Voici un inédit de Georges ( cf les Amis De Georges ) dont le
contenu est franchement jubilatoire ! Vous reconnaitrez, bien sûr, une chanson
connue de tous dans ce texte pourtant sans faille, si ce n'est les remarques
annotées plus bas.
La moitié des gens de Baucaire (*)
Fidèle au cérémonial
Suivait jusqu’au près du vicaire
Un convoi matrimonial
Le même jour, à la même heure
L’autre moitié des gens du lieu
Menait à sa dernière demeure
Un macchabée très précieux.
Or, pour se rendre au cimetière
Et pour se rendre au lieu sacré
C’est la même petite artère
Qu’il faut prendre bon gré mal gré.
Au pas du flâneur qui circule
Les conducteurs des deux convois
Engagèrent leur véhicule
Aux deux bouts de l’unique voie.
Comme il roulait dans les ténèbres
Le ciel étant tout encrassé
Le conducteur du char funèbre
Crut qu’c’était à lui de passer
Par malheur, pour les mêmes causes
L’conducteur du char conjugal
Crut justement la même chose
La collision était fatale.
Elle ne fut pas de nature
A prendre place au faits divers
Car seuls les phares des voitures
Dans la rencontre avaient soufferts
Mais les chauffeurs d’automobiles
Tels leurs ancêtres les cochets
Quand un rien leur émeut la bile
Sont joliment mal embouchés.
Les deux nôtres selon l’usage
Se dressèrent sur leurs ergots
Et se crachèrent au visage
Les plus déplorables gros mots :
« Veille ordure, pouilleux, vérole, (2*)
Fils de pute, empapaouté »
On se serait cru ma parole
A la chambre des députés.
Au maximum de la dispute
Les témoins des jeunes époux
Secourur’ leur chauffeur en butte (5*)
A cette avalanche de boue
Les teneurs des cordons du poêle (?)
On n’leur en demandait pas moins
Trouvèrent qu’ils avaient de la moelle
En bondissant sur les témoins.
Les témoins mordaient la poussière
Quand les demoiselles d’honneur
Sortant leurs griffes carnassières
Se jettèrentsur les teneurs (3*)
Les teneurs recevaient la pile (?)
Quand les parents et les amis,
Les curieux et les imbéciles
Puis tout le monde enfin s’y mit.
Frémissante la jeune veuve
Disait à l’épouse effarée
« C’est par un de mes terre-neuve
Que nous te feront déflorer »
« Mon palefrenier non conformiste
Répond l’autre du tac au tac
Violera ton entrée des artistes
Si par miracle elle est intact » (4*)
A pied, à cheval, en voiture
Les gendarmes mal inspirés
Vinrent pour tenter l’aventure
D’interrompre l’échauffourée.
Or à Baucaire comme à Boulogne (*)
A Montmartre, à Chandernagor,
Dès qu’il s’agit de rosser les cognes
Tout le monde se met d’accord
Avec une harmonie parfaire
On vit les anciens ennemis
Se ruer sur les trouble-fête
Au massacre inhumain promis
Les femmes pires que les hommes
Leur firent un terrible sort
Ne les blâmons pas car en somme
Elles rossaient des harengs saur’. (5*)
L’une d’elles, la veuve, attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier « mort aux vaches
Mort aux lois vive l’anarchie »
Une autre fourre avec rudesse
Le crâne d’un de ces lourdauds
Entre ses gigantesques fesses
Qu’elle sert comme un étau.
La plus grasse de ses femelles
Ouvre son corsage dilaté (#)
Et matraque à coups de mamelles
Ceux qui passent à sa portée
Ces furies à peine si j’ose
Le dire tellement c’est bas
Leur auraient même coupé les choses
Par bonheur ils n’en avaient pas.
Il va de soi que les gendarmes
A la longue auraient succombé
Mais le formidable vacarme
Ota l’sommeil au macchabée
Il dit : « vos procédés me navrent
Vous vous conduisez en goujats
Avant d’faire de nouveau cadavres
Qu’on enterr’ ceux qui l’sont déjà »
Le blâme plein d’acrimonie
Persuada tous ces butors
D’achever les cérémonies
Et d’laisser la vie aux pandor’ (5*)
Alors la moitié de Beaucaire (*)
Conduisit le mort dans son trou
L’autre moitié jusqu’au vicaire
Accompagna les deux époux.
*Dim 26/11/50 - (Date écrite par GB sur l’original)
(*) Baucaire – Brassens l’a écrit trois fois dont deux sans le e entre le B et
le a.
Il s’agit avec peu de doute possible de la ville de Beaucaire dans le Gard.
(**) Pour vieille ; bien sûr.
(***) se jetèrent.
(****) intacte (e muet ?)
(*****) harengs saur’ : il s’agit des gendarmes. Le pluriel est appliqué aux
deux mots mais, comme pour « pandor’ » et « secourur’ » la dernière syllabe est
muette.
(#) Brassens à bien écrit « ouvre » et non pas ouvrant comme dans Hécatombe.
(?) 1/ Les teneurs des cordons du poêle :
Autrefois, le poêle se définissait comme étant le drap mortuaire qui recouvrait
le cercueil pendant les cérémonies funèbres. Il était d'ailleurs muni de cordons
aux coins pour permettre aux proches du défunt de transporter le cercueil à
l'autel. De nos jours, et en hommage à cette tradition, sans même les tenir
réellement, ceux qui ont l'honneur de marcher près du cercueil à savoir famille
proche ou personnalités de haut rang sont ceux qui tiennent les cordons du poêle
(?) 2/ Les teneurs recevaient la pile : recevoir la pile c’est recevoir ne volée
de coups !