« Les Mômes et les enfants d'abord ». Tel est le nouveau cri de ralliement de Renaud sur son 17e album studio. Nous l'avons retrouvé à la terrasse d'une brasserie près de son pied à terre parisien, pour une longue discussion enfumée et sans filtre. Le chanteur de 67 ans est encore diminué par sa violente chute au début de l'année, mais a le moral et les idées claires comme de l'eau gazeuse.
Comment allez-vous ?
RENAUD. De mieux en mieux! Mieux que lors du précédent album (NDLR : sorti fin 2016 et vendu à 772 000 exemplaires) et de la tournée, où je buvais encore un peu. Là, c'est fini. Je n'ai pas touché une goutte d'alcool depuis plus de dix mois. Mon dernier séjour en clinique spécialisée en addictologie a été le bon. Je suis resté un mois, j'ai fait un check-up complet, et j'en suis sorti requinqué et bien décidé à ne plus boire. Avant, je ne me sentais pas bien, j'étais toujours barbouillé, j'avais des problèmes cardiaques, on m'avait posé un stent. Reste la cigarette. J'essaye tous les jours d'arrêter et tous les jours j'échoue. Depuis deux mois, je suis à trois paquets par jour… C'est nerveux. J'essaye la cigarette électronique, j'en ai trois. Mais ce n'est pas très efficace.
Comment est né cet album sur l'enfance ?
Dans le regard des enfants sur ma dernière tournée. Je les faisais venir au premier rang et à ma grande surprise ils étaient très nombreux et chantaient. Je me suis aperçu que mes chansons plaisaient toujours aux mômes, avec leurs gros mots et jeux de mots. Cet album, je l'ai fait pour les enfants en général et Malone en particulier. Mon fils a encore la chance d'être un enfant (NDLR : il a 13 ans). Je l'aide à faire ses devoirs - sauf les maths auxquels je suis réfractaire - il a eu 19,5 récemment en français. J'espère qu'il ne va pas trop vite arriver dans l'âge ado, où l'on fait des conneries, on commence à fumer, à boire.
Vous rendez aussi hommage à votre fille avec « L.O.L.I.T.A. »…
À chaque disque, je lui écris une chanson. Celle-ci date d'il y a vingt ans. Mais elle ne valait pas « Mistral Gagnant » et « Morgane de Toi » alors je ne l'avais pas mise sur l'album. Lolita, pour moi, c'est le bonheur, la fidélité, le talent. Je n'arrive pas à réaliser qu' elle a 39 ans, c'est toujours mon bébé.
Comment s'est passé l'enregistrement ?
Pas terrible au début, avec Michael Ohayon comme arrangeur et réalisateur. Je me suis rendu compte à l'écoute que cela ne me plaisait pas. Je voulais des cuivres, des violons, un truc gai et rock'n'roll. Alors j'ai trouvé deux nouveaux directeurs artistiques, Thierry Geoffroy, qui m'a refait des musiques, et Bertrand Lamblot, qui a travaillé sur les quatre derniers albums de Johnny. À eux deux, ils ont réussi à me refaire chanter, trouver de nouvelles mélodies, chez moi, à L'Isle-sur-la-Sorgue. Ils m'ont fait refaire ma voix autant qu'il fallait, ma vraie voix, celle de Renaud. Elle est de pire en pire, mais au moins elle n'est pas passée par des ordinateurs, des bidouillages…
Cet album revient de loin…
Oui. En janvier, je me suis vautré chez moi, j'ai eu les deux poignets cassés, deux radius et deux cubitus cassés, un coude… J'ai encore du mal à écrire, j'écris sur un ordinateur. Cet album m'a permis de vivre d'autres émotions que le chagrin, comme la rigolade, après un début d'année difficile avec la perte de ma mère, de mon frère. La disparition de mon frère m'a convaincu d'arrêter l'alcool, car c'est plus ou moins de ça qu'il est mort, il faisait tout pour s'autodétruire.
L'album est illustré par Zep. Comment est venue cette excellente idée ?
Vous savez que j'aime la BD depuis longtemps. Quand j'ai pensé à un album sans photos mais avec des illustrations, j'ai pensé à mon vieux pote Margerin, à P'Tit Luc et Zep, que je lis depuis quinze ans. J'ai choisi ce dernier car il est le plus proche de l'enfance et de l'esprit de cet album.
Vous avez gardé des copains d'enfance ?
Deux, dont un qui est médecin. Les autres ont mal tourné, ils sont devenus assureurs ou banquiers (il sourit).
Quel enfant étiez-vous ?
Dissipé mais sage. Dissipé à l'école mais sage avec mes parents. Ce qui m'a donné envie de faire des chansons, c'est « Paroles » de Prévert, cela m'a montré que la poésie. J'en suis de plus en plus nostalgique de l'enfance. Chaque année qui passe m'en éloigne.
Vous rêviez d'enseigner, comme votre père ?
C'est maintenant que j'en rêve. Mais à l'époque, je voulais être cuisinier ou pompier.
D'où la nouvelle chanson « Pin-pon » ?
Oui je voulais leur rendre un hommage un peu polisson. J'adore cette corporation, ils sont éminemment sympathiques et je ne supporte pas qu'ils se prennent des cailloux, des parpaings. J'ai aussi écrit « Ils ont mis l'feu ». Je l'ai écrite en réaction à un fait divers survenu pendant les émeutes en banlieue en 2002. Ils avaient mis le feu à un gymnase scolaire. Je m'étais dit : le jour où ils s'en prendront à une école, j'aurai la haine. Priver les instituteurs dévoués de leur outil de travail… Les violences urbaines, les black blocks, ça me révolte!
Il y a aussi « On va pas s'laisser pourrir » dans cette veine…
Un peu moraliste, vous voulez dire. Mais ça ne me gêne pas, j'aime bien la morale, la vertu. Moraliste, c'est une qualité. Quand j'étais en 6e et 5e, j'avais un professeur qui nous enseignant la morale, le civisme, la liberté, les difficultés de vivre à Paris, ses cours étaient géniaux.
Dans cette chanson, vous dénoncez les méfaits de l'alcool, de la cigarette, de la drogue…
Les dealers devant les écoles, c'est affligeant. La drogue, à part quelques petits joints de 16 à 18 ans, je n'y ai jamais touché ! L'alcool, c'est fini. Je touche du bois. Je le chante dans « Les Animals », maintenant que je bois du Perrier, je suis peinard. Je me sens mieux à tous les niveaux. Je sors, aux expos, au cinoche, aux concerts, je revis.
On vous a croisé au concert de Dave, dont vous avez financé le nouvel album. Le public vous a longuement applaudi…
Une belle ovation… Ça me fait chaud au cœur, voir que l'on est toujours aimé, pas oublié. Il n'y a que trois ans depuis mon dernier disque, mais les gens me disent que je leur manque. Me voilà, mon dernier est arrivé. Enfin, pas le dernier, j'en referai un bientôt. J'ai écrit deux nouvelles chansons, l'une sur mon frère, l'autre sur les lycéennes qui fréquentent ce bistrot après les cours, toutes habillées pareil.
Dans la chanson « Ça va gueuler », vous faites allusion au terrorisme…
Les attentats m'ont traumatisé.
Vous pourriez rechanter au Bataclan ?
Bien sûr. Pas de tabou, pas de crainte. On m'avait d'ailleurs proposé de chanter à la réouverture, mais ça ne s'est pas fait. Ils ont pris Sting, c'est mieux. Il faut chanter au Bataclan, cela permet d'exorciser.
Vous allez faire une tournée ?
C'est en train de se décider, je ne sais pas si on fera des grandes salles ou des petites, des Zénith ou des Olympia pendant plusieurs semaines. J'aime bien les deux. Les concerts me manquent. La tournée, les 120 dates bourrées à la gueule, mon public toujours là, aussi chaleureux, joyeux. Ce qui compte dans ce métier, c'est durer. Et je dure.
Lors de notre précédente rencontre, en juillet, vous écoutiez Angèle…
Je suis même allée la voir à Carpentras. Et je vais bientôt aller voir Saez à Paris. Je l'aime bien, c'est un révolté. J'aime les mots qui ont du sens, pas la chansonnette à deux balles.
Il a enregistré une nouvelle chanson qui fait parler, « Manu dans l'cul », sur Emmanuel Macron…
Ah bon! Très bien! Il y va fort, mais il a raison. J'ai voté pour Macron contre Le Pen, évidemment, et je suis un peu déçu. Je revoterai pour lui s'il est face à Le Pen, parce que je suis un républicain, mais bon… Les Gilets jaunes, je les soutiens, bien sûr.
On va célébrer dans quelques jours le 2e anniversaire de la disparition de Johnny Hallyday. Vous vous connaissiez bien ?
Un peu, j'avais tourné un film avec lui, « Wanted », il y a quinze ans. Il y avait Bohringer, Depardieu, Keitel, super casting. On s'est bien marré pendant un mois à Vancouver avec les fameuses anecdotes et saillies de Johnny. Pour mes 50 ans, il m'avait offert une paire de bottes en croco. Je lui avais dit : « T'es fou, ça a dû te coûter une blinde. » Il m'avait répondu : « Avec mon train de vie, je compte sans dépenser. » Au lieu de « je dépense sans compter » (il sourit). C'était le boss, une légende, on le croyait éternel. Sa disparition m'a beaucoup touché. J'ai pleuré toute la journée devant ma télé.