8 Mai 2016
« J’ai embrassé un
flic / Entre Nation et République / J’ai embrassé un flic/ Ça change des coups
de trique / J’aurais pas cru y’a trente ans / Qu’au lieu de leur balancer / Des
pavés à tours de bras / J’en serrerais un contre moi(« J’ai embrassé un flic ».
Paroles Renaud Séchan.
Musique Michaël Ohayon. © 2016) ».
La gauche réforme la loi du travail,
main dans la main avec le MEDEF, Renaud embrasse des flics, ce monde ne tourne
définitivement pas rond. Il y a environ un mois maintenant sortait le nouvel
opus de Renaud, dix ans après ses dernières chansons inédites. Très grand fan
de l’auteur de Mistral gagnant, je suis de ceux qui se sont précipités sur ce
nouvel album faisant de ce come-back un retour fracassant, du moins en termes
de disques vendus. Sans revenir sur la qualité de cet album, penchons-nous
plutôt sur la chanson « J’ai embrassé un flic ».
Rappelons d’abord le contexte, suite aux
attentats de Charlie Hebdo, Renaud qui a perdu de nombreux amis lors de ces
événements tragiques, se rend à Paris pour participer à la marche commémorative
du 11 janvier 2015. Emu par les élans de fraternité ponctuant cette marche
Renaud ira même jusqu’à « enlacer » un flic, précision qu’il apporta lui-même
lors de différents interviews.
Si le chanteur énervant n’oublie pas de
mentionner les « Quelques bandits notoires, présidents, sous-ministres, et
petits rois sans gloire » ouvrant cette « marche républicaine », la suite de la
chanson est beaucoup moins engagée. Renaud narrant donc, comment lui, l’auteur
d’Hexagone, a embrassé un flic.
Si le contexte d’écriture de cette
chanson est particulier, le contexte de sa sortie l’est tout autant. Les
manifestations contre la loi travail se succèdent ponctuées par de nombreuses
violences policières.
Me remémorant les paroles de ce formidable
brûlot qu’est « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » :
« Y’a pas qu’les mômes
dans la rue qui m’collent au cul pour une photo, y’a même des flics qui me
saluent qui veulent que j’signe dans leur calot. Moi j’crache dedans et j’crie
bien haut que l’bleu marine me fait gerber, qu’j’aime pas l’travail, la justice
et l’armée »
(« Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ». Paroles et Musique Renaud Séchan.
© 1980) ».
Je me suis dit « merde ! », comment
peut-on embrasser un flic après avoir écrit ça ?
Alors, oui Renaud a vieilli, ça fera
bientôt quarante ans qu’il a écrit ce texte, et c’est tout à fait naturel qu’il
ait changé. De plus, la perte de ses proches lors des attentats de janvier 2015
l’a durement affecté. Que Renaud s’adoucisse avec l’âge est tout à fait
compréhensible (quoique pas évident) mais passer de brûlots anti-flics à cette
chanson mielleuse à la gloire de la police nationale, faut pas déconner ! Le
chanteur énervant a énervé ses fans (ou du moins un fan). Mais lui qui chantait
: « Ils sont pas lourds en février à se souvenir de
Charonne, des matraqueurs assermentés qui fignolèrent leur besogne (« Hexagone
». Paroles et musique Renaud Séchan © 1975.) », n’a-t-il pas lui-même oublié les violences de la police de
Maurice Papon du 8 février 1962 ? Où est donc passé le défenseur de Malik Oussekine ?
Dans ce contexte social très tendu, le
retour de l’auteur de « Société tu m’auras pas » aurait pu être une bouffée
d’air frais, mais « J’ai embrassé un flic » me reste en travers de la gorge.
J’aurais aimé un dernier couplet coup de poing pour rappeler qu’en 2016 la
police assassine encore et toujours.
Si cette chanson me laisse un goût amer, elle ne
saurait me faire oublier toutes les autres, notamment la magnifique Ballade de
Willy Brouillard qui peint avec brio la triste vie d’un flic de banlieue.
Renaud a été, est et restera un chanteur à part, c’est d’ailleurs cette
admiration sans limite qui me fait pousser ce petit coup de gueule qui n’engage
que moi. Certains s’y retrouveront, d’autres me trouveront trop durs, et pour
tous les autres je ne peux que les encourager à se plonger dans l’œuvre de cet
immense artiste.