte pièce, car la poésie est une affaire qui ne se traite pas à la légère.

Pour raffinées qu'elles soient, les chansons de Brassens ne laissent pas d'avoir un impact sur les opinions politiques. Ses chansons font réfléchir - sans doute plus que ses articles ne pouvaient le faire. Une grande partie de sa production est censurée par le pouvoir politique, et chacun écoute ce que Brassens a à dire. Un épisode houleux de sa vie d'artiste en atteste. En 1964, Brassens sort son dixième disque. Parmi les titres figure "les deux oncles", chanson que l'on peut trouver dans le CD annexe. Le texte est fort long, et admirablement écrit. Le thème en est le suivant :

 

C'était l'oncle Martin, c'était l'oncle Gaston

L'un aimait les tommy, l'autre aimait les teutons

Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts

Moi qui n'aimais personne, eh bien je vis encore

 

Brassens vise donc clairement les collaborateurs et les résistants, en les plaçant tous au même niveau de bêtise, car - comme il est dit dans la chanson - "il est fou de mourir pour les idées".

Nous allons citer quelques passages particulièrement gênants :

De vos épurations, vos collaborations

Vos abominations et vos désolations

De vos plats de choucroute et vos tasses de thé

Tout le monde s'en fiche à l'unanimité

 

Qu'il est fou de perdre la vie pour des idées

Des idées comme ça qui viennent et qui font

Trois petits tours, trois petits morts et puis s'en vont

Qu'aucune idée sur terre n'est digne d'un trépas

Qu'il faut laisser ce rôle à ceux qui n'en ont pas

 

Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi

Mieux vaut attendre qu'on le transforme en ami

Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main

Mieux vaut toujours remettre une salve à demain

 

On sait le pacifisme de Brassens. On apprend avec cette chanson que son pacifisme est plus fort que tout. Le scandale que cette chanson a provoqué est compréhensible Les journalistes et les auditeurs de Brassens ont sans doute eu beaucoup de mal à comprendre que Brassens ait conseillé de transformer Hitler en ami ( au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi - mieux vaut attendre qu'on le transforme en ami), ou encore qu'il ait prétendu que tout le monde se fiche à l'unanimité du génocide juif et tzigane.

La clé des opinions si étonnantes de Brassens sur ce sujet est sans doute à chercher dans la grande capacité de pardon qu'a cet homme. Rien ne lui fait aussi horreur que la vengeance et la punition. Toujours est-il que le mythe du chansonnier bourru et désormais presque 'sacré' est logiquement ébranlé par cette chanson. Le scandale prouve au moins qu'on n'entend pas les chansons de Brassens sans les écouter. Les journaux de gauche et de droite épinglent la chanson litigieuse, et Brassens est gêné par ce tapage.

C'est là la dernière trace apparente - et contextualisée - des manifestations politiques de la vie et de l'œuvre de Georges Brassens. Il nous reste évidemment un grand travail scientifique à fournir pour extraire de sa vie et de son œuvre des contenus politiques qui ne se présentent pas sous la formes d'événements biographiques.

« Nicolas SIX

(Mémoire de DEA - Sciences Politiques, Université Lille II)

L'intégralité de ce (long) texte est disponible sur :  www.brassenspolitique.free.fr/

 

Pas net sur le net                                                Réponse d'André Tillieu à Six

 

Brassens