LE FIGARO. - Dans Les Mots, vous évoquez
l'écriture en chantant «Quand votre vie part à vau-l'eau/C'est un don du
ciel, une grâce/Qui rend la vie moins dégueulasse.» Une profession de foi?
RENAUD - Comme je le disais aux nombreux fans
venant me voir ici à la Closerie des Lilas ou dans ma cantine à
l'Île-sur-la-Sorgue, où j'ai vécu quatre ans, je n'avais plus d'idée, plus
d'inspiration. Je pensais ma carrière derrière moi alors qu'elle est en
train de se réamorcer. Je n'avais plus le goût de l'écriture, j'avais perdu
celui de la lecture, d'aller au cinéma, au
musée... J'étais un alcoolique invétéré, avec ce
que ça compte de solitude, de détresse, de chagrin, de désespoir. Les gens
me disaient: «Reviens, on a besoin de toi.» Cette phrase revenait tout le
temps. Mais le déclic est venu de Grand Corps Malade, qui est venu me voir
alors que j'étais ravagé par l'alcool. Il m'a sollicité pour un texte dans
lequel il fallait intégrer ces quelques mots: «Il me restera ça.» Il m'a
soufflé les deux premiers vers de la chanson et j'ai enchaîné.
Une fois la chanson finie, je me suis dit: «Ce n'est pas si compliqué. Il
suffit d'être impudique, de livrer son âme.»
LE FIGARO. -L'impudeur est-elle une condition à
l'écriture?
RENAUD - Une des fonctions essentielles des artistes est de
se livrer avec impudeur. Du moment que ça touche les gens, qu'ils se
reconnaissent dans nos propos, la moitié du travail est fait.
LE FIGARO. -Quel avenir imaginiez-vous si
l'écriture n'était pas revenue?
RENAUD - La mort. Je suis allé en clinique faire un
check-up complet, en arrivant à Bruxelles. On m'a décelé un taux de
potassium à la limite de la zone rouge. L'addictologue a été clair: «Si vous
continuez à boire, vous allez mourir d'une crise cardiaque.» Là, j'ai eu un
peu peur. J'ai cessé toute consommation d'alcool du jour au lendemain. Bon,
j'avoue humblement avoir bu une bière le jour du printemps. Cela faisait six
mois jour pour jour que je ne buvais plus. La prochaine sera pour ma
première date de tournée, le 1er octobre. Je ne vais pas devenir moine non
plus et boire de l'eau toute ma vie! D'ici là, je vais tenir. Je n'ai aucun
manque, contrairement au tabac. Mais je compte arrêter ça rapidement aussi.
Il me reste quatre paquets de cigarettes à finir avant de passer au
vapotage.
LE FIGARO. -Avez-vous l'impression de rattraper
le temps perdu?
RENAUD - Oui. En écrivant des chansons, dans Charlie et
Causette, je rattrape dix années foutues en l'air à cause de la bibine.
LE FIGARO. -Suiviez-vous la marche du monde
pendant votre période d'errance?
RENAUD - Je ne regardais que des séries: Mafiosa, Homeland,
Breaking Bad, Walking Dead... Et, vaguement, les infos. J'ai bien sûr été
bouleversé par les attentats parisiens. À Charlie Hebdo, où j'ai perdu tant
d'amis, l'Hyper Cacher, le Bataclan, Le Petit Cambodge, La Belle Équipe.
J'étais anéanti par cette barbarie due à une minorité infime de l'islam.
LE FIGARO. -Ces événements vous ont inspiré J'ai
embrassé un flic et Hyper Cacher. Avez-vous écrit ces chansons rapidement?
RENAUD - Oui. À chaud. Comme Miss Maggie, que j'avais
écrite en 1985 dans la nuit suivant le drame du Heysel. En voyant le
comportement de ces cinglés de hooligans, j'ai voulu rendre un hommage aux
femmes du monde, avec un croche-pied à Margaret Thatcher.
LE FIGARO. -Que vous inspire la France
d'aujourd'hui?
RENAUD - Je suis profondément désabusé par la politique,
notamment celle dite de gauche de ce gouvernement pourri qui vote des lois
que même la droite n'aurait pas osé voter, sur la réforme du Code du travail
ou la déchéance de nationalité. Une gauche qui remet des médailles à
l'Arabie saoudite qui mène une guerre infâme au Yémen. Plus jamais je ne
donnerai ma voix aux socialistes. Par contre, il y a des individus que
j'aime bien. Même à droite, certains ont le visage de parfaits honnêtes
hommes, comme François Fillon, ou Alain Juppé dans une moindre mesure. Je
voterai peut-être pour lui s'il est face à Marine, ce qui est probable.
Sarkozy, non. Un type qui condamne un prisonnier politique corse (Yvan
Colonna) avant même son jugement en le traitant d'assassin, avec des juges à
sa botte qui confirment cette sentence... Je ne l'aime pas beaucoup. Je
regrette que Nicolas Hulot ne se soit pas présenté à la dernière
présidentielle. J'aurais voté pour lui les yeux fermés.
LE FIGARO. -La plupart des musiques de votre
album sont signées Michaël Ohayon. Pourquoi?
RENAUD - J'ai un peu la flemme de composer moi-même: je
suis un piètre guitariste, j'arrive à m'accompagner sur scène mais les
accords barrés, les neuvièmes, les sixièmes diminués, j'ai du mal. Je me
suis dit: «Je vais être auteur avant tout.»
LE FIGARO. -Le son est majoritairement
acoustique...
RENAUD - Je suis parti à l'aventure en confiant mes
chansons à Michaël Ohayon, qui était considéré par mon orchestre - en
particulier par Bucolo (le compositeur historique de Renaud, NDLR) - comme
un second couteau et qui s'est avéré une lame bien affûtée. Il m'a fait de
putains de belles compositions, une putain de belle réalisation et de
putains de beaux arrangements. Pardon pour les gros mots.
LE FIGARO. -La chanson Mulholland Drive est assez
surprenante, de votre part...
RENAUD - J'ai plutôt fait des road-movies qui se passaient
entre Argenteuil et La Courneuve qu'à Los Angeles, c'est vrai. Mais j'avais
envie de raconter la dérive de cette jeune fille américaine qui décide de
partir sur les routes. C'est une ville que j'aime, où j'avais enregistré les
albums Morgane de toi et Mistral gagnant et où je suis retourné il y a
dix-quinze ans.
LE FIGARO. -Vos enfants continuent-ils de vous
inspirer?
RENAUD - Il y a Lolita, ma fille de 35 ans, qui m'a rendu
grand-père d'une petite Héloïse de 4 ans et demi, à qui je consacre une
chanson de l'album. Et mon fils Malone, 10 ans. Il écrit des paroles de
chansons depuis deux ans, joue de la batterie, du piano et je l'ai inscrit à
la Sacem, où il est peut-être le plus jeune auteur.
LE FIGARO. -Vous avez foi en la jeunesse?
RENAUD - L'enfance, oui. La jeunesse... Les adolescents,
pourris par leurs iPhone, iPad, les jeux vidéo hyperviolents, la télévision
et ses radiocrochets à la con avec leurs mises à mort, me désespèrent un
petit peu. Mais bon, en les voyant défiler récemment contre la réforme du
droit du travail, je me suis dit qu'il y avait encore des ados rebelles. Ça
m'a fait chaud au cœur, même si j'ai eu tendance à applaudir les flics qui
les escortaient, bizarrement.
LE FIGARO. -J'ai embrassé un flic est une chanson
qui a de quoi déstabiliser ceux qui aiment votre chanson Hexagone, de 1975...
RENAUD - Oui! «Quel retournement de veste», ils diraient.
Mais non. Entre ces deux titres, il y a quarante ans d'expérience, de vécu.
LE FIGARO. -Quel regard portez-vous sur vos quarante années de
carrière?
RENAUD - Celui de l'étonnement. Je n'avais aucune
ambition, je voulais chanter pour que les filles tombent amoureuses de moi
avec mes chansons d'amour et faire marrer mes copains. Mon rêve était d'être
comédien. Après les films Germinal et Wanted, j'ai un projet avec deux mecs
que j'idolâtre, Benoît Delépine et Gustave Kervern. Ils sont en train de
m'écrire un scénario. J'ai hâte de le lire et de jouer avec eux.
LE FIGARO. -Vous conservez sur le disque une certaine
mélancolie, d'où vient-elle?
RENAUD - Cioran, que j'aime bien, écrivait: «Dans
un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.» C'est joli,
cet aphorisme. Mon enfance envolée est la source de ma mélancolie. Elle
était douce comme le miel, entouré de mes chers parents et de mes cinq
frères et sœurs.
LE FIGARO. -L'image que le public a de vous
correspond-elle à la réalité?
RENAUD - Je ne sais pas. Les gens parlent de moi
avec amour et fraternité, mais ils ignorent ma peur de la maladie, de la
mort, de la vie. Même si celle-ci est merveilleuse depuis six mois. Je fais
des rencontres extraordinaires. Je me couchais à minuit, titubant, fracassé.
Je me réveillais à midi, plus fatigué que la veille. Maintenant je me couche
à deux heures du matin et je dévore les livres. Je viens de finir le dernier
Sorj Chalandon, un joyau qui m'a fait pleurer, j'ai lu Victor Hugo vient de
mourir de Judith Perrignon, et là je termine un John Grisham sur la justice
américaine. Je lis beaucoup de Michael Connelly aussi. Ensuite, je me
réveille à 6 heures, en pleine forme. Hier, entre 7 heures et midi, j'ai
écrit quatre chansons pour enfants. Je n'ai pas envie que mon prochain
disque sorte dans dix ans.
LE FIGARO. -Vous entamerez une très longue tournée à
l'automne. Êtes-vous prêt?
RENAUD - Je voudrais que ce soit demain. Par
chance, je participe actuellement aux concerts d'I Muvrini, où j'interprète
deux chansons. J'ai droit à une standing ovation tous les soirs. Des
centaines d'appareils photo me mitraillent. Ces concerts sont des
communions, avec un échange d'amour hallucinant. Je ne pourrai jamais rendre
le millième de l'amour que me donne le public.
LE FIGARO. -Ce Phénix Tour qui débute en octobre 2016 est
très attendu, vous êtes déjà en train de le préparer...
RENAUD - Oui. Les locations partent comme des
petits pains. C'est fou. Il promet d'être assez spectaculaire. J'ai déjà
dressé une liste de quarante chansons. Maintenant, il faut que j'en retire
dix. Éliminer une chanson d'un tour de chant, c'est comme sacrifier un
enfant. J'ai une mise en scène avec des projections de décors surréalistes,
à la manière de Caro et Jeunet dans La cité des enfants perdus, et peuplée
d'hologrammes. Ça va être très beau. Pendant la chanson J'ai embrassé un
flic, il y aura un cordon de flics, boucliers à la main, qui battront la
mesure avec leurs matraques. Tous en hologrammes. Et les gens n'y verront
que du feu.
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