Une plaque commémorative, oeuvre de Renaud, est apposée sur la maison sise au n° 7 de l'impasse Florimont 75014 Paris
où Georges a habité,écrit et composé de 1944 à
1966.
Retrouvez la lettre d'invitation écrite par Maxime Le Forestier, Gibraltar,
Renaud et André Tillieu
Vidéo de l'inauguration> http://www.megaupload.com/?d=H71A0A4K
Lettre d'invitation
Paris, 11 septembre 1994
Chère Amie,
Cher Ami,
Francs du collier,l’esprit dispos, et après mûre réflexion, les
soussignés ont ourdi un complot visant bel et bien à apposer une plaque
commémorative sur la maison sise au n° 7 de l’Impasse Florimond ( 75014 PARIS ),
ou Georges Brassens a habité, écrit et composé, de 1944 à 1966 ;
Ils ont conscience, en signalant ce lieu à l’attention du promeneur, de
rencontrer le souhait de nombreux amis du « Bon Maître »et de poser
par là un paraphe collectif au bas de la légende Brassénienne.
La plaque sera inaugurée le 22 Septembre prochain à 17 h 00, en
présence d’un fervent public, parmi lequel les protagonistes du projet seraient
ravis et fiers de pouvoir vous compter.
Pourquoi le 22 Septembre ?
Simplement parce que Georges, qui s’emmêlait obstinément les pinceaux
dans le calendrier, avait mémorisé cette date là, avant de l’élever à la dignité
de chansonnette.
Et puis, ce sera une occasion de « traverser l’équinoxe
funeste » en compagnie de « Tonton Georges ».
Nous comptons sur votre présence.
Au rebours de la tradition des « Quat’z’arts », il n’y aura de
« tournée des boxons » . Par contre, le verre de l’amitié n’aura
jamais tant mérité son nom.
Au 22 Septembre donc !
A vous de tout cœur.
Maxime Leforestier
Pierre Onténiente dit « Gibraltar »
Renaud
André Tillieu
( par ordre d’entrée dans le dictionnaire)
Discours d'André Tillieu
Prononcé
le 22 septembre 1994 ,
A
l’impasse Florimont
(voir
n°22. Nov. 1994 des Amis de Georges)
Chers
artisans des lettres et du music hall, chers amis,
Le sujet en vaut la peine, allons-y à la manière de Cicéron : en réfutant le principal des préjugés : « Une plaque commémorative, Brassens, n’eût pas aimé ça… ». Et bien !, pas d’accord ! Pas d’accord du tout… Certes il eût bougonné, rigolé dans sa moustache, sorti quelques mots un peu énergiques , mais au fond de lui-même, il eût savouré l’intention et l’événement. Il aimait être aimé… comme tout un chacun.
On
a beaucoup parlé de la pudeur de Brassens : avec raison. Elle est des
dominantes de son art et de sa personnalité.
Mais
ce sentiment rare - la pudeur - on l’a rarement utilisée comme grille pour
décoder, comme on dit de nos jours, ses déclarations publiques et privées.
Quand
Georges lâchait à brûle-pourpoint et face à l’intéressé : « ce
con de Gibraltar »… « ce con de Poletti »… « ce
con d’Abatte »… « ce con de Tillieu »…, et bien l’intéressé
pavoisait : il savait que c’était la façon du bonhomme d’interpeller
ses amis en termes pas trop joufflus, où
L’amitié
se faufilât sans en faire des kilos. Villon et quelques autres lui avaient
appris les vertus de l’antiphrase, de la litote, de l’euphémisme.
De
même, il arrive que des pions entendent encore nous faire la leçon en proférant :
« Vous qualifiez Brassens de poète, alors que lui-même récusait la
flatteuse étiquette… » Bien sûr qu’il récusait… S’il l’avait
acceptée, il se serait entassé le casque du pompier jusqu’aux épaules. Pas
de ça Lisette. « Moi j’fais des chansonnettes… » c’était
sa pédale douce, son modérateur de vanité, son attendrisseur de louanges. Je
vais vous faire une confidence : Georges n’était pas un imbécile…et
il avait parfaitement conscience d’écrire des textes nettement au dessus de
la moyenne de ceux-là qui avaient cours dans la chanson d’alors.
Se
décerner les lauriers du poète, ce n’était pas son affaire, mais la nôtre.
Nous n’y avons pas failli. Quant aux pions, grand bien leur fasse, leur
scepticisme est à leur taille.
Dans
le registre voisin, celui des musiques, Brassens expliquait souvent à ses
interlocuteurs qu’elles se devaient de demeurer en retrait par rapport aux
textes, pour ne pas les gêner. Ben voyons ! En fait, il savait très bien
que ses mélodies se suffisaient à elles mêmes, qu’elles possédaient des
qualités propres à plaire aux oreilles délicatement ourlées. Quelques
jazz-men américains nottenment, groupés autour de Moustache se sont chargés de le
rappeler aux sourds, aux béotiens et à ceux que notre ami Fallet appelait
les « oreilles de lavabo ».
Lui-même,
Brassens, au tournant d’un refrain a lancé « tout à trac » :
« Tout aussi musicien que vous, tas de bruiteurs ! ».
Avec
le temps, ces bruiteurs devinrent des connards au catalogue des anathèmes
brasséniens.
Au
retour d’une soirée particulièrement triomphale à Bobino, si on se félicitait
devant lui de son succès, Brassens, avec une mauvaise foi insigne, rétorquait :
« Oui, ce soir il devait y avoir dix connaisseurs dans la salle. Hier il y
en avait tout au plus cinq… ».
Je
viens de parler de mauvaise foi…méa-culpa. En réalité, les soirs où la
gloire avait mis les petits plats dans les grands, l’apparente « mauvaise
foi » n’était que le travestissement de sa pudeur et de sa gêne.
En
bref, plus que n’importe qui, et à tout instant, Brassens était un
personnage dont les propos devaient être entendus entre les lignes.
Au
demeurant, un homme normal qui préférait être aimé plutôt que détesté, fêté
plutôt que flétri.
Et
cette plaque commémorative lui eût procuré un plaisir certain. Il aurait sûrement
remarqué, pour dissimuler son émotion : « Dommage qu’ils
n’aient pas pensé en installer une d’abord rue du Château, pour honorer
Jacques Prévert qui y demeura dans les années 20 ». Sa réserve ne l’a
jamais trouvé sans biscuits.
Et
oui ! « le brave Prévert » a habité à un kilomètre de
l’Impasse. En fait deux des poètes les plus
populaires du siècle ont vécu, à des époques différentes - mais peu
importe - dans le XIVe arrondissement. Je ne sais s’il faut y voir quelque présage.
Alors,
cette plaque, pourquoi ici ? Dans ce cul de sac ? Pourquoi pas à Sète ?
D’abord Georges a beau y être né, c’est loin…et puis il y en a déjà
une sur sa maison natale. Deux panonceaux sur
le même immeuble, même à la gloire d’un grand homme, ça ne fait pas sérieux ;
on a eu l’air de bégayer.
Pourquoi
pas à la rue Santos Dumont ? Nous y avions songé, mais ça se goupillait
mal. Au reste, il y avait déjà un parc Georges Brassens dans le coin, avec une
plaque…Nous restions dans une manière de pléonasme.
En
outre , pour être sympathique en diable, cette rue ne s’en situe pas moins
dans le XVe. Or c’est bien connu,
« le seul endroit au monde où l’on puisse vivre, c’est le XIVe ».
Restait
donc la maison de l’Impasse Florimont.
Les
raisons ne manquent pas, qui militent en faveur de ce qu’il faut appeler »
la solution Florimontoise ».
D’abord,
cette maison est celle de Pierre Onténiente, le fidèle écuyer. Georges la lui
avait offerte, dès lors que lui-même ne pouvait plus l’habiter. Gibraltar
est au fond ce qui nous reste de vivant, de charnel, du prestigieux
trio,maintenant que l’acteur principal et son inoxydable acolyte, Pierre
Nicolas, ont tourné le coin.
Mais
je reconnais qu’il s’agirait plus là d’un stratagème et d’une commodité
que d’une véritable raison.
La
raison majeure, la raison forte, la raison absolue, celle qui balaie tous les
scepticismes, la voici.
De
tous ses domiciles, c’est celui de l’Impasse où Brassens a habité le plus
longtemps. Il s’y était enraciné. Seul, un sort grotesque l’en a chassé.
A
Sète, rue Henri Barbusse, Georges n’a demeuré - si j’ose dire - que 19
ans.
A
Santos Dumont, 13 Ans à peine…hélas.
Ici
à l’Impasse, 22 ans ! et dans la pleine force de l’âge.
Brassens
est venu s’installer dans le logis de Jeanne et Marcel en
Avril 1944, quant il eut pris la décision de ne pas retourner en
Allemagne après la permission que lui avait accordée le S.T.O. En quelque
sorte, ici, il entrait en dissidence.
C’est
ici, avant mais surtout après la libération que Georges est devenu réellement
Brassens.
C’est
à partir de l’Impasse qu’il allait quotidiennement - c’est son mot -
« piller » la bibliothèque du XIVe arrondissement.
Il
a tout lu derrière ces murs :les poètes, il l’a souvent rappelé, mais
aussi les romanciers, les moralistes, les philosophes ( anars et révolutionnaires
de préférence : Proudhon, Bakounine, Kropotkine…), sans oublier les
humoristes et maîtres du non sens : O’Henry, Mark Twain, Alphonse Allais
etc…
Ah !
l’humour…c’était un peu son royaume. C’était aussi une façon bien à
lui de libérer son affection.
Qu’on
me permette une anecdote.
Nous
étions réunis, une dizaine, rue Santos Dumont autour de la grande table en
acier : on mangeait, on buvait, on plaisantait, on n’était pas triste.
En
bon amphitryon, Georges s’affairait autour de nous à servir et à faire
circuler les plats sans prendre trop part à la conversation. Celle-ci, en toute
innocence, s’était dirigée sur la thématique de la connerie humaine. Il en
résultat aussi sec une belle unanimité : tous les Français étaient des
cons, excepté bien évidemment ceux qui se trouvaient autour de la table. Etant
le seul étranger à bord, je me sentais quelque peu gêné par ces propos. Je
me lançai dans le débat en soutenant, que nous autres Belges, à cheval sur
deux civilisations : Françaises et Germaniques, tiraillés entre deux
langues, situés au carrefour de plusieurs mentalités, nous étions peut-être
gâtés de ce côté-là… Georges me coupa
la parole et en même temps mes effets oratoires : « Vous
les Belges, ne venez pas vous venter. N’essayez pas de nous faire croire que
vous avez plus de cons que nous . ça ne prendra pas… « La
table fit une embardée sous l’assault des rires que les gestes entérinaient
et les verres furent vidés de leur contenu comme promesses électorales au
lendemain d’un scrutin. Ah ! ce pluriel : « Vous les Belges.. » .
Je n’ai jamais été aussi nombreux autour d’une table.
L’humour
était le souci constant de Brassens.
C’est
donc ici qu’il a poursuivi ses études, qu’il a fait son miel, qu’il a découvert
son Orient.
C’est
ici, concurremment, qu’il a écrit ses premiers poèmes flamboyants, idylles
ou gaudrioles, de paix et de révolte, qu’il a gratouillé sa première
guitare et composé ses musiques tournées à l’ancienne sur des cadences où
le jazz n’est jamais très loin, qu’il a façonné son petit théâtre aux
personnages bougrement humains , pittoresques et d’un indépendantisme jaloux.
« La
mauvaise réputation » ? C’est ici. « Le gorille » ?
Ici encore. « La chasse aux papillons »… « La mauvaise herbe »… « Les
bancs publics », « Brave Margot », « Le mauvais
sujet »…tout a été ouvragé sous le toit du logis de l’Impasse.
On
peut être assuré que près de 100 chansons - autant dire 100 chefs-d’œuvre
- ont été peaufinés céans.
Epinglons parmi les dernières qui ont vu le jour ici : « Dans
l’eau de la claire fontaine », « Le 22 Septembre »,
« La supplique », « Les copains d’abord »…
L’époque
Florimontoise de l’œuvre brassenienne est une fameuse époque !
C’est
ici bien sûr, qu’au début des années 50, Georges s’en alla proposer ses
œuvres aux éditeurs, patrons de cabarets et autres gourous du métier. Il le
faisait sans enthousiasme et sans trop d’illusions. Il était en avance sur
l’époque. Il le savait. Il attendait son heure.
Son
heure, la voici ! en 1952, « tiré par les amis, poussé par les
parents », il va auditionner chez Patachou qui, par bonheur, a aussi
quelques saisons d’avance. En un tournemain, c’est le succès, la gloire,
les salles pleines… Celles des cabarets d’abord, des music-halls ensuite.
C’est
à partir d’ici dorénavant que Brassens ira porter sa bonne parole entortillée
de « musique jolie » au bon peuple de Paris, de la France profonde,
aux frangins de Bruxelles, aux cousins du Quebec et de Suisse.
Jusqu’en
1952, bien qu’elle n’eût jamais été un taudis, la maison de Jeanne
et de Marcel n’avait rien d’un « trois étoile », ni même
d’un pavillon de banlieue.
C’était
un logis rudimentaire, qui se tenait prudemment à l’écart du siècle. Il
n’y avait ni l’électricité, ni le gaz, ni le tout-à-l’égout. Le téléphone,
n’en parlons pas. Spartiate, quoi !
« Nous
ne vivions pas réellement dans la pauvreté, dira-t-il un jour, mais dans une
espèce de dénuement voulu…qui finalement était assez riche…c’était une
vie de bohème « en marge des modes et des grands événements »,
ma parole c’est un assez bon portrait de l’artiste par lui-même.
Pas
de danger dans cette cour, que son « la » se mit à gonfler.
Entre
le confort et la cordialité, entre la cuisine équipée et l’affection,
Georges n’a pas eu à faire son choix : il était fait depuis longtemps.
L’Impasse lui apportait exactement ce qu’il voulait : des amis francs
de collier,quelques chats, chiens, une cane, une buse,un perroquet…un arbre chétif
que la magie poétique éleva au rang d’un « Apollon citharède »
forestier.
C’est
ici qu’en dégustant des pipes somptueuses, il a rencontré sa belle étoile.
Les
premiers cachetons apportèrent quelques commodités au pavillon. La réussite
étant là, Brassens aurait pu s’offrir une demeure sublime en banlieue, un
appartement au bois, quelque villa résidentielle…
Eh
non ! il demeura ancré à l’Impasse. Par fidélité à l’égard des hôtes
qui l’avaient recueilli au temps où les eaux étaient basses.
Mais
surtout parce qu’il s’y sentait parfaitement à l’aise, comme on se sent
dans un pantalon de velours qui a déjà fait de l’usage.
En
1966, l’année où il reçut le prix de poésie de l’académie Française,
Brassens prenait toujours ses ablutions matinales, vespérales et autres dans
une cuvette installée sur une chaise au milieu de la cour. Il y avait bien une
douche à deux pas, mais il est de notoriété publique qu’on n’a jamais pu
la rendre fonctionnelle.
Je
ne raconte pas cela par souci de pittoresque, ni pour alimenter la légende (
elle n’en a pas besoin ), mais parce que j’estime qu’on retrouve là
Georges Brassens tel qu’en lui-même.
Le
succès, les bravos ne l’avaient pas entamé. L’homme continuait de rester
simple dans l’exercice du quotidien. L’Impasse convenait à cette sobriété .
Soit
dit en passant, c’est à ce bonhomme qui se débarbouillait dans un baquet
qu’une conjuration de l’amitié, proposa un fauteuil à l’académie Française.
Brassens apprécia l’offre, mais ne se vit pas bicorne en tête ; l’épée
au côté, assis entre un maréchal et un monseigneur.
Il
découragea les promoteurs de l’idée, avec élégance : « Trénet
d’abord »…
En
un mot comme en cent, c’est ici que la plaque avait sa place !
Le
projet était déjà dans l’air (
Gibraltar en salivait de bonheur ), quand j’en ai touché un mot ( pas plus )
à Renaud lors de la sortie bruxelloise de « Germinal » ( le beau
film de Claude Berri). Nous n’eûmes pas le temps de nous retourner que ledit
Renaud nous arrivait avec la plaque où il avait gravé l’Effigie de Georges. « Si
cela vous plait… » nous a-t-il dit. Et comment que ça nous plaisait :
A Pierre, à Maxime Le Forestier, à moi, aux autres…ça ressemblait à
Brassens et , par bonheur, pas à un plat de nouilles sur un galvanomètre au
mitan d’un garage.
Enlevez
c’est pesé ;
On
a choisi deux petits vers de la veine florimontoise.
Et
voilà, on va l’inaugurer, l’ex-voto.
Entre
la rue de Vanves et la rue Didot.
Et puis on trinquera avec le fantôme des lieux.