Histoire que nous conte " L'édition du soir", 1er
magazine d'information 100% numérique de France(Ouest-France)
Correspondance, Gautier Demouveaux
Le sordide destin du premier capitaine des Bleus
Alexandre Villaplane, premier capitaine de l’équipe de France en Coupe du
monde, en 1930 en Uruguay, s’est fourvoyé pendant la Seconde Guerre
mondiale, en s’illustrant notamment dans la répression des juifs et des
résistants.
Étrange destin que celui d’Alexandre Villaplane, l’un des meilleurs
joueurs de sa génération, celle du premier Mondial de l’histoire, qui se
déroule en 1930 en Uruguay. Avec le brassard de capitaine, le joueur âgé
de 24 ans est déjà l’un des cadres incontournables, dans une formation
où l’âge moyen est de 23 ans et 6 mois. Quelques minutes avant d’entrer
sur le terrain ce 13 juillet 1930, pour le match d’ouverture de la
compétition face au Mexique, il est aux anges : « C’est le plus beau
jour de ma vie », déclare-t-il à la presse.
L’international joue en équipe de France depuis déjà quatre ans, après avoir
été repéré par ses bons résultats en championnat de France avec le Racing Club
de Paris. Sa première sélection remonte au 11 avril 1926, face à la Belgique,
match durant lequel les tricolores l’emportent 4 buts à 3. Rapidement, Alexandre
Villaplane – qui évolue au poste de milieu de terrain – devient un joueur
incontournable de la sélection nationale. En quatre ans, il compte 22
sélections, soit dix de plus que le plus capé des autres joueurs, le gardien de
but breton Alexis Thépot.
Un joueur venu d’Afrique du Nord
Alexandre Villaplane est l’une des stars les plus aimées du public en 1930.
Apprécié pour son engagement physique, son contrôle du ballon et son jeu de
tête, le capitaine fait l’unanimité auprès des supporters. Né le 25 décembre
1905 en Algérie, où ses parents sont installés, il frappe dans ses premiers
ballons au club du Gallia sport d’Alger à l’âge de 12 ans. Deux ans plus tard,
alors que la famille rentre en métropole et s’installe dans le sud de la France,
le jeune Villaplane prend une licence dans le club local, le FC Sète.
Son talent est rapidement repéré par l’entraîneur du club, qui n’hésite pas à
le surclasser, malgré son jeune âge, et le fait jouer à 16 ans avec l’équipe
première lors de certains matchs de Coupe de France. Incorporé au régiment de
Montpellier pendant son service, Villaplane joue deux rencontres dans l’équipe
de France militaire, avant de revenir à Sète pour trois ans, et atteint avec son
club les demi-finales de la Coupe de France au cours de la saison 1924-1925.
C’est à cette époque que le jeune joueur tape dans l’œil du comité de sélection
de la Fédération nationale.
Un homme d’argent
Le football étant à l’époque un sport amateur, les joueurs n’ont pas le droit
d’être payés par les clubs. Cependant, les équipes rivalisent d’ingéniosité pour
faire signer des joueurs chez eux, en leur proposant des primes et des emplois
(souvent fictifs), afin d’attirer les meilleurs athlètes. Alexandre Villaplane
est l’un des premiers à bénéficier de ces largesses.
En 1927, il quitte Sète pour le Sporting Club Nîmois, l’équipe voisine et
rivale, qui lui offre un emploi de représentant. Deux ans plus tard, le
Méridional monte à Paris pour s’engager au Racing Club de France. L’équipe
parisienne, qui a connu des déboires les saisons précédentes en étant reléguée
en deuxième division, a de grandes ambitions avec son nouveau président, l’homme
d’affaires Jean-Bernard Lévy, qui ne regarde pas à la dépense pour attirer les
internationaux comme Villaplane. Dans la capitale, le tout nouveau capitaine des
Bleus profite de son statut pour fréquenter bars, cabarets, mais aussi
hippodromes : il s’est découvert une passion pour les courses de chevaux et les
paris.
Corruption et achat de match
Avec la professionnalisation du football en 1932, Villaplane redescend dans
le sud de la France et signe à Antibes, un club de seconde zone mais qui a
décidé d’investir. Soif d’argent ou simple défi sportif pour le capitaine des
Bleus ? Quoi qu’il en soit, le FC Antibes termine, à la surprise générale, à la
tête de son groupe (l’ancêtre de la Ligue 1 compte 20 clubs divisés en deux
groupes, le premier de chaque poule s’affronte en finale pour le titre de
champion de France).
À la fin de la saison régulière, un scandale éclate : le FC Antibes aurait
acheté le match face au SC Fives lors de la dernière journée de championnat,
afin de s’assurer la victoire et la qualification. Le club méridional est
déclassé, et si seul son entraîneur est désigné coupable et radié à vie, des
rumeurs circulent sur Villaplane. Il est même directement mis en cause et doit
quitter le club. Il continue cependant sa carrière dans la région, sous les
couleurs de l’OGC Nice. Mais s’il dispute 20 des 26 matchs de championnat en
tant que capitaine, il est sanctionné à plusieurs reprises pour avoir manqué
l’entraînement. Sa saison est désastreuse.
Auparavant adulé, Villaplane est aujourd’hui critiqué pour son manque de
combativité et sa vie dissolue. On le voit plus souvent sur les champs de
courses que sur un terrain ! À la fin de la saison 1933-1934, l’équipe est
reléguée et son capitaine semble au crépuscule de sa carrière. Il arrive
cependant à rebondir une nouvelle fois, grâce à l’entraîneur de ses débuts, qui
encadre le Deportivo Bastidienne de Bordeaux en deuxième division. Malgré la
main tendue, Villaplane est licencié une nouvelle fois pour ses absences
répétées.
Des ennuis judiciaires à la Gestapo
C’est à cette période que le nom de Villaplane quitte définitivement la
rubrique sportive pour la chronique judiciaire. En 1935, il est condamné à six
mois de prison pour avoir participé à des paris hippiques truqués. En prison, il
se lie avec le grand banditisme, ce qui lui vaut plusieurs séjours prolongés à
la prison de la Santé, jusqu’en 1940.
Après la débâcle, c’est tout naturellement qu’il rejoint la bande de la rue
Lauriston, siège de la Gestapo française. Car si l’Occupation provoque le
désespoir chez beaucoup, elle apporte de nouvelles opportunités à certains, la
guerre offrant la possibilité de s’enrichir rapidement, en toute impunité. Les
nazis ont en effet besoin de s’établir durablement, et nouent pour cela des
liens avec le marché noir afin de se procurer ce qu’ils ne peuvent obtenir
eux-mêmes, du charbon au champagne…
À la tête de ce trafic, on trouve un ancien détenu de droit commun : Henri
Lafont. C’est lui qui recrute un gang hétéroclite composé de tueurs à gages,
d’escrocs, de patrons d’industrie et d’artisans ruinés par la guerre, de
médecins, d’ouvriers, de chômeurs et… de sportifs déchus. Ce n’est pas
l’idéologie nazie qui pousse ces hommes à dénoncer (et spolier) des juifs ou à
torturer des résistants, mais bien l’appât du gain. C’est le cas d’Alexandre
Villaplane.
Un chef d’escadron de la mort
L’ancien capitaine des Bleus doit pourtant se mettre au vert du côté de
Toulouse en 1942, car il ne peut s’empêcher d’essayer d’arnaquer les Allemands.
Il rentre quelques mois plus tard à Paris, sous une fausse identité, pour
continuer son trafic. Arrêté par les SS pour vol de pierres précieuses, il est
emprisonné à Compiègne, avant que le chef de la Gestapo française ne le fasse
libérer. Pour se « racheter », alors que la Lafont crée la brigade
nord-africaine en février 1944, Alexandre Villaplane fait valoir sa bonne
connaissance de l’Algérie pour y être intégré. Il se retrouve même à la tête de
l’une de ces cinq sections composées d’immigrés maghrébins de France, utilisées
pour lutter contre la résistance intérieure, avec la bénédiction des Allemands.
Villaplane est d’ailleurs promu Untersturmführer, c’est-à-dire
sous-lieutenant de la SS. À la tête de son unité, il est chargé de « nettoyer »
le Périgord entre mars et août 1944. Sous couvert de lutte contre les
maquisards, sa troupe fait régner un climat de terreur en Dordogne, où elle
multiplie pillages et massacres. Le plus sanglant d’entre eux se déroule le
11 juin 1944, dans le village de Mussidan, où 52 otages sont assassinés, dont
près d’une dizaine par Villaplane lui-même. D’escroc, l’ex-footballeur se mue en
assassin.
Arrêté en août 1944, alors même qu’il vient d’être naturalisé allemand,
Villaplane est jugé avec ses comparses de la rue Lauriston entre les 1er
et 11 décembre de la même année, devant la cour de justice de la Seine.
Condamné
à mort pour haute trahison, intelligence avec l’ennemi, meurtres et actes de
barbarie, il est fusillé le 26 décembre à 10 h, au fort de Montrouge, en
compagnie de ses chefs Bonny et Lafont.